Certificats de non-usure pour les juifs de Schwenheim
Les juifs obtiennent la citoyenneté en France par un décret de l'Assemblée Constituante du 20 septembre 1791. Mais ce n'est qu'en 1808 que Napoléon Ier met en place, par un train de quatre décrets, les structures du judaïsme français qui subsistent encore en grande partie aujourd'hui :
- deux décrets du 17 mars 1808 mettent en place les consistoires, grands rabbinats et rabbinats,
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un décret du 20 juillet 1808 oblige tous les juifs de l'Empire napoléonien à adopter un nom de famille stable et transmissible aux enfants,
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enfin, un décret du 17 mars 1808, connu sous le nom de "décret infâme", impose à tout juif d'obtenir au préalable, pour pouvoir se livrer à aucun commerce, négoce ou trafic quelconque, une patente du préfet du département, laquelle ne sera accordée "que sur un certificat du conseil municipal attestant que ledit juif ne s'est livré ni à l'usure ni à un trafic illicite".
Cette procédure a bien entendu été mise en œuvre pour les juifs de Schwenheim et a donne lieu a des péripéties inattendues.
Le 2 juillet 1808. Florent Geis, conseiller municipal de Schwenheim, est reçu par le sous-préfet de Saverne, auquel il a demande audience et lui expose un ensemble de griefs qu'il fait au maire, Antoine Caspar.
Ces griefs sont confirmés par écrit par une lettre en date du 25 juillet 1808, signée par Florent Geis et par Joseph Heng, adjoint au maire de Schwenheim. Parmi ces griefs, on en note deux qui concernent la communauté juive de la localité :
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le maire s'est emparé du produit de l'octroi payé par les juifs ;
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le maire a demandé aux juifs le versement d'une somme de 300 francs pour les maintenir sur la liste des délivrances des certificats de non-usure approuvée par le conseil municipal. Devant l'impossibilité des juifs de payer cette somme, il a de son propre chef modifié cette liste.
Extrait de l'arrêté pris par le sous-préfet de Saverne.
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Devant ce faisceau d'accusations graves, le sous-préfet de Saverne nomme un commissaire enquêteur. Monsieur Nouffert, auquel il confie la mission d'enquêter principalement sur les conditions d'établissement de la liste des certificats de non-usure et accessoirement sur les autres griefs. Celui-ci se rend le 27 juillet 1808 à Schwenheim et reçoit individuellement tous les chefs de famille juifs de la communauté locale, ainsi que le maire, le maître d'école et l'appariteur de la mairie. Le rapport d'enquête détaillé est joint en annexe ; il ressort de ce rapport les points suivants :
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Le maire a décidé de taxer les juifs pour la remise des certificats de non-usure et Georges Troesch, conseiller municipal, a dressé l'état des sommes à percevoir de chaque juif ; cette liste a été remise par l'appariteur au maître d'école chargé d'encaisser ces sommes auprès des juifs concernés.
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Les juifs n'ont pas versé les sommes demandées, mais ils ont tout de même versé 3 francs par certificat ; le montant encaissé a été partagé entre le maire et certains conseillers municipaux.
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Le maire a bien encaissé à titre personnel la somme de 9 francs provenant de l'octroi payé par les juifs. Sa justification - à savoir qu'il a consacré cette somme à payer les cierges et à indemniser le prêtre pour une messe qu'il a fait célébrer et pour laquelle il a même dû payer de sa poche, les 9 francs ne suffisant pas - ne peut être acceptée.
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Le maire apparaît comme étant dominé par son épouse, qui l'incite à outrepasser ses compétences. Un des juifs, Hennel Weil, a même déclaré qu'ayant refusé de verser la somme de 18 francs qui lui était réclamée, il a envoyé le lendemain sa femme chez le maire pour qu'on lui remette le certificat de non-usure établi par 1e préfet ; la femme du maire est alors intervenue pour demander a son mari de ne pas délivrer le certificat tant que les juifs n'auraient pas payé, et le maire a chassé la femme de Hennel Weil à coups de pied.
Devant ce rapport très détaillé et accablant, le sous-préfet de Saverne prend un ensemble de décisions graves :
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Tous les juifs de Schwenheim qui ont fait la demande recevront le certificat de non-usure.
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Le maire Antoine Caspar et le conseiller municipal Georges Troesch sont suspendus de leurs fonctions en attendant que le ministre de l'Intérieur prononce leur destitution.
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Le maire devra rembourser aux juifs les sommes qu'il leur a fait verser, et à la commune le montant de l'octroi qu'il s'est attribué.
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Les membres du conseil municipal et le maître d'école seront admonestés par un commissaire pour ne pas avoir "apporté plus de délicatesse et de désintéressement" dans l'affaire des certificats de non-usure. Les frais du commissaire chargé de l'admonestation seront à leur charge.
Cette affaire est significative à plus d'un titre :
Le conseil municipal de Schwenheim a reconnu qu'aucun des juifs de Schwenheim ne peut être considéré comme un usurier. Il faut toutefois noter que la communauté de Schwenheim est une communauté pauvre, qui ne comprend aucun juif en mesure d'accorder des prêts d'une certaine importance.
L'âpreté au gain n'est pas un monopole des juifs et l'on trouve dans tous les milieux des hommes prêts à exploiter toute occasion qui leur parait favorable ;
Enfin, on pout s'interroger sus les motivations de l'adjoint Joseph Hong et du conseiller municipal Florent Geis, qui dénoncent les agissements du maire. A côté d'un sens civique et d'un souci d'équité à l'égard des juifs, il y a peut-être aussi l'exploitation d'une situation leur permettant de se débarrasser d'un maire et de conseillers municipaux avec lesquels ils sont en désaccord.
En conclusion, il est bon de se rappeler que l'histoire est toujours faite par les hommes, et que dans toute communauté humaine on trouve tout l'éventail des qualités et des défauts propres à l'espèce humaine. La frontière entre le bien et le mal ne passe pas entre des peuples ou des religions ; elle passe au milieu de chacun d'entre nous.