Depuis très longtemps une communauté juive s'était formée à Pfastatt. Si je parle de Juifs, je les désigne par le seul nom qui fut en usage à leur encontre à cette époque et ceci au sens tout historique.
Vers la moitié du 14ème siècle, une grande calamité affligea le monde pendant de longues années, c'était la peste noire (Peste de Florence). Cette épidémie sévit au village ainsi que dans toute la région une première fois en 1313, une seconde fois en 1348 et 1349. Certaines contrées et de nombreuses localités furent presque entièrement dépeuplées. Dans les villages des environs de Mulhouse, dont Pfastatt, Lutterbach, Wittenheim, etc. 50% de la population succomba à l'épidémie. Pour apaiser la colère de Dieu, des processions d'hommes et de femmes demi-nus parcouraient les rues de Mulhouse et les villages des environs, se battant le corps à coups de fouet ; ces "flagellants", comme on les appelait, se livrèrent à tant de désordres, de pillages et de cruautés, que les seigneurs leurs coururent sus comme à des bêtes féroces et les exterminèrent (1).
Le peuple s'en prit alors aux Juifs, qu'il accusa d'avoir empoisonné les puits et les fontaines. Car seuls les Juifs furent épargnés par l'épidémie en raison de leur façon de s'alimenter et surtout en raison d'une vieille coutume religieuse du désert qui les forçait à faire bouillir l'eau avant de s'en servir même pour les soins corporels. En plusieurs endroit on massacra les habitants juifs.
Tandis qu'à Lutterbach, Wittenheim, Ensisheim, etc. interdiction de séjour était faite aux Juifs et ceci jusqu'en 1824, les seigneurs de Pfastatt, désireux d'exploiter à leur profit les avantages pécuniaires que présentait une communauté juive au village, permirent à de nombreuses familles juives de se fixer au village dès 1477. En cette année, les Suisses revenant de la bataille de Nancy où fut tué Charles le Téméraire, pillèrent les maisons juives de Mulhouse et chassèrent les habitants qui s'y étaient réinstallés entre 1352 et 1477. Nombreux sont les malheureux qui trouvèrent refuge à Pfastatt, dont le seigneur territorial autrichien était en conflit avec la ville et les autorités helvétiques (2).
En 1660 on dénombre 51 israélites à Pfastatt. Dans l'ensemble, ces familles occupqient une position privilégiée au villages. Les charges féodales sont moins lourdes pour eux que pour le reste de la population. Ils ne payaient que 25% des redevances et impositions féodales et par ailleurs ils étaient exempts des charges suivantes :
du service militaire (et milice);
des fournitures militaires, des corvées, du cantonnement des troupes et des services de la police locale (rondes, gardes et patrouilles diverses) etc...
La commune leur devait eau et pâturage spécial pour leurs bêtes. En 1775 ils reçoivent de la commune un pâturage permanent près du chemin de Rischwiller et suite à une nouvelle requête, en 1777, une prairie au canton "Oberen Hürst". Pourquoi cette situation privilégiée des israélites de Pfastatt après 1648 ? Cette communauté d'hommes chargée de haines séculaires, chassés, massacrés et qui subirent les pires vexations ailleurs, qu'on tolérait à peine dans les villes et villages, étaient dans l'impossibilité de pratiquer au sein du village une profession sédentaire. Aussi devinrent-ils marchands ambulants et contrôlèrent bientôt, souvent par personne interposée, le commerce régional. Vivant repliés sur eux-mêmes, des liens de profonde solidarité les unissent, commerçants avertis, ils s'entraident.
La communauté israélite s'agrandit sans cesse, en 1753, lors de la création de la paroisse catholique, on dénombre déjà 70 israélites. En 1787, 21 familles israélites habitent Pfastatt, composées de 21 femmes, 19 hommes et 62 enfants, en tout 102 personnes. La révolution fait des israélites des citoyens français. A partir de cette époque, les familles israélites du village détiennent le monopole du commerce local.
En 1806, la communauté israélite du village compte 158 personnes et se compose comme suit : 32 hommes, 33 femmes, 46 garçons, 47 filles. Les familles exerçant un commerce sont les suivantes (3) :
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En 1807, la somme de Fr. 1.179,65 est répartie entre 28 familles israélites de Pfastatt comme contribution au remboursement des dettes de la communauté des Juifs d'Alsace. La répartition a été faite d'après leurs contribution foncière, mobilière et patente de l'an X, d'après l'arrêté du Gouvernement du 18 Brumaire de l'an XII.
Au mois d'avril 1796, une école juive fut créée à Pfastatt. Les premiers éléments de la langue hébraïque furent enseignés aux enfants par les instituteurs suivants : Lehmann Joseph, né le 25 mars 1755 à Ribeauvillé, Grumbach Isaac et Bloch Véronique, institutrice. Ces instituteurs touchaient 9 Fr. par semestre et par enfant, et vivaient pauvrement. Les enfants des israélites indigents fréquentaient l'école chrétienne. En 1813, seize garçons et trois filles fréquentent l'école juive et 19 garçons et 8 filles, l'école chrétienne.
Vers le milieu du 18ème siècle une synagogue fut construite à Pfastatt sur l'emplacement qu'occupe actuellement la villa Oberlin. Cette première synagogue fut remplacée par une nouvelle vers le début du 20ème siècle (1900). Inaugurée en 1901, elle servit aux offices religieux jusqu'en 1934. L'administration, le contrôle et la surveillance de cette nouvelles maison religieuse incombait à M. Armand Bloch qui géra les affaires de la communauté israélite avec haute conscience et un zèle infatigable. Ne servant plus au culte, elle fut démolie vers 1946.
En 1809, M. Isaac Bernheim est nommé commissaire surveillant de la synagogue de Pfastatt. Par le décret impérial du 17 mars 1808 et l'arrêté du préfet du Haut-Rhin du 5 janvier 1811, les israélites doivent avoir des patentes pour l'exercice de leur commerce. Sur 25 demandes de patente, le conseil municipal accorde un certificat de bonne conduite et avis favorable à 8 commerçants et est d'avis de refuser le dit certificat et de n'accorder aucune patente pour un trafic quelconque aux 17 autres solliciteurs. Les motifs de refus sont divers, tant d'ordre moral, économique et social et ils semblent souvent empreints d'une certaine dose d'envie.
La place de Pfastatt sur une carte postale ancienne (détail) - © M. & A. Rothé |
Mais tous les israélites du village ne sont point riches ou commerçants, certains sont ouvriers de fabriques, et nombreux sont ceux qui figurent sur l'état des indigents de la commune, susceptibles d'aller chercher le bois mort dans la forêt communale. Sur cet état, en 1835, figurent 43 personnes dont 10 israélites.
De nombreux israélites sont membres des diverses sociétés de sport ou d'art populaire du village. Nombreux sont ceux qui sont membres actifs de la Chorale Harmonie et quoique israélites, ils chantent à l'église avant la scission de l'Harmonie qui donna d'une part, le "Herra-Gsang" et d'autre part, la chorale Ste-Cécile. C'est à l'initiative de M. Joseph Bernheim que nous devons dès 1900 une réunion d'information et par la suite, la création de la société de gymnastique Espérance, devenue si populaire sous le nom de "Speranza".
A partir de 1860, les israélites obtiennent droit de résidence dans de nombreuses communes des environs qui leur étaient interdites avant. Par ailleurs, la prospérité et le commerce sans cesse croissant de Mulhouse, attirent un grand nombre. Aussi de nombreuses familles israélites quittent le village : en 1850 on compte encore 153 israélites au village, 140 en 1900, 65 en 1920 et enfin 56 en 1931. Les dernières familles israélites quittèrent le village en 1940, expulsées par les autorités allemandes (5).
En général, les familles israélites de Pfastatt ont pris une grande part à l'évolution du village. Ce sont eux qui ont développé le commerce local et qui ont amené au village l'argent, le nerf même du commerce et des affaires. Dans l'ensemble, et à part quelques rares abus, une bonne entente régnait entre chrétiens et israélites.
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