Elie Scheid né à Haguenau ; comptable de formation, négociant de houblon pour brasserie, membre du Conseil municipal d'Haguenau, il entre au service du baron Edmond de Rothschild et s'occupera des oeuvres du Baron en Palestine, comme inspecteur des colonies agricoles qui y sont créées. Parallèlement, il mène une activité d'historien en publiant deux textes majeurs sur le judaïsme en Alsace : l'Histoire des Juifs de Haguenau (1885) et l' Histoire des Juifs d'Alsace (1887).
Le père d'Elie Scheid, Siméon Abraham, est né en février 1769 dans le village alsacien de Schirhoffen où vivait une ancienne et importante communauté juive. Après la Révolution française, il s'installe à Haguenau, grande ville du Bas-Rhin où sa famille avait fourni de nombreux membres au Tribunal rabbinique. Il y gagne d'abord sa vie comme colporteur, puis comme négociant en fer. En 1793, il épouse une femme venue d'une ville voisine ; elle lui donne trois enfants, qui meurent en bas-âge. Après son veuvage, il épouse en secondes noces Sarah Moch de Haguenau. Elle était jeune, elle avait vingt-deux ans quand lui en avait soixante. Elle aura neuf enfants : six mourront en bas âge et il ne leur restera qu'une seule fille, née en 1838, Elie Scheid, né le 25 octobre 1841 et un frère plus jeune, né en 1842.
Elie Scheid est un excellent élève à l'école primaire juive et y obtient de nombreux prix. Ses parents auraient voulu qu'une fois achevées ses études primaires, il cherche du travail, mais son maître Dreyfus les persuade de le laisser poursuivre ses études secondaires au lycée de Haguenau. Il peut donc continuer ses études grâce à l'obtention d'une bourse. Ce lycée laïque est ouvert le samedi, mais Elie refuse personnellement d'étudier le Shabath, et chaque dimanche, il va récupérer auprès de ses camarades les cours de la veille et les devoirs à faire pour le lendemain. Il soulignera que jamais au lycée il n'a souffert d'antisémitisme. Après ses études profanes, il se penche chaque jour sur la Guémara pendant deux heures chez un certain Moreau l'Ancien, puis chez le rabbin de la communauté. Il est persuadé que ses parents le destinent à la carrière rabbinique..
En février 1858, son père meurt alors qu'il est à peine âgé de 17 ans. Cela va changer le cours de sa vie : il comprend qu'il ne pourra pas terminer ses études secondaires et ne pourra devenir ni rabbin ni enseignant. Afin de subvenir aux besoins de sa famille, il apprend donc le métier de comptable ; il commence à travailler en octobre 1860.. Il se considérera toute sa vie comme un comptable.
Le notable de Haguenau
Après le décès de son père, les membres de la Hevra Kadisha chargés des rites funéraires ne s'inquiètent même pas de savoir s'il est possible de former un minyan (quorum de dix fidèles) pendant la semaine de deuil. Quatre ans plus tard, quand sa mère meurt, on ne trouve pas assez de personnes pour s'occuper de la levée du corps. C'est pourquoi il entreprendra de fonder une nouvelle organisation chargée des soins aux morts dont les membres doivent être célibataires. Il met aussi fin à l'existence de fonctions rétribuées pour la veille et l'enterrement des défunts. Le président de la nouvelle association, dénommée Confrérie du Peuple Elu (Am Segoula), répartit à sa guise les tâches entre ses membres et tous participent au minyan dans la maison des défunts. Elie est d'abord le secrétaire de l'association, puis son président jusqu'en 1883, année de son départ de Haguenau. En 1875, la nouvelle association a fusionné avec l'ancienne, le Comité de Bienfaisance.
Tels sont les premiers pas du jeune Scheid en tant qu'homme public. Il ne reculera jamais devant les responsabilités et affectionnera toujours les tâches d'organisation. La minutie qu'il apporte à son travail et l'importance qu'il accorde à la réglementation peuvent paraître excessives mais il ne répugne à aucun effort, même physique. Jusqu'à sa retraite, ce sera un homme dynamique, persévérant dans sa détermination à agir, un travailleur acharné et talentueux, novateur dans de nombreux domaines.
Plusieurs années après la disparition de sa mère, il est toujours comptable, travaillant pour des patrons juifs mais il doit travailler même le Shabath. .
A la même époque, il fair la cour à une jeune fille juive de Haguenau, Léontine Ah, qu'il épouse le 19 octobre 1865. Ils auront deux enfants : Zwil-Shimon (1866-1903) et Lucie (1869-1945), qui se mariera avec Albert Lévy et prendra le nom de Lévy-Scheid.
Un an après la naissance de Lucie la guerre entre la France et l'Allemagne éclate. Elie Scheid passe alors une longue période sous les armes. Après la bataille de Frösh Weiler, il devient le secrétaire du comité qui prend en charge les blessés. A la fin de la guerre il envisage de s'installer en France, mais il décide de revenir en Alsace, à présent annexée par l'Allemagne. Il choisit de se consacrer à sa ville et il est élu président de la Communauté israélite de Haguenau, après que le consistoire régional, qui était habilité à nommer le président, ait renoncé à ce droit et accepté d'organiser des élections. En 1875, il est élu membre du Conseil municipal de Haguenau. Il en devient rapidement secrétaire, en même temps que membre de la Commission des finances et de la Caisse d'épargne. Il sera constamment réélu jusqu'à son départ de la ville.
En 1874, Elie fonde, avec un associé, une affaire de négoce de houblon pour la brasserie, qui, est en plein essor en Alsace.
Mais en 1882, il renonce à ce commerce et reprend un emploi salarié. Cette même année il publie une monographie concernant la Société Guemilath 'Hasodim.
De Paris à Jérusalem
Le Baron Edmond de Rothschild, qui est alors Président du Comité de Bienfaisance Israélite de Paris, et avec qui il a été en contact dans le cadre de ses activités communautaires, se souvient de lui et de ses nombreuses compétences. Scheid se rend à Paris en janvier 1883 pour un entretien avec le baron, qui lui propose de réorganiser le Comité moyennant des émoluments annuels de 4200 f., logement en sus. Son épouse ne souhaite pas quitter Haguenau, mais elle doit se rendre à l'avis du grand rabbin de Paris Zadoc Kahn, qui conseille à son mari de prendre le poste qu'on lui offre.
Par la suite, Scheid repensera à cette décision en songeant à tous les ennuis qu'elle lui aura valu : s'il avait refusé cette proposition, il n'aurait pas réorganisé le Comité et ne se serait pas vu attribuer tant d'honneurs à la suite de sesefforts en faveur de l'édification de nombreuses colonies en Terre Sainte. "D'un autre côté, j'aurais eu une vie plus heureuse."
Le 12 juin 1883, Scheid quitte Haguenau pour prendre son poste et préparer l'arrivée de sa famille. A son arrivée il est déçu : les bureaux sont miteux et l'appartement promis n'étant pas prêt, il doit s'installer à l'hôtel.
Sa femme et ses enfants le rejoignent au mois d'août. Son travail est très accaparant et tous les lundis il doit se rendre chez le baron pour lui faire son rapport. C'est alors que le celui-ci oriente son action dans une direction nouvelle : il lui demande de réorganiser les implantations juives en Palestine. De cette date jusqu'en 1899, il sera "l'homme du baron Edmond" en tant qu'inspecteur des colonies agricoles de Palestine. Cette mission est considérée comme bénévole, elle est "incluse" dans le salaire qu'il reçoit du Comité de bienfaisance. Ce n'est qu'en 1891 que le Baron lui permettra de quitter le Comité et de se consacrer aux colonies juives, sans changement de salaire.
Lorsque sa mission prend fin en 1899, il en rend compte dans un ouvrage paru en hébreu : Mémoires sur les Colonies Juives et Ses Voyages en Palestine et en Syrie 1883-1899, par Elie Scheid (un ouvrage de 252 pages qui a été republié en 1982 par le Centre Itwhak Ben Zvi, et qui semble-t-il, n'a jamais été traduit inégralement en français).
Publications
Pendant ces années, Scheid consacre son temps libre à la rédaction de son ouvrage sur l'histoire des Juifs de Haguenau qui paraîtra en 1885. Pour la confection de cet ouvrage, il utilise les nombreux documents qu'il a rassemblés et compilés jusqu'en 1875 au cours de ses recherches sur les cimetières juifs. Ce travail paraît dans un numéro spécial de la Revue des Etudes Juives. Scheid, satisfait de cette première publication, décide d'entreprendre son ouvrage sur l'histoire des Juifs d'Alsace (paru en 1887). Pour ce faire, il travaille longtemps sur les archives régionales et municipales de Strasbourg, mais aussi un certain temps sur celles de Colmar, une semaine sur celles d'Illhäusern et quelques jours sur celles de Saverne, Rosheim et Obernai. Il examine les documents se trouvant dans de nombreuses villes d'Alsace jusqu'à ce qu'il parvienne à Porrentruy en Suisse, où il consulte les archives de l'archevêché de Bâle, qui avaient été conservées pendant une longue période dans le Haut-Rhin. Lorsqu'il revient à Paris, son ouvrage est presque achevé et il peut se consacrer au service du baron. Il en isole un seul chapitre, consacré aux Alsaciens, concernant Josselmann de Rosheim qu'en raison de sa longueur il décida de publier à part dans la Revue des Études Juives.
Toutes ces recherches sont le fruit du travail d'un historien amateur et bénévole, qui n'a même pas achevé ses études secondaires, mais leur valeur et leur impact n'en sont pas moindres. En dépit des années écoulées depuis la rédaction de l'ouvrage, les nouveaux documents découverts depuis et le regard neuf porté sur cette œuvre n'en ont pas amoindri l'intérêt. Dans ces travaux, Scheid révèle une personnalité intelligente et passionnée par le sort des Juifs d'Alsace. Il a mis au jour des centaines de documents en allemand, hébreu et yiddish et a su en faire un tout cohérent, parfois même saisissant. Par endroits cependant, il a négligé la perspective historique, attaché qu'il était à l'aspect concret des choses. C'est dans ce registre qu'il a le mieux réussi.
En 1911 il publie une biographie du poète Eugène Manuel.
Un Juif toujours alsacien
Le sentiment d'être un Juif alsacien ne l'a jamais quitté. Il s'est réjoui de retrouver en Palestine Samuel Hirsch, ressortissant alsacien, et à Haïfa Amiel Franck de Beyrouth, qui est lui aussi d'origine alsacienne. L'annexion de l'Alsace par l'Allemagne avait provoqué le départ de nombreux jeunes juifs qui avaient été élevés dans la culture française même s'ils vivaient en territoire allemand. Certains ont trouvé leur voie en travaillant pour le baron et ce faisant, ils ont importé en Palestine leur dévouement à la culture française et aux traditions juives alsaciennes. La France - et surtout Paris - est pour eux le centre du monde, et c'est une France philosémite. Ce pays est symbolisé par les Rothschild et par ce type de Juifs pour lesquels les droits du citoyen sont une chose naturelle, et la foi juive un choix délibéré.
L'attachement de Scheid pour l'Alsace apparaît également dans la fonction qui lui est attribuée en 1886 : secrétaire de l'Association pour la restitution de leurs droits aux habitants d'Alsace-Lorraine qui ont choisi, après son annexion par l'Allemagne, de rester français. Placé à la tête de cette association en 1888, il doit la quitter en 1892 lorsque ses voyages en Palestine se font trop fréquents.
Le 31 décembre 1899, après avoir effectué vingt-deux voyages en Palestine, Elie Scheid prend sa retraite, bénéficiant d'une pension que lui verse le baron. Il s'occupe ensuite d'œuvres de charité et en particulier à Paris du Comité de Bienfaisance Israélite et du Comité Juif pour les étudiants.
Il meurt en 1922, de vieillesse semble-t-il. La veille de son décès, il a une discussion animée sur le sionisme avec le jeune médecin Vidal Modiano, sioniste convaincu, qui sera plus tard le responsable des organisations juives en Terre Sainte. Scheid affiche toujours les mêmes idées et la déclaration Balfour n'y a rien changé : il a toujours soutenu l'implantation juive, mais la création d'un Etat lui semble défavorable aux colonies pionnières. Les années qui se sont écoulées ne lui ont pas ouvert les yeux.
La foi de Scheid est intacte. Sa maison est cachère parce que sa femme y tient. Il se conforme également à cette maxime de l'époque de la Haskala (époque des Lumières) :"Sois Juif chez toi et homme au dehors". En dehors de chez lui il "est un homme", ce qui ne l'empêche pas de travailler pour des institutions juives. De ce point de vue, c'est un juif alsacien typique, très proche de la Communauté en matière de charité, mais peu exigeant sur le plan de la cacherouth ou du travail le Shabath. Ce faisant il ne se sent pas coupable de transgression envers la loi de ses pères ou d'atteinte à la valeur des mitsvoth régissant la vie quotidienne. Il exècre toutes les formes d'extrémisme. Scheid est également un hazan (chantre) amateur mais pas un talmudiste érudit.
Jusqu'à la fin de sesjours, il est resté un Juif né dans un village d'Alsace, et pour lequel le travail avait une importance capitale. Ce n'est pas par hasard que sur le caveau de famille ont été gravés ces mots "Famille E. Scheid de Haguenau". Il ne voulait pas - et n'a pas cherché - à s'éloigner de son village et de ce qu'il représentait pour lui.
Son épouse l'avait précédé dans ce caveau qu'il avait fait aménager dans le secteur juif du cimetière du Montparnasse.
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