Petite communauté dont la synagogue, datant du milieu du 19ème siècle (1850) fut démolie en 1877.
En 1850, on compte une vingtaine de familles, ce qui fait quarante adultes et une bonne cinquantaine d'enfants.
D'après les registres des naissances, il semblerait qu'ils soient arrivés après 1815. Il y avait d'abord Charles PICARD, marchand, et son épouse Sara BERNHEIM, venant de Foussemagne ; Isaac PICARD, colporteur, et son épouse Sophie NATHAN ; Jacques BERNHEIM, marchand, et Sara GINTZBURGER ; Jacques DREYFUSS, marchand et Salme BERNHEIM ; Samuel DREYFUSS, marchand, et Fleur HAAS.
Puis il y eut la deuxième génération : les enfants se sont mariés et installés à Soppe : Moïse PICARD avec Rose BLOCH, Emmanuel PICARD avec Émilie WEIL, Isaac PICARD avec Pauline LEVY, Maurice PICARD avec Madeleine BLOCH, Théodore PICARD avec Charlotte DREYFUSS, Wolff DREYFUSS avec Pauline BLOCH, Lazare BLOCH avec Émilie PICARD, Samuel WEIL avec Barbe ULMANN, Moïse WIRTENSCHLAG avec Ève LEVY, Emmanuel WIRTENSCHLAG avec Sara GUGENHEIM.
Pourquoi se sont-ils installés à Soppe ? C'est que notre village connaissait un fort trafic sur la RN 83. Beaucoup de marchandises et de personnes transitaient par cet axe nord-sud, et l'on s'arrêtait pour se restaurer ou pour passer la nuit. On rencontrait du monde, et cette situation favorisait le commerce.
Et pourquoi étaient-ils tous marchands ? L'antisémitisme
existait depuis fort longtemps. Au moyen-âge, l'on interdisait aux juifs
d'exercer un métier noble, comme menuisier, forgeron, maréchal-ferrant,
etc. Ils n'étaient autorisés qu'à s'occuper des bêtes,
et à faire du commerce.
C'est ainsi que deux frères PICARD sont marchands de chevaux, les WIRTENSCHLAG
marchands de bétail, Jacques DREYFUSS marchand de peaux. Le rabbin, Jacques
SCHWOB, était boucher, comme Isaac et Théodore PICARD. Ils étaient
aussi marchands de draps, d'étoffes, de tabac, épiciers, courtiers,
colporteurs, etc.
Ils ont toujours cherché à s'intégrer. Ils devinrent assez rapidement propriétaires de terrains : le 8 janvier 1822 Joseph MEYER vendit à Charles PICARD 10 ares de pré au lieudit Bilhag et 14 ares au lieudit Merckenbach ; puis de leurs maisons : le 24 août 1826, les héritiers de Nicolas PINGENAT vendirent à Samuel DREYFUSS et Jacques DREYFUSS "une petite maison avec écurie, jardin, verger et potager, d'une contenance de deux ares". Ils ont fait partie de la vie du village, jusque vers 1970.
Seule ombre au tableau : Judith PICARD, née le 28 mars 1896, fille de Charles et Henriette MARX, est décédée en Pologne le 28 mars 1943, elle avait 47 ans ; Céline PICARD, née le 25 juillet 1861, fille de Isaac et Jeannette WIXLER, est décédée à Auschwitz le 12 mars 1944, elle avait 83 ans.
La plupart des anciennes rues de notre village indiquent une destination, par exemple la rue de Bretten, qui vous indique la direction du village de Bretten, ou celles de Diefmatten, de Guewenheim, de Soppe-le-Haut. Néanmoins, comme en grammaire, il y a une exception à la règle : la rue des Juifs. Celle-ci nous indique une origine, car, que nous le voulions ou non, nous sommes tous des fils d'Abraham et de Moïse, c'est-à-dire des juifs. Certes, l'histoire a voulu que nos communautés se différencient par leurs coutumes et leurs traditions, mais ici, à Soppe-le-Bas, je peux vous l'affirmer, pour l'avoir vécu dans ma jeunesse, la communauté juive et la communauté chrétienne ont cohabité en toute harmonie et je dirais même en pleine communion.
En 1850, Soppe-le-Bas comptait parmi les siens une vingtaine de familles juives, c'est-à-dire environ quarante adultes et une cinquantaine d'enfants. Une synagogue, détruite dans les années soixante-dix, leur permettait de pratiquer librement leur culte sous l'autorité d'un rabbin. Leurs activités étaient essentiellement orientées vers le commerce et les métiers de bouche. C'est ainsi que, dans notre village, traversé à l'époque par la route nationale n°83, nous nous honorions d'avoir des marchands de bestiaux, de draps, d'étoffes, de tabac, nous étions heureux d'avoir des épiciers, des courtiers, si bien qu'à l'époque on appelait Soppe-le-Bas dans les villages voisins "Le petit Paris".
Alors qu'aujourd'hui, dans les villes, la cohabitation entre communautés s'avère parfois délicate, ici à Soppe-le-Bas, nos différences étaient comprises et respectées. J'ai moi-même, avec mon père, donné du fourrage au bétail de notre ami Georges Picard, les jours du Shabath. L'esprit d'entraide régnait entre les communautés religieuses, et certains Soppois se souviennent encore d'avoir allumé ou entretenu le feu dans les foyers juifs la veille du Shabath. Ces services étaient empreints d'une estime mutuelle et étaient toujours récompensés par une aide ou une attention particulière. Jamais une foire Sainte-Catherine à Altkirch ne se passait sans que les voitures de Georges, Sylvain ou Alphonse Picard ne servent de taxis, car ils étaient les seuls à posséder des voitures. Jamais un agriculteur ne se trouvait dans une situation financière délicate sans que les marchands de bestiaux ou les épiciers ne leur viennent en aide pour leur faire passer cette épreuve difficile. Alors que la sécurité sociale n'existait pas, combien de Soppois ont pu consulter un médecin, se faire soigner, en demandant une avance chez Georges Picard en attentant que la vache puisse être vendue dans des conditions acceptables ?
Beaucoup d'entre nous habitent des maisons "juives", et j'ai moi-même grandi dans l'une d'entre elles. Pendant dix ans, une mezouzah ornait le chambranle de ma chambre à coucher sans que je connaisse la signification de cet objet. Aujourd'hui, toutes les traces de ce passage de la communauté juive disparaissent peu à peu dans l'indifférence générale. André Liller me rappelait récemment qu'il avait été question, dans les années 1970, de rebaptiser la rue des Juifs.
Aujourd'hui, il n'est plus question de rebaptiser cette rue, mais bien au contraire de la confirmer et d'honorer celles et ceux qui furent les acteurs indissociables de l'histoire de Soppe-le-Bas. Cette plaque commémorative doit rappeler aux passants qu'ici vivaient en harmonie deux communautés, que la bêtise humaine a commencé par séparer à l'aube de la deuxième guerre mondiale. Nous nous devons de rappeler que Judith Picard est morte en Pologne le 28 mars 1943 et que Céline Picard est morte à Auschwitz le 12 mars 1944. Ce ne sont pas des anonymes, nos parents les ont connues, elles ont probablement mangé à la même table, elles ont travaillé avec eux, elles étaient soppoises. Cet épisode tragique et inexcusable dans l'histoire de l'humanité nous rapproche à jamais de la communauté juive. Nous nous souviendrons également des derniers résidents juifs à Soppe-le-Bas, Georges Picard et son épouse, dont la maison a été démolie après leur départ à l'hospice israélite de Pfastatt. Nous nous souviendrons également de Théodore, qui faisait ses tournées en vendant draps et tissus, de Paul, qui était notre dernier boucher juif et nous consommions tous de la viande kasher issue de son étal, d'Alphonse, qui était marchand de bestiaux installé à Dannemarie, propriétaire de la boucherie et philosophe à ses heures. Avec eux a disparu le commerce local, et c'est bien dommage !
Que cette journée du 3 juillet 2011 soit pour nous tous un moment d'intense émotion et de souvenir. Que cette plaque rappelle, à nos enfants comme à nous-mêmes, qu'au-delà de tous les débats philosophiques, il n'est point besoin d'être de grands théoriciens ou même de grands théologiens pour vivre en parfaite harmonie dans le respect des différences. Il a fallu à nos pères un peu plus de bon sens que nous en avons aujourd'hui pour comprendre que dans la différence partagée et comprise, se trouvait la clef de la prospérité et de la richesse de l'esprit.
Vive la rue des Juifs !
Vive le souvenir éternel envers les juifs de Soppe-le-Bas !
Vive Soppe-le-Bas et vive la France !
Francis GUTTIG
Maire de Soppe-le-bas
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