Comme beaucoup d'autres villes et villages d'Alsace, Wattwiller possédait autrefois une petite communauté israélite, qui ne comptait pas moins d'une cinquantaine de membres vers le milieu du 19ème siècle. La présence juive est attestée dès le moyen-âge dans cette petite ville fortifiée, redevenue un simple village après la Révolution. Les derniers juifs quittèrent Wattwiller en décembre 1914, peu avant la destruction du bourg par faits de guerre. La communauté ne se reforma pas après la guerre.
Une minorité persécutée au moyen-âge
En 1270, il est fait mention pour la première fois de juifs établis dans les terres de l'abbé de Murbach, seigneur de Wattwiller. Ces juifs, qui avaient à leur tête un "évêque juif" (rabbin ou parnass), renoncèrent par écrit à faire valoir leurs doléances et à entreprendre une action en justice pour les dommages que leur avaient causé l'abbé Berthold de Steinbrunn (1260-1285) "et ses prédécesseurs" (1). La plupart d'entre eux habitaient sans doute à Guebwiller, où une "synagoga Judeorum" est attestée dès 1330, mais quelques-uns étaient peut-être déjà établis à Wattwiller ou s'y établirent par la suite, lorsque cette localité fut fortifiée et érigée en ville par l'abbé Berthold ou par son successeur immédiat (avant 1306). Quoiqu'il en soit, il y avait des juifs à Wattwiller dès la première moitié du 14ème siècle : un martyrologue juif médiéval cite en effet Wattwiller parmi les villes où les juifs furent persécutés pendant la Peste Noire (1349) (2).
A la fin du 15ème siècle, des juifs habitaient de nouveau dans la petite ville, puisqu'en 1488 le curé Conrad Anewiler vendit deux mesures de vin à l'un d'eux, nommé Mathias : "Item hab ich geben Mathis dem iuden ij omen win dar fur 1 lib. vj s.d." (3).
Au début du siècle suivant l'abbé Georges de Masevaux chassa les juifs de ses terres. Un édit de l'Empereur Charles-Quint en date du 16 février 1521 interdit à tout juif de s'établir dans les terres de l'abbaye à l'avenir. L'année suivante (1522), les juifs de Wattwiller, qu'on avait peut-être épargnés jusque-là, furent obligés de quitter la petite cité (4).
Le "Juden Eydt "de Wattwiller
Le seul document que nous ayons trouvé concernant les juifs de Wattwiller au Moyen-Age, est le "Juden Eydt" ou serment des juifs, dont la formule fut recopiée dans le "Stattbuch" (recueil des statuts urbains) rédigé en 1572 (5). En voici la traduction :
"Un juif doit jurer, lorsqu'on lui demande de dire la vérité sans haine ni passion mais uniquement pour l'amour de la vérité et dans l'intérêt de la justice, qu'il est innocent, ainsi Dieu lui soit en aide qui a créé le ciel et la terre, les feuilles et l'herbe, l'eau, le feu, la lumière et la brume et tous les fruits de la terre ; et s'il fait un faux serment, que plus jamais ne lui viennent en aide (les Dix Commandements ?) (6) que Dieu donna à Moïse sur le mont Sinaï dans les Tables de Pierre ; et s'il fait un faux serment, que plus jamais ne lui viennent en aide les Saints Noms qui figurent dans les Cinq Livres de Moïse ; et s'il fait un faux serment, que tes (sic) os ne trouvent jamais le repos dans le sein d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, que tu deviennes lépreux comme Giézi et Esau et que la terre t'engloutisse comme Coré, Dathan et Abiron".
Par rapport aux autres serments "more judaico" connus, celui de Wattwiller a ceci d'original qu'il fait allusion à l'histoire de Giézi, serviteur du prophète Elisée, qui devint lépreux pour avoir menti à son maître par intérêt. Quant à Esaü, qui vendit son droit d'aînesse à son frère Jacob moyennant un plat de lentilles, il ne fut jamais lépreux selon la Bible, mais son corps était couvert de poils disgracieux !
Retour des Juifs au 17ème siècle
Dès la première moitié du 17ème siècle quelques familles juives furent de nouveau autorisées à s'établir dans la principauté de Murbach. En 1625, les autorités de l'abbaye obligèrent les juifs placés sous la protection du prince-abbé, à contribuer à la défense de l'Empire et à l'entretien de ses armées, en souscrivant une obligation de 1000 livres (7). Parmi les chefs de famille qui s'engagèrent à acquitter les intérêts de cette somme, il y avait un juif de Wattwiller nommé Lazare. C'est sans doute ce même Lazare, accompagné de son fils Isaac, qui se présenta devant le péager de Bergheim, le 20 août 1629, pour acquitter le péage corporel auquel étaient soumis tous les juifs à l'entrée des villes : "Den 20 augusti ist an kom(m)en Lasserus und Issach sein Sohn von Wadtweiller, zwen arme Judten, verzolt jedter 6 K. (...)".
C'était un juif pauvre, selon le péager (8).
Au lendemain de la guerre de Trente Ans, en 1651, un juif du nom de "Hürtz Franckfort" sollicita du chancelier de l'abbaye de Murbach l'autorisation de résider à Wattwiller pendant quelque temps, pour y faire le commerce de diverses marchandises ("mit allerhandt wahren zu handtlen"). Il promit de ne pas porter préjudice aux bourgeois de la petite ville, mais au contraire de leur rendre service, comme il l'avait déjà fait en leur avançant de l'argent et en leur fournissant du bétail à crédit. Il présenta au chancelier plusieurs "congés" ou certificats de bonne vie et moeurs indiquant qu'il avait séjourné précédemment à Rheinfelden, puis en France, puis "à Avignon dans les états de Sa Sainteté le Pape", puis de nouveau à Rheinfelden. Son beau-frère Lazare l'avait recommandé au bailli de Wattwiller, qui l'avait renvoyé à son supérieur hiérarchique (9).
En 1657, la Régence de Murbach accorda à un juif du nom de "Hürtzlin" le droit d'habitation à Wattwiller, moyennant le paiement d'un "droit de protection" annuel de 10 florins. C'était sans doute le même que le précédent (10).
En 1658 Hirtzlin acheta une maison située à Wattwiller dans le quartier dit "Ellen-bachviertel" (11). Un autre juif, nommé Aron, fut autorisé à s'établir à Wattwiller en 1657, mais il n'y resta pas longtemps. En 1669, seul Hirtzlin habitait encore à Wattwiller, alors qu'Uffholtz comptait cinq familles juives (comptes seigneuriaux).
Bouchers, marchants de bestiaux, revendeurs, marchands de fer
Pour des raisons tenant à leur religion, les juifs ont de tout temps pratiqué le métier de boucher : le judaïsme impose en effet à ses adeptes de ne consommer que de la viande "kasher" provenant d'animaux abattus selon le rite juif. Dans une supplique adressée à la Régence de Murbach vers 1658, la commune de Wattwiller se plaignit de ne trouver personne parmi les chrétiens qui acceptât d'exercer le métier de boucher dans la petite ville, tant que les juifs du lieu jouiraient du privilège d'abattre du bétail et d'en débiter la viande (12). En 1658, la Régence autorisa le boucher Nicolas Warray à ouvrir une boucherie à Wattwiller et interdit par la même occasion aux juifs du lieu de lui faire concurrence.
L'interdiction faite aux juifs d'abattre du bétail fut renouvelée l'année suivante, preuve qu'elle n'était pas respectée (10). Dans les années 1670 à 1680 les juifs du bailliage de Wattwiller avaient recouvré le droit d'abattre du bétail selon leur rite puisque, plusieurs d'entre eux acquittèrent les droits d'accise qui frappaient la viande de boucherie (13).
L'activité principale des juifs du 17ème siècle était cependant le commerce des bestiaux. En 1668, par exemple, le juif Wolf Wechsler de Wattwiller vendit une paire de bœufs de labour au fermier du sire de Hagenbach pour le somme de 52 L. 10 s. (11). Le même Wolf - et avant lui, son père, le "vieux Hirtzell" - jouissaient du privilège de faire le commerce des bestiaux dans la ville de Mulhouse, où ils avaient leurs entrées en 1663 et en 1674, alors que cette ville était interdite à la plupart des autres juifs de la région (14). En 1680, la Régence de Murbach enjoignit aux juifs du bailliage de Wattwiller de ne plus faire paître leurs bestiaux sur les pâturages communaux sans les avoir gardés à l'étable pendant quinze jours au préalable et sans avoir produit de certificats d'origine attestant que les animaux ne provenaient pas d'endroits où sévissaient des épizooties. Les juifs de Wattwiller furent autorisés à "chasser trois bovins au troupeau communal". Ils avaient le droit de "chasser" le restant de leur bétail "du côté du moulin" et de parquer leurs chevaux sur les communaux (Allmendt), "parce qu'ils n'en gardaient aucun longtemps". Il y avait alors deux juifs à Wattwiller, Jacob et Mathias, qui payaient 30 L. par an à l'abbaye de Murbach et 8 L. à la commune (10).
En 1669, l'abbaye de Murbach amodia le débit du fer ("Eysenhandel") pour les bailliages de Wattwiller et de St-Amarin au juif Wolf Wechsler de Wattwiller. Celui-ci afferma également le débit du fer dans le bailliage de Guebwiller par la suite, tout en conservant celui du bailliage de Wattwiller, qu'il confia à des commis. En 1685, les bourgeois de Wattwiller se plaignirent de ce que Wolf Wechsler avait renvoyé le commis juif qui s'était occupé jusque-là de la vente du fer dans le bailliage et de ce qu'il voulait faire venir un autre juif pour le remplacer. En attendant, ils étaient obligés d'aller acheter leur fer à Guebwiller, à grands frais (10).
Les juifs de Wattwiller étaient également revendeurs ou brocanteurs à l'occasion : en 1681, un mercier déclara au prévôt de Wattwiller qu'il venait d'apprendre qu'un juif de la petite ville avait acheté pour les revendre, des marchandises volées à lui et à ses camarades à différentes foires de la région (notamment du tissu). Le juif incriminé expliqua que deux merciers qu'il avait rencontrés dans le Sundgau lui avaient cédé ces marchandises en échange d'un "mauvais cheval" et de 5 écus d'Empire. Il ne pouvait pas savoir qu'il s'agissait de marchandises volées (10).
Un mariage mouvementé
En 1680, un juif du nom de Jacob se maria à Wattwiller. Pendant la noce une bagarre éclata, mettant aux prises trois des invités. Celui qui avait provoqué la bagarre (un certain Mänlé de Soultz, commis de Wolf Wechsler), et ceux qui y avaient pris part (deux Juifs de Wattwiller), furent condamnés à 30 L. et à 10 L. d'amende "par la communauté juive ou par le rabbin". L'année suivante la Régence de Murbach les condamna en outre à 20 L. et à 10 L. d'amende au profit de l'abbaye, dans la juridiction de laquelle l'incident s'était produit. Les autorités de l'abbaye exigèrent de Wolf Wechsler une liste détaillée des amendes qu'il avait infligé à ses coreligionnaires "depuis qu'il était rabbin dans la principauté" - "zeith er Rabbi in der fürst. Stifft". L'abbé de Murbach avait en effet droit à la moitié du montant de ces amendes. Le nouveau marié, Jacob, fut condamné à une amende lui aussi, pour avoir servi du vin et de la viande à ses invités sans avoir acquitté les taxes qui frappaient ces produits. A la suite de ce mariage mouvementé, la Régence de l'abbaye interdit aux juifs de son territoire de se marier sans son autorisation (10).
Cet incident survenu aux noces de Jacob a au moins un mérite : il nous fait connaître le nom du premier rabbin ou préposé des juifs de la principauté de Murbach. C'était un Wattwillerois : Wolf Wechsler, fils du juif Hirtz ou Hirtzlin qui s'était établi dans la petite ville au lendemain de la guerre de Trente Ans. Ce personnage riche et influent habita successivement à Wattwiller, où il acquit la demeure du greffier-tabellion Didenheim en 1670 (11), à Guebwiller, où habitait son beau-père, Gabriel Bloch, à Soultz à partir de 1680, puis de nouveau à Guebwiller, de 1685 à 1701, date probable de sa mort. En 1694, il est également cité comme "préposé des juifs du Haut-Mundat" de Rouffach (15).
Formation d'une communauté juive wattwilleroise au 18ème siècle
En 1706, lorsque le prince-abbé de Murbach fit recenser les juifs de son territoire, il n'y avait plus qu'une famille juive à Wattwiller : celle d'Abraham Speyr, cité comme gendre de Wolf Wechsler cinq ans plus tôt. Il payait 12 écus d'Empire à l'abbaye de Murbach pour le "droit de protection" (16). Il exerçait le commerce d'argent à Wattwiller et dans les localités environnantes (11).
L'année suivante, trois juifs payèrent les "droits de protection des juifs" à Wattwiller : Abraham Speyr, Isaac Meyer et un troisième, qui exerçait le métier de savonnier ("der seyffensietter").
En 1715, la communauté de Wattwiller comptait déjà cinq membres : Abraham Speyr, Jacob Berle (boucher), Joseph Schick, Bernard Bollack et Gersom See. En 1725, trois nouveaux noms avaient fait leur apparition : Abraham Spiro (à côté d'Abraham Speyr, toujours vivant !), Hirtz Weill et Judel Bloch. En 1748, la communauté wattwilleroise comptait 9 chefs de famille : Hirtz Weill, Aron Spiro, Heymann Spiro, Judel Brisgeyer, Nachmann Grothwohl, David Schick, Isaac Weill, Ber Bollach et David Dreyfues (17).
Puis la communauté cessa de croître. Murbach n'autorisa plus aucun juif étranger à s'établir dans la petite ville. En 1751, Nachmann Grothwohl, natif de Buswiller (Basse-Alsace), qui avait épousé dès 1745 la fille de Ber Bollach de Wattwiller, dut s'engager par écrit à quitter la ville dès le décès de son beau-père, chez lequel il habitait depuis son mariage (11). Cinq ans plus tard, il obtint cependant un "décret d'admission", moyennant 50 livres, et put rester à Wattwiller (10).
En 1752, six juifs d'Uffholtz qui n'avaient pas respecté cette ordonnance, furent expulses. Heymann Spira, "puisné d'Abraham Spira" de Wattwiller, faillit subir le même sort (19).
Le 26 septembre 1763, Heymann Spiro obtint pour son propre fils Daniel le droit d'habitation à Wattwiller moyennant 200 livres tournois dont 50 livres revinrent au curé et 50 livres "aux pauvres" de la petite ville (10) !
En 1782, Abraham Dreyfus fut condamné à 6 livres d'amende "pour avoir donné asile chez lui depuis longtemps à un juif étranger avec son enfant sans l'agrément du seigneur" (18). Une ordonnance du Prince-Abbé interdit même aux "fils puisnés" des "anciens juifs habitans à Uffholtz et Wattwiller" de rester dans leurs village ou ville natals après leur mariage : seuls les fils aînés avaient ce privilège.
En 1784, la communauté juive de Wattwiller ne comptait que huit ménages, soit un de moins qu'en 1748. La population juive d'Uffholtz était passée de 21 à 44 ménages dans le même laps de temps.
La synagogue et les maîtres d'école
Dès le début du 18ème siècle, les juifs de Wattwiller payaient un maître d'école pour assurer l'instruction religieuse de leurs enfants. En 1719, Behraron, qui avait été "engagé comme maître d'école hébraïque pour l'instruction des enfants juifs" de la petite ville ("ais Juden Schullmeister...zue lehrung denen Juden kinder gedingt worden"), moyennant 11 livres de gages (pour 6 mois ?), réclama son juste salaire à l'expiration de son contrat.
En 1730, le "maître d'école juif" de Wattwiller s'appelait Gottlieb Kahn : Abraham Spiro et son fils Heymann furent condamnés à fournir une livre de cire à l'église pour s'être livrés à des voies de faits sur sa personne.
En 1779, un dénommé Jacques ou Jacob Kahn est cité comme "Maître d'école" : une habitante de Wattwiller lui réclama la restitution d'une jupe et d'un tablier qu'elle lui avait donné en gage pour sûreté de 6 L. qu'il lui avait prêté (18).
Enfin en 1784, le maître d'école de la communauté juive de Wattwiller s'appelait Jacob Samuel : il exerçait simultanément les fonctions de chantre à la synagogue de la petite ville (20). Celle-ci est citée pour la première fois en 1763 : cette année-là, la communauté y fit faire des réparations par le menuisier Fidèle Bischoff, qui lui réclama, l'année suivante, "la somme de 175 L. pour restant de celle de 275 L. portée par le marché et convention fait le 27 Juillet" 1763 (18). La synagogue ou "Judenschul" de Wattwiller était située dans le quartier dit Ellbach Viertel (11).
Deux cas de conversion au18ème siècle
Les conversions de juifs au christianisme étaient extrêmement rares autrefois, si rares que Bernard de Ferrette, chanoine du chapitre de Murbach, en mentionne quelques unes dans son Diarium comme s'il s'agissait d'événements tout à fait extraordinaires. Il nota ainsi à la date du 27 avril 1726, le baptême d'une "fillette de dix ans, fille d'un juif wattwillerois nommé Abraham Speyr". Elle fut baptisée par le prince-abbé Célestin de Beroldingen en personne et eut pour parrain Joseph-Antoine de Beroldingen, neveu de l'abbé, et pour marraine, Sophie-Esther de Gohr, née de Reinach, de Wattwiller. La fillette serait allée "de son propre mouvement" auprès du prince-abbé à Guebwiller pour se faire instruire dans la foi catholique (21).
Le 26 juillet 1778, Daniel Spiro de Wattwiller se fit baptiser à Vieux-Thann et prit les prénoms de Joseph-Antoine. Il avait épousé "more judaico" Blümle Grumbach, encore vivante. Interrogée par trois fois par le curé de Wattwiller si elle voulait vivre avec son mari converti - "et sine injuria salvatoris cohabitare" (cohabiter pacifiquement et sans dommages) -, elle refusa. Le 15 janvier 1780, Joseph-Antoine Spiro se remaria à Vieux-Thann avec Catherine Nachbauer de Schweighouse, dont il eut quatre enfants (22).
Nul doute que ces conversions n'aient suscité des discussions passionnées dans la communauté dont les néophytes étaient issus ! En 1770, Rellen Weyl et la femme de Simon Brisgauer de Wattwiller en vinrent aux injures aux cours d'une de ces discussions. "La querelle aurait commencé au sujet de la fille juive qui a été baptisée à Uffholtz. La demanderesse aurait dit sans aucun sujet à la défenderesse que cette fille était une P... comme elle !" (18).
La communauté à la veille de la Révolution
En 1784, la communauté juive de Wattwiller était "composée de huit familles et de trente-un individus". Voici la composition de ces familles d'après l'Etat du 4 novembre 1784 (20) :
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Sous la Révolution et l'Empire
La Révolution commença fort mal pour les juifs d'Alsace qui furent parmi les premières victimes des troubles de 1789. C'est ainsi que la synagogue et les maisons juives d'Uffholtz furent pillées et dévastées par les émeutiers de la vallée de St-Amarin à la fin du mois de juillet. Celles de Wattwiller échappèrent de justesse au même sort grâce à la présence d'esprit du greffier-tabellion Ingold, qui fit porter des vivres aux émeutiers sur la route de Soultz pour éviter qu'il n'entrassent dans la petite ville. A leur retour de Guebwiller, où ils avaient commis d'autres excès, les émeutiers furent dispersés par les troupes du général de Vietinghoff, avant qu'ils n'eussent eu le temps de s'en prendre aux juifs de Wattwiller et à leurs biens, apparemment (23).
Deux ans après ces événements malheureux, la Révolution accorda aux juifs la citoyenneté française avec tous les droits, mais aussi avec les devoirs qui y étaient attachés (1791). Parmi ces devoirs, il y avait l'obligation d'effectuer un service militaire.
Lehmann Dreyfus, fusilier au 57e Régiment de l'Armée d'Allemagne, fut un des premiers Wattwillerois à mourir pour la France : il fut tué à Peterswald en Allemagne le 14 septembre 1813.
Sous l'Empire, à la suite du décret impérial du 20 juillet 1808, les citoyens de confession israélite durent choisir un prénom et un patronyme fixes pour eux, leur femme et leurs enfants, à l'instar des autres citoyens. Les juifs de Wattwiller conservèrent tous leur nom de famille traditionnel, mais certains d'entre eux furent obligés de troquer leur prénom judéo-allemand contre un autre prénom, reconnu par l'administration. C'est ainsi que Meyer Dreyfus adopta le prénom de Michel, alors que Meyer Grothwohl préféra celui de Marc. Reitzle Dreyfus choisit le prénom d'Elisabeth, Mehrlen Bloch, celui de Marie-Anne, Rele Weyl, celui de Reine ou Régine, prénom que Léopold Weyl choisit également pour sa fille Zipper, etc. Dans le privé, les juifs continuèrent à se servir de leurs prénoms traditionnels jusqu'au début de ce siècle. A la mort du boucher Meyer alias Marc Grothwohl (1814), l'officier de l'État civil de Wattwiller fut apparemment incapable de se souvenir du prénom "officiel" du défunt, puisqu'il laissa le prénom en blanc dans le registre des décès ("N. Grothwohl") (24).
La communauté au 19ème siècle
Au 19ème siècle, la communauté israélite de Wattwiller s'agrandit légèrement, puisqu'elle passa à une cinquantaine de membres vers le milieu du siècle : 49 en 1841, 38 en 1851, 47 en 1856 et en 1861. Après la guerre de 1870-71, elle déclina légèrement, puis se stabilisa jusqu'à la fin du siècle : 29 membres en 1880, 33 en 1899, 28 en 1901 (25).
Les métiers exercés par les juifs de Wattwiller au 19ème siècle étaient les mêmes qu'avant la Révolution : boucher, marchand de bétail (quatre en 1882), commerçant (mercier, marchand de tissus, quincailler, etc.) (26).
Au spirituel, la communauté wattwilleroise dépendait du rabbinat d'Uffholtz, dont le siège fut transféré à Cernay après la guerre franco-allemande (27). En 1841, le "Commissaire surveillant" de la synagogue et les "chefs de famille de la Communauté Israélite de Wattwiller" s'adressèrent au préfet du Haut-Rhin pour lui exposer
"que le local qui jusqu'ici a servi de synagogue dans la commune de Wattwiller, vient de s'écrouler par vétusté et que la reconstruction de ce bâtiment, qui doit contenir soixante personnes, quelque simple qu'on le fasse, exige une somme d'au moins douze cents francs".
"La communauté n'étant composée que de familles pour ainsi dire pauvres", les exposants prièrent le préfet "de venir à leur secours pour cette reconstruction".
Ils n'obtinrent pas de subvention du département, mais le conseil municipal de Wattwiller leur accorda une somme de 150 francs, "pour participer à la reconstruction du local" (28).
A la veille de la première guerre mondiale, les juifs de Wattwiller célébraient leur culte dans une maison particulière dont ils louaient une salle, rue de la Victoire dans l'ancien "Ellbach Viertel" (29). Le bâtiment fut détruit pendant la guerre de 1914-1918.
Fin de la communauté
En 1900 la communauté juive de Wattwiller comptait encore 28 membres, alors que celle d'Uffholtz, forte de 180 membres en 1851, n'en comptait plus que six. Le nouvel essor pris par les Bains de Wattwiller au 19ème siècle explique peut-être la résistance de la communauté wattwilleroise à l'exode rural qui laminait ses voisines.
En détruisant à la fois l'établissement de bains et le village, la guerre de 1914-18 mit brutalement fin à près de trois siècles de présence juive à Wattwiller. Dispersée pendant la guerre, la communauté juive de Wattwiller ne se reconstitua pas après 1918.
Aujourd'hui, seul le nom dialectal d'une ruelle du village "s'Judegassle", ruelle située au-dessus de la Mairie) rappelle qu' "il y avait une fois" des Juifs à Wattwiller. Les anciens du village se souviennent encore d'Emile et de Léopold Weill, qui habitaient dans cette ruelle à la veille de la guerre : le premier exerçait les fonctions de "Vorsinger" (chantre, 'hazan) à la synagogue du village, le second tenait une boucherie, dont on peut encore voir quelques vestiges derrière la maison de feu Auguste Jardon (30).
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