BACOURT
par Henry Schumann
Extrait de Mémoire des communautés juives de Moselle

Avant 1900, il existait une communauté juive et une synagogue dans ce petit village situé près de Delme.
Il subsiste encore aujourd'hui un pan de mur de la synagogue et un vestige du mikve (bain rituel) en plein air, au milieu du jardin de Madame Belloy. Celle-ci se souvient que sa mère lui racontait que les femmes juives venaient s'y purifier à la tombée de la nuit.
Sources: Archives juives, Mairie de Bacourt
© Henri Schumann

Vestige du mikve

Vestige de la synagogue
En 1939, il ne restait qu'une famille de commerçants
ambulants, Monsieur et Madame Amselle. Tous deux
sont décédés en déportation et leurs noms figurent sur
le monument aux morts de la commune.

Stèle commémorative d'Albert et Emilie Amselle

BAUDRECOURT
par Jean-Bernard LANG (*)
page réalisée avec le concours de Pascal FAUSTINI

Cet amas de pierres pourrait être un vestige de la synagogue
© Henri Schumann
Village situé à une dizaine de kilomètres au nord de Delme, à proximité de Tragny et de Bacourt, dont l'histoire est comparable.

Au début de 1708, la Communauté de Baudrecourt qui était à l'époque du ressort du bailliage de Metz, autorisa cinq familles juives à s'établir au village, moyennant une taxe annuelle de 40 écus blancs (en argent) versés chaque année "le dimanche après la Saint-Pierre", au profit de ladite communauté. Une foire annuelle se tenait en effet près de la Chapelle Notre-Dame de Lorette, qui attirait nombre de commerçants, et certaines communautés villageoises tentaient d'en retenir à demeure, augmentant par là-même leurs profits, à l'image de ce que faisaient les seigneurs dans leurs domaines.

Pendant une cinquantaine d'années le nombre de familles juives qui s'établirent, augmenta lentement, ce qui engendrera une vigoureuse protestation d'un certain L. Lamarle, curé du lieu (1). Dans une supplique datée de 1757 et adressée à l'intendant, il dénonça une quasi invasion, prétendant que sur quarante foyers du village, treize étaient Juifs (soixante individus) et que deux autres ménages étaient sur le point de s'installer. Le plus ancien était dans le village depuis cinquante ans, trois depuis trente-cinq ans, un depuis vingt ans, six depuis dix ans, un depuis deux ans et le dernier depuis six mois. Il trouvait scandaleux que juifs et chrétiens cohabitent dans les mêmes maisons, ce qui, d'après lui, nuisait au respect dû aux sacrements lorsque ces derniers étaient apportés à domicile. Il était tout aussi affligeant de voir des immeubles habités par des juifs à côté de l'église du village, ce qui nuisait à la sainteté du lieu, car ces Juifs étaient bruyants, ouvrant leurs granges le dimanche (ils y ont de nombreux chevaux) et troublant ainsi le recueillement des offices. De même la synagogue étant au milieu du village, on voyait ses fidèles s'attarder au sortir des offices et bavarder dans la rue sans prendre même la peine de se disperser lorsque passait notre curé "en procession". Enfin, l'école des juifs et des catholiques se faisait dans le même immeuble depuis quatre ans, ce qui n'était pas tolérable. Notre homme demandait donc avec insistance que l'on limitât le nombre des juifs autorisés, et qu'ils soient séparés des chrétiens, mis en un quartier particulier, bien isolé de l'église. Sa pétition est restée probablement lettre morte pendant longtemps, mais sera reprise en 1772, quinze ans plus tard, et déposée sur le bureau de l'intendant. Aucune suite n'y sera donnée.

Cette pompe à bras servait-elle pour alimenter le mikve ? © Henri Schumann
Il semble bien en effet que la synagogue, simple maison particulière au demeurant, fût située en plein milieu du village, et à proximité de la grotte de Notre-Dame de Lorette. Le lieu-dit était "La Masure", mais on ignore si cela qualifiait la synagogue d'alors, ou ce que devint par la suite ce bâtiment. Aujourd'hui encore, les vieux du village, dans leur patois appellent "Chabeus" l'ancien passage qui y menait, déformation de "Schavess" (Shabath).

Le nombre des juifs de Baudrecourt stagna ensuite dans la première moitié du 19ème siècle, puis déclina. Il n'en restait aucun dès 1895.

Baudrecourt, certes situé en zone francophone, est un excellent exemple qu'il pouvait exister dès le 18ème siècle, des lieux de cohabitation entre juifs et chrétiens qui, s'ils scandalisaient certains ecclésiastiques (pas tous) n'en étaient pas moins réels. Cela doit nous amener à relativiser l'image des juifs que nous offre une lecture insuffisamment critique des cahiers de doléances en 1789. Il est en effet certain que l'accent de ce texte n'aurait pas été le même s'il avait été rédigé par un de ces paysans partageant son immeuble avec une famille juive ou par le curé Lamarle.

* Jean-Bernard LANG, docteur en histoire, est le co-auteur du livre Histoire des Juifs en Moselle (éd Serpenoise, Metz, 2001, épuisé), publié avec Claude Rosenfeld.

  1. Voici le texte intégral de cette supplique :
    A Monseigneur , Monseigneur l'Intendant ,
    Supplie très humblement LOUIS LAMARLÉ curé de Baudrecourt et de Morville sur Nied, disant que le village de Baudrecourt n'étant composé que de quarante maisons, les Juifs sont venus s'y établir sans aucune permission, ne trouvant personne pour s'opposer à leur agrandissement le nombre en augmente tous les jours, ils sont déjà au nombre de treize ménages et deux prêts encore de s'y établir, le suppléant a fait jusqu'à présent tous ses efforts pour empêcher les dits Juifs de loger dans la même maison avec les catholiques, il a encore tâché de les éloigner de l'Église, mais s'apercevant que tous ses soins sont inutiles, il est pénétré de douleur de voir :
    1) les irrévérences auxquelles sont exposés nos sacrements lorqu'il est obligé de les porter aux Catholiques qui demeurent dans les mêmes maisons avec les Juifs .
    2) les inconvénients qui résultent de la proximité des maisons qu'occupent les Juifs auprès de l'Église .
    3) les scandales causés par les dits Juifs dans le dit Baudrecourt
    C'est pourquoy que le suppléant est forcé de recourir à l'autorité de votre Grandeur .De considéré il plaise à votre Grandeur d'ordonner que le nombre de Juifs , s'il en doit rester au dit Baudrecourt ,soit diminué et fixé ,que les Juifs soient séparés d'avec les Catholiques ,qu'ils soient mis seuls dans un quartier particulier et éloigné de l'Église .Le zèle que votre Grandeur a toujours fait paraître pour le soutien de la religion ,fait espérer au suppléant qu'elle fera attention à l'équité de ses demandes et à la droiture de ses intentions ,il ne cessera d'offrir ses voeux au Seigneur pour la conservation de la santé de votre Grandeur et sa prospérité .
    L. LAMARLÉ curé de Baudrecourt et Morville sur Nied

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