Comme pratiquement toutes le communautés juives du plat pays messin, celle d'Augny s'est développée du 17e siècle à la Révolution, et s'est maintenue jusqu'en 1870. Lors de l'annexion allemande, de nombreux juifs retournèrent dans des villes où aucune communauté n'existait depuis l'expulsion de 1394. Au cours de la deuxième guerre mondiale, les quelques familles juives qui y vivaient encore disparurent à jamais de ces villages.
Augny, avec ses châteaux et fermes-châteaux, protégeait Metz par le sud, dont elle n'était éloignée que de 8 km. Une communauté juive s'y était établie en 1644, par la permission des trois coseigneurs de la ville. De leurs descendants, seules trois familles juives vivaient à Augny en 1702 :
Il s'agissait de Rosette (originaire de Brandebourg), veuve de Hayem LEVY, ayant encore deux petits enfants, et des familles de deux de ses fils : Jacob LEVY, né à Augny, marié à Elisabeth (originaire de Trèves), et Moyse LEVY, né à Augny, marié à Elisabeth (origi;naire de Worms).
A noter en 1698, un Lion AUGNY, réfugié à Metz, et en 1702 un Isaac D'AUGNY, installé à Bionville depuis deux ans avec femme et deux enfants, en "remplacement" d'un Juif mort en ce lieu.
Les années suivantes, par mariage avec des filles LEVY, s'installèrent au village : Benel CAHEN, fils de Joseph (époux d'Esther LEVY) et (son frère ?) ; Lyon CAHEN (époux de Marguerite LEVY), qui sera appelé "l'aîné", car un fils de Benel CAHEN, également nommé Lion CAHEN, sera appelé "le jeune".
Sur la liste d'erek (cf plus loin, et note n° 2) des habitants d'Augny de 1750, dressée par la communauté, les noms sont différents des noms civils. Ainsi, Benel CAHEN est dit Phinas CAHEN, syndic. Lyon CAHEN est dit Leib TRETAM, syndic. A cette même époque, une autre personne à Metz se fait nommer TRETEM, mais sur des documents postérieurs (mariages de ses enfants), on retrouve le nom TROMBORN, localité lorraine du bailliage d'Allemagne, où vécurent des familles juives. Était-ce le lieu d'origine de cette famille CAHEN ?
Comme activités, on retrouve les prêts d'argent, le commerce des graines et le commerce des bestiaux, avec une forme particulière (qui fut cependant très répandue, notamment en Alsace): Dans un document de 1729 (1), il est dit : "Il est une chose vulgaire que les Juifs de ce lieu étant une grande communauté et qui ont en usage de mettre des bestiaux dans des maisons champêtres de la campagne pendant laps de temps et de les tirer". Ce "contrat cheptel" était le suivant : le marchand de bestiaux livrait une vache au paysan qui la nourrissait. Le paysan gardait le lait et le fumier. Le contrat s'arrêtait à la naissance du second veau, le profit de la vache et des deux veaux étant partagé entre les deux parties, en ôtant la valeur de la vache au départ. Les litiges portaient naturellement sur le prix de la vache au départ, seul élément discutable de l'opération.
Curieusement, il était défendu aux Juifs d'Augny qui avaient des bestiaux de jeter leurs ordures dans le village, sous peine de trois livres d'amende.
De plus, les villageois craignaient que les bestiaux achetés dans les villages avoisinants par les Juifs soient source de contagion, lorsqu'ils les ramenaient à Augny. Les Juifs, mais aussi tous les autres particuliers devaient fournir des certificats établis par les maires et gens de justice du village où ces bêtes avaient été achetées, en indiquant le nom du vendeur, la quantité de bêtes qui devaient être indemnes de maladies, et les maladies qui régnaient dans le lieu d'achat.
Cependant, sur la liste d'erek (2) (estimation des biens à partir d'un certain seuil, pour calculer les impositions communautaires, sorte d'impôt sur la fortune) des habitants d'Augny en 1750, on constate que si la moitié des familles ne payait que 200 livres (qui semble une part "plancher"), il y avait quelques riches.
Phinas (=Benel) CAHEN payait 5500 livres, et trois de ses fils (Baruch = Boris, Natanel = Samuel et Yuzpa = Joseph) et son gendre (Lemle = Lambert) déclaraient à eux quatre 25000 livres. Son fils aîné Lyon Cahen "le jeune" payait 24000 livres, et atteignait ainsi le plafond, c'est-à-dire qu'en payant mille louis d'or nouveau (soit 24000 livres), il n'était pas obligé de déclarer ses biens, même s'il en possédait beaucoup plus. Il est même dit :
"que Dieu augmente leurs biens".
De leur côté, les trois fils (Israël, Hirtz = Cerf et Natanel = Samuel) de Leib Cahen "l'aîné", décédé, ne payaient que 200 livres chacun.
Il semble donc qu'il existait un "riche clan Cahen Benel", qui à eux six payaient 54500 livres sur les 60500 livres d'Augny. Cette richesse d'un clan est associée à une "politique de mariage", qui en est la cause ou l'effet.
Les enfants de Benel CAHEN épousèrent tous et toutes des Cahen :
- Guiton = Marguerite Cahen Lambert, de Pontière (Steinbiedersdorf)
- Boris x Cahen Mink fille de Bernard, de Créhange
- Joseph x Cahen Anne, fille de Gabriel, de Vantoux
- Lion "le jeune" x Cahen Marie, fille de Nathan, de Louvigny
- Beillet x Cahen Louis, fils de Nathan, de Louvigny
- Samuel Benel x Cahen Rosette, fille de Lion, "l'aîné", d'Augny
Les enfants de Lion CAHEN "l'aîné" n'épousèrent pas de Cahen, en dehors de Rosette :
- Israël x FRANK Dinet
- Hayem x DENNERY Anne
- Joseph x GOMPERTZ Sipour
- Cerf x PICARD Rachel
A côté des porteurs du patronyme LEVY descendants directs de Hayem Lévy, d'autres Lévy ont épousé des descendants de Hayem Lévy (3) :
Par exemple, Isaac Lévy, de Metz, époux de Esther, fille de Moïse Lévy, d'Augny.
Dans les familles CAHEN que nous avons vues, on retrouve également des LEVY
Cerf CREHANGE, de Metz, veuf de Barbe Cahen, s'est remarié avec Esther Lévy, fille d'Israël Lévy, veuve de Bernard Lévy, de Metz.
Abraham WITTLICH, de Metz, a épousé Madelaine, autre fille d'Israël Lévy. A noter que son père Gabriel Wittlich avait épousé Françoise, fille de Jacob Lévy, d'Augny.
Ainsi, toutes les familles juives d'Augny comptent dans leurs ancêtres les Lévy installés en 1644.
1742 : 5 familles également ; en 1747, 19 familles ; en 1762, 22 familles.
A la révolution, Augny compte un groupe de 83 personnes, dont 47 enfants, faisant le commerce de boucherie et bien d'autres choses.
En 1872, Salomon CAHEN fut élu Conseiller municipal. A cette époque, Isaac LEVY et Abraham CAHEN tenaient un commerce du style épicerie, café.
Une pièce d'habitation assez grande, située au premier étage d'une maison faisait office de synagogue. A la révolution, elle fut dépouillée de ses effets, tout comme l'église. Elle fut désaffectée en 1924 et détruite pendant la deuxième guerre mondiale (comme 80% d'Augny). En effet, en 1924, il ne restait que deux familles, CAHEN et BERNARD, représentant quatre personnes. Ils étaient "chevillards", c'est-à-dire marchands de viande en gros, comme leurs ancêtres.
Le 23 septembre 1942 (convoi n° 36) était déporté Arnold CAHEN, né à Augny le 28 octobre 1908.
Bibliographie :
La communauté juive
Au moment de la création de l'Etat Civil, les actes concernant les personnes de confession juive furent enregistrés comme ceux de tous les autres citoyens dans les nouveaux registres laïcs. Depuis les temps les plus reculés, les Juifs se reconnaissaient par leur prénom qu'ils complétaient par le prénom de leur père : Abraham fils de David ; David était lui-même David fils de Salomon ; le problème de cette méthode est l'absence d'un patronyme fixe pour une même famille.
Quelques années après la Révolution, la loi du 20 juillet 1808 imposa aux Juifs de se faire établir un état civil dans un délai de quatre mois, en choisissant un nom unique et définitif par famille, nom qui serait transmis aux générations futures. (Certaines familles juives d'Augny avaient déjà opté pour un patronyme fixe). Des noms de villes, de personnages bibliques, des prénoms, furent choisis par les familles juives mais la mise en place de cette réforme fut longue à être adoptée par cette communauté ; de nombreuses déclarations à l'État Civil utiliseront encore l'ancienne dénomination, surtout pour les femmes ; abandonner des millénaires de traditions fut un déchirement et une rupture. Des familles répondant au nom de CREHANGE, DENNERY, LYON, ISRAËL, CAÏN ou CAHEN, SALOMON, LEVY, JACOB, ROBERT, ALEXANDRE étaient bien représentées à Augny, Ces familles ne possédaient pas de terre, les chefs de famille exerçaient le plus souvent des professions de banquiers, commerçants, marchands de bestiaux.
La communauté juive était soumise aux mêmes lois et impositions que leurs voisins catholiques ou protestants. Comme eux, lors du décès de l'un des parents d'une famille, une réunion de ses membres proposait et nommait un tuteur pour les enfants orphelins ; l'inventaire des biens de la famille était dressé et leur gestion était confiée à un curateur. Grâce à de tels actes, on peut connaître les différents membres d'une même famille juive et remonter un peu leur généalogie.
7 août 1765 : Acte de tutelle, dressé après le décès de CAÏN, époux de Sara SALOMON. Le couple a deux encore mineures, Rachel et Fanchette, pour lesquelles désigner un tuteur et un curateur. Sont présents : J Lion CAÏN, frère des fillettes - Samuel CAIN, BRISAC, et Samuel Daniel BRISAC, tous trois leurs beaux-frères, ainsi que d'autres parents et le rabbin d'Augny, Créange de CREHANGE (acte B 4796 - ADM).
La synagogue d'Augny
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Ce qui faisait office de synagogue n'était autre qu'une pièce assez grande, située à l'étage d'une maison accolée à l'arrière d'une autre maisonnette, celle-ci ayant façade sur le chemin de Grosyeux. Une entrée commune donnait accès aux deux constructions par un couloir, au bout duquel un escalier amenait au lieu de culte. Toutes deux disparurent après la deuxième guerre mondiale ; elles étaient sises à l'emplacement des immeubles actuels portant les n° 10 et 12, rue de Fey.
Bien qu'on leur eut reconnu droits et devoirs de n'importe quel citoyen, les Juifs allaient rester en retrait des événements touchant la collectivité, ne se mêlant en rien de sa conduite, quoique leurs signatures aient pu figurer au bas de certaines pétitions du village, mais en caractères hébraïques, ce qui était une certaine manière de se distinguer.
I1 est dommage qu'il n'y ait pour relater les faits les concernant à cette époque que des procès-verbaux dressés à leur encontre, par exemple, ceux de Bexel Caïn et de son frère Lambert, dont on avait défoncé les portes de grange pour y trouver détenus "indûment" respectivement quatre cent vingt-et-une et deux cents livres de miel. Confisqué et revendu à la population, ce miel rapporta 410 livres et 5 sols qui furent partagés par tiers, au dénonciateur, à la commune et aux caisses de la République. Quelques temps après, le boucher Créhange fut condamné à 20 livres d'amende et aux frais d'enquête et expertise "pour avoir persisté à dépecer une vache reconnue malade, malgré l'apposition des bandes et cachets sur le corps de l'animal en vue de son examen».
La profession de commerçant, dont les Juifs se réclamaient le plus souvent, n'était pas la moindre des particularités qui les mettaient à part des autres et qui les faisaient envier, en les faisant supposer plus riches qu'ils ne l'étaient en réalité. Certains d'entre eux n'avaient en biens visibles qu'un petit coin de pré, quelques chèvres, un peu de vigne et s'identifiaient en cela aux plus communs des villageois.
Mais il faut dire aussi qu'on dénonçait bien d'autres citoyens, en ces temps de pénurie proches de la disette, où la mine resplendissante d'un voisin déclenchait les soupçons et les suites qui en découlaient. Henri Choné et Jacques Perrin firent les frais d'un procès verbal parce que, selon les termes employés, "ils jouissaient de plusieurs sacs de farine, alors que des individus sont dans le plus grand besoin". C'était le temps de la délation. Certains préparaient leur revanche... L'heure en vint lorsque Robespierre chuta et que la Terreur prit fin (juillet 1794).
Disparition de la synagogue
C'est en 1924 que fut aliénée la synagogue d'Augny. La demande faite par le consistoire israélite, après enquête, ne fit l'objet d'aucune remarque. Il est vrai que d'une communauté juive jadis fort importante, il ne restait plus que deux familles, les Cahen et les Bernard, totalisant au plus quatre personnes. Du même coup disparaissait la contribution annuelle de 2 F que la commune devait au rabbin Netter, au titre de son indemnité de logement...
Documents divers
Plaids annaux 1737 à Augny (Arch. Départ. Moselle B4795)
Les plaids annaux sont des "séances" durant lesquelles le seigneur du lieu fixaient les impôts. Tous les villageois se devaient d'assister à ses séances sous peine d'amende. Elles avaient lieu le dimanche à la messe (?) Ici je n'ai retenu que les noms des Juifs de la communesoumis à cet impôts
Moïse LEVY ? Lion CAMISE l'aîné, ? (illisible) Camise , Isaac LEVY , CAEN Lévy fils Moyse LEVY, CAIN Levy , Cerf de Créange , LION Camise le jeune , Bernard LEVY, SAMUEL Camise , CAEN Camise , JOSEPH Camise , MAJEUR Levy ,SAMUEL Levy ISRAËL Levy.
A cette occasion était rappelées quelques obligations sous peine d'amende :
- Avons fixé le nombre d'oies pour les laboureurs à 6 , pour les manœuvres et les juifs à 4
- Défense à toute personne et aux juifs de posséder des chèvres sur l'étendue de la seigneurie.
Les électeurs de 1831 (fière élection )
- Jacob ISAAC : 3 enfants
- Samuel LEVY : 3 enfants
- Hayem CAIN ; 1 enfant 1 serviteur + 2 frères
- Joseph CAIN : 3 enfants
- Cerf CAIN : 3 enfants (ADM 39 E 3D1)
Sur le monument aux morts Armand Abraham CAHEN 1908-1942 ; Berthe CAHEN 1894-1942
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