Le premier juif installé à Dieuze aurait été vers 1685 un certain Jacob Spire, originaire de cette ville, tandis que trois autres familles sont signalées à Domnon, l'une étant originaire de la Forêt-Noire, chose assez rare dans notre région. Mais de véritables communautés ne se constituent que dans la seconde moitié du 18ème siècle. En 1808, le consistoire de la Meurthe recense à Dieuze soixante-sept Israélites répartis en treize familles, mais on en compte encore trente-huit à Gélucourt - 6 Km au sud - (neuf familles), quarante-quatre à Vergaville - 4 Km au nord- (sept familles), deux familles (sept individus) à Kerprich (aujourd'hui Val-de-Bride - 2 Km de Dieuze) et une dernière de quatre personnes à Bourgaltroff - 8,5 Km au nord -. Au total cent soixante-deux personnes. La plupart sont marchands de bestiaux, mais on y trouve un précepteur et un professeur de langue allemande. Les plus fortunés, qui sont d'ailleurs marchands de chevaux, envoient leurs enfants à l'école française, les autres à l'école juive.
Cette population s'accroît rapidement, il y a quarante et un électeurs consistoriaux en 1852 à Dieuze, (hommes âgés de plus de 25 ans), vingt-deux à Gélucourt, (dix-huit en 1857 dans la même localité - il y a eu quatre décès). Par contre, on ne compte plus que douze électeurs à Vergaville en 1852. Un rabbinat dépendant du consistoire de Nancy et ayant l'arrondissement de Château-Salins comme ressort, fonctionne dès la période napoléonienne. En 1855, il est exercé par le rabbin Hirsch qui éprouve d'ailleurs des difficultés à se faire payer son indemnité de logement par certaines communes où résident des juifs, ainsi que le veut la loi de l'époque. Ainsi, les maires de Delme, Bacourt et Liocourt refusent-ils de verser leur obole, celui de Bacourt allant même à écrire pour se justifier que la population juive de son village ne reconnaît pas l'autorité du rabbin de Dieuze. Ce rabbinat cessera d'exister après 1870.
Une synagogue existe à Dieuze dès 1760, mais c'est une simple chambre mise à disposition de la petite communauté par un de ses membres, dans sa maison. Cet oratoire sert aussi aux autres juifs éparpillés dans les villages du canton, sauf à ceux de Vergaville, qui ont le leur, mais qui sera désaffecté en 1890. Par la suite, la maison tout entière, située ruelle de l'Hôtel-de-Ville, sera transformée en véritable synagogue. Mais de superficie réduite, elle devenait trop exiguë pour une communauté en plein accroissement.
Le 28 juillet 1907, celle-ci, alors florissante et présidée par Henry Metzger, inaugure un superbe édifice de style néo-roman. Le concepteur en est Mr. Moez, architecte du cercle de Sarreguemines, les travaux sont exécutés par l'entreprise Kemp et les sculptures de l'Arche Sainte par M. Will. La cérémonie, à l'instar d'autres, semblables, de l‘époque, est grandiose. En provenance de l'ancien bâtiment, le cortège apportant les rouleaux de la Torah, se présente devant la porte du nouvel édifice où l'attend une jeune fille, Adeline Meyer qui s'adressant au président de Lorraine, présent à la cérémonie, lui récite son compliment et lui offre la clef symbolique en sollicitant sa bienveillante protection. Au dehors joue la fanfare du 138e Régiment d'Infanterie. Le service divin est célébré par le ministre-officiant Laussenburger, assisté d'un choeur mixte accompagné par l'orgue. Le sermon est prononcé par le "Docteur" Netter, grand rabbin de Metz, qui n'oublie pas, en ce jour de réjouissances, d'évoquer l'empereur Guillaume, "qui peut être à juste titre appelé le prince de la paix" ... Ces flatteries certes protocolaires, mais un peu appuyées, allaient longtemps coller à la réputation du malheureux, malgré ses protestations ultérieures de patriotisme français.
Cette superbe synagogue est incendiée par les Allemands en 1940 et reconstruite de façon bien plus modeste, la communauté étant en voie de disparition. En 1962, son président, Robert Mantoux (*) signale qu'il n'y a plus à Dieuze que vingt-cinq juifs, et aucun enfant. L'arrivée d'une famille observante d'Algérie, les Partouche, les parents et leurs trois enfants, sera donc accueillie avec joie, d'autant plus qu'Abraham Partouche offrait de chanter l'office à la place de l'ancien ministre officiant, Fernand Michel, démissionnaire. Hélas, les Partouche ne devaient rester que jusqu'en août 1964, date de leur départ pour Montpellier. Aujourd'hui, la synagogue n'est plus en activité et l'Armoire Sainte ainsi que le pupitre de lecture ont été transférés à l'oratoire de Thionville. Le dernier président avait été Jean Mantoux.
Un habitant de Dieuze, M. René Isaac, né en 1902 à Vergaville, était célèbre dans les années 1950 pour avoir le don, à l'aide d'une prière connue de lui seul, de guérir entorses et torticolis. Il n'était pourtant qu'un marchand de bestiaux parmi d'autres, mais il avait toujours été attiré par les études et aurait souhaité faire sa médecine. La pauvreté de ses parents l'en avait empêché. Très pieux, il disait tenir ce "secret" d'une vieille dame de Gélucourt qui, pour le remercier des bontés qu'il avait eues pour elle, lui avait transmis le fameux "schorme", sorte de don un peu magique, mais d'essence religieuse, qui faisait sa singularité. Celle-ci était telle que les paras du 13e RDP venaient le consulter s'ils se foulaient une cheville lors d'un saut d'entraînement !
Cette sorte d'exorciste n'était pas rare dans les anciennes communautés d'Alsace et de Moselle. Il était toujours bénévole. Le mot "schormer"qui qualifie l'exorciste, est d'ailleurs typique du judaïsme alsacien, lorrain et rhénan. Son étymologie serait française, puisqu'il viendrait du mot français "charmer". Le schormer ne guérissait pas que les foulures, mais aussi certaines affections ophtalmologiques. Il procédait par imposition des mains, ou massages, mais toujours accompagnés d'une prière récitée très discrètement, de façon à n'être entendue de personne, où, semble-t-il, on invoquait souvent le prophète Elie, ainsi que la figure d'Esaü, symbolisant le bouc émissaire. Une formule de schorme est citée par Freddy Raphaël dans Juifs en Alsace :
Ich schorm for das Geschwolst, for die Hitz, for das Feier, for das hollisch Feier, soll vergen aus dein Blut und Fleisch, beshem elohe Jisroel (ter)
Je t'exorcise pour que l'enflure, la fièvre, le feu, le feu de l'Enfer s'éloignent de ton sang et de ta chair, au nom du Dieu d'Israël (ter)
D'après Pierre Mendel, rappelé par Gilbert Cahen.
* - Cette famille serait originaire de Mantoue (Italie) et serait arrivée dans nos régions lorsque Charles de Gonzague, duc de Nevers, (et plus tard de Mantoue), fut investi par Henri IV de la principauté meusienne d'Arches (aujourd'hui département des Ardennes) dans laquelle il créa la ville de Charleville, en face de Mézières (1608). Pour la peupler, il fit venir des immigrés d'Italie, y compris quelques juifs. Par la suite, cette famille se fixa en Lorraine où elle prit le surnom de Mantoux.
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