Le cimetière de Frauenberg a été classé à l'Inventaire des monuments historiques en mars 2013.
"A six kilomètres de Sarreguemines, sur le flanc des collines escarpées qui rétrécissent le vallon de la Blies, un vieux château élève ses ruines encore imposantes. Ses hautes tours, ses murailles percées à jour et à demi écroulées, dominent au loin le cours sinueux de la rivière. A ses pieds, et dans l'étroit espace qui règne entre la berge et la montagne, le village de Frauenberg s'allonge au bord des eaux, à demi caché par un rideau de peupliers ; puis se repliant sur lui-même, il escalade une partie de la colline et lui fait une pittoresque ceinture de constructions rustiques."
Au premier abord, très peu de choses ont changé : le vieux donjon circulaire - auquel s'accrochent quelques touffes d'arbrisseaux - continue de dresser sa sombre silhouette dans le ciel ; à ses pieds, la Blies suit toujours son cours sinueux qui la mène de la fontaine de Bliesbrünn - en Allemagne - jusqu'à Sarreguemines où elle va se jeter dans la Sarre. Quant au village, la route départementale 974, qui serpente le long de la vallée, n'a en rien troublé sa quiétude.
Pourtant, tout a changé. Le poste de douane, situé à l'extérieur du village, est aujourd'hui appelé à disparaître, dernier symbole de la frontière dans une région qui, au fil des siècles, n'a cessé de changer de maître. Romaine, elle a été l'objet de combats entre les tribus "barbares" ; puis, elle a fait partie de la Lotharingie, du Saint Empire romain-germanique, de la Prusse, a été annexée par l'Allemagne nazie pour, enfin, revenir à la France et aujourd'hui appartenir à l'Europe.
La population de Frauenberg a connu, au fil du temps, des changements tout aussi remarquables. Ainsi, la communauté juive de Frauenberg autrefois florissante n'est-elle plus qu'un souvenir, souvenir fragilement entretenu par le cimetière juif, niché à la sortie du village, dernier vestige de toute une communauté à jamais disparue, Ce cimetière fera l'objet de notre mémoire après un rappel préliminaire consacré à l'histoire du village de Frauenberg et à celle de sa communauté juive.
Mais que peut bien signifier ce nom de Frauenburg, "le château
des dames" ?
Les avis des historiens divergent. L'une des hypothèses
est celle du professeur Morhain : sur les pentes de la Blies, se trouve un raidillon
qui monte du moulin de Linterdingen vers le château. Au bord de celui-ci,
il y a une chapelle qui, jusqu'en 1950, abrite une statue de la Vierge
des Douleurs. Découverte par le professeur Morhain, la plus ancienne
Piéta du diocèse de Metz est datée du 14ème siècle.
Or, il est possible que cette chapelle ait porté le nom de "Unsere
Liebe Frau am Berg" c'est-à-dire "Notre Dame près
du Mont" ; on peut donc penser que le nom de ce nouveau château est
composé selon la même logique, "Frauenburg" ou château
de Notre-Dame. Par la suite, lors du dénombrement de 1701, le village
de Linterding qui s'étend non loin de la chapelle prend également
ce nom : il devient Frauenberg, le mont de Notre-Dame.
Une autre hypothèse consiste à dire que le château et, par la suite, le village, prennent le nom de Frauenberg du fait que les héritiers des différents seigneurs sont toujours des femmes : ce serait naïf car il n'existe pas une dynastie de Frauenberg. En effet, déjà, Arnould de Sierck, sire de Frauenberg, laisse le château et la seigneurie à sa fille qui, mariée au comte de Linange-Dagsbourg, a deux filles qui héritent chacune de la moitié... et la liste continue de sorte qu'il serait oiseux de vouloir nommer tous les nobles qui se succèdent par héritage, mariage ou autres à la tête de la seigneurie de Frauenberg. Une troisième hypothèse consiste à dire que Frauenberg serait le "Château des femmes lettrées". Nous allons donc nous contenter de quelques évènements importants et du récit d'une ou deux légendes.
Durant le 17ème siècle, Frauenberg souffre de deux guerres désastreuses. La première, est la guerre des Rustauds ou des Paysans (Bauerkrieg). Cette guerre est en fait une révolte des paysans allemands, révolte qui touche également les régions limitrophes; les paysans se sont révoltés pour protester contre leurs mauvaises conditions de vie. Elle dure deux ans et s'achève, en 1626, dans un bain de sang. Elle est restée célèbre du fait de l'intervention de Luther : celui-ci, après avoir soutenu les paysans se sépare d'eux et appelle à leur extermination.
La deuxième guerre dont a à souffrir Frauenberg est une guerre franco-suédoise : la guerre de 30 ans (Schwedenkrieg). Au mois d'août 1633, le général de Horn amène ses troupes suédoises, qui ont battu les Lorrains à Pfaffenhofen, devant les tours de Frauenberg : "Le duc de Brickenfeld fit enlever le comte d'Eberstein de sa maison de Frauenberg entre Deux-Ponts et Sarbruc, ne laissant à la comtesse sa femme qu'une chemise et mena le dit comte prisonnier avec sa robe de nuit". Ceci est le premier acte d'une série d'invasions. D'abord les Suédois, ensuite les Troupes Impériales, et pour finir les Français qui, les derniers, occupent le pays pendant 40 ans. Mais, quelle que soit leur nationalité les soldats pillent, incendient, détruisent... Pendant la guerre de 30 ans, Frauenberg, abandonné par son seigneur, devient un repaire de partisans qui font la guerre pour leur propre compte et rançonnent tout le monde sans distinction de partis ou de nationalités. C'est pour mettre fin à cet état de choses, qu'en 1637 Richelieu donne l'ordre au Maréchal de la Force de démanteler ce château, ainsi que de nombreux autres (Forbach, Sarreguemines...). Le village subit le même sort que le château. Il n'est reconstruit que très lentement et, 120 ans après le passage des Suédois, il ne compte encore que 27 familles, C'est durant cette période que disparaissent les dénominations de Linterding et de Frauenburg pour laisser place à celle de Frauenberg.
Jusqu'en 1783, Frauenberg va, de nouveau, changer de nombreuses fois de propriétaires. Une étrange histoire est associée à l'un d'eux : Jean de Thomin, Ce seigneur connaît une mort tragique : le 3 février 1715, il est assassiné, dans les forêts de Biles Ransbach, par un journalier nommé Peter Moor qui le tue pour lui voler les boutons d'argent de son habit. Le criminel est découvert par ce que l'on appelle "l'épreuve du cercueil". Tous les habitants du village doivent défiler devant le cercueil ouvert et toucher de la main le cadavre ; quand Moor le touche, les plaies de Thomin se rouvrent et le sang coule. Après avoir avoué son crime, il indique l'endroit où sont cachés les boutons; il est condamné par le tribunal de Deux Ponts où il existe encore un dossier relatant tous ces détails.
Un autre des seigneurs de Frauenberg est Jean Daniel Merlin qui bâtit, à proximité des tours encore debout, une maison moderne sur les emplacements des remparts démantelés sur ordre de Richelieu.
La seigneurie de Frauenberg passe donc en de nombreuses mains jusqu'en avril 1783 où elle est achetée par Charles Gravier, comte de Vergennes, le secrétaire d'Etat, ministre des Affaires Etrangères de Louis XVI. Il a l'intention de se faire un grand domaine dans le pays de Lorraine, mais il ne peut accomplir son projet puisqu'il meurt en 1787. De plus, deux ans plus tard, la Révolution va changer bien des choses.
C'est avec l'autorisation de Vergennes que Jean Thibault fonde, entre septembre
et décembre 1785, une faïencerie dans le château même,
Pourquoi choisit-il Frauenberg ? Peut-être à cause de la présence
d'un moulin sur la Biles, moulin de cailloutage (où l'on concassait les
silex servant à la pâte de faïence) ; peut-être parce
que la vieille "tour d'entrée" du château peut facilement
être transformée en four de cuisson.
Ce Jean Thibault est associé à Nicolas Villeroy, ce qui fait souvent
dire que c'est ce dernier qui est le fondateur de la faïencerie (la véritable
origine de cette faïencerie a été révélée
par M. Hiegel, Annuaire de la Société d'Histoire et d'Archéologie
de Lorraine, 1976). Celle-ci a des chances de réussir car les commandes
existent : elle fournit quarante services à Paris jusqu'en 1786, La plus
grande difficulté vient des barrières de douane qui frappent les
faïences lorraines à leur entrée en France et qui ne tombent
qu'en novembre 1790 avec l'abolition des privilèges par l'Assemblée
Constituante.
La révolution provoque bien des changements dans le village. Après la mort de Louis XVI, les armées prussiennes et alliées envahissent la France, En septembre 1793, elles franchissent la Biles et, durant trois mois, les Prussiens occupent le château de Vergennes et le rendent tout à fait inhabitable en brûlant portes et fenêtres. Mais, en novembre, l'armée révolutionnaire de la Moselle, commandée par le général Hoche, attaque en force et s'avance de Sarreguemines sur Bliescastel en passant par Frauenberg. L'attaque commencée le 27 novembre vers 6h du matin s'achève sous les murs de Kaiserslautern.
Le 11 Brumaire de l'an III, Mathias Calis achète le chateau, ses jardins, les granges et la bergerie pour la somme de 12100 livres. Le reste des biens (moulins et terres) est divisé en 46 lots et acquis par divers habitants de Frauenberg et des environs. C'est ainsi que prend fin la seigneurie de Frauenberg.
En 1906, M, Emile Huber de Sarreguemines se rend acquéreur des ruines du château afin de préserver l'ancien manoir d'un délabrement complet. A cette date, il est la possession de la famille Bausch de Frauenberg. Ensuite, M, Huber le cède comme don gratuit à la société d'histoire et d'archéologie de Metz. Le donjon est endommagé durant la guerre 1939-1945. Durant ce conflit, Frauenberg est évacué par deux fois. La première évacuation a lieu le 1.9.1939 à Pluyvineux (Charente-Maritime) et la deuxième, le 11.12.1944 dans les environs de Sarreguemines. Frauenberg bombardée le 10.12.1944 est libérée par les Américains.
La présence de juifs en Lorraine, déjà à cette époque, ne doit pas étonner. En effet, avant même les débuts de l'ère chrétienne, de nombreux juifs ont quitté leur terre natale, déportés par les maîtres successifs de la Judée (Egyptiens, Assyriens, Grecs...). Par la suite, les Romains, après la révolte de 132 après JC, vident le pays de la presque totalité de sa population. Depuis cette époque, la majorité des juifs sont chassés de pays en pays, protégés ici, persécutés là. Les premiers juifs en Lorraine sont signalés à Metz sous Charlemagne, Ils en sont expulsés lors de la première croisade (1099).
Par la suite, bannis de France, les juifs viennent se réfugier en Lorraine qui est passée sous le contrôle de l'Empire germanique. Le duc de Lorraine, Léopold favorise leur installation, contre la volonté des populations locales, car il a besoin de leur argent pour réaliser ses ambitions politiques. Mais, Léopold finit par trouver ces créanciers gênants et, pour s'en débarrasser, il prend à leur encontre, des lois restrictives : défense de changer de domicile, limitations arbitraires du nombre de juifs autorisés à résider (73 ménages répartis dans 24 localités), les autres ayant le choix entre le départ ou la conversion.
En 1753, quelques familles juives résident à Frauenberg. C'est un juif venu de Marmoutier, Abraham Lévy, qui est à l'origine de la communauté. Les juifs ne sont pas touchés par l'édit de Stanislas et peuvent continuer à vivre sur la terre où leurs pères avaient habité, La communauté juive peut donc proliférer dans une relative quiétude. C'est à cette époque que la construction d'une synagogue commence.
Les premiers ennuis sérieux apparaissent après que la Lorraine est devenue française (1776). En effet, l'édit de Stanislas continue d'être appliqué aux juifs et ils ne peuvent résider en Lorraine sans permission préalable du roi. Or en 1779, le procureur du bailliage de Sarreguemines décide d'appliquer cette décision aux juifs de Frauenberg menaçant ceux qui ne sont pas autorisés à y résider d'expulsion et de saisie de leurs biens. Mais, les juifs réagissent et s'adressent à M. le prince de Montbare, ministre et secrétaire d'Etat en lui faisant valoir qu'ils demeurent à Frauenberg "depuis un temps qui excède la mémoire des vivants". De plus, ils ajoutent que jamais les règlements des ducs de Lorraine n'ont été appliqués sur la terre de Frauenberg, puisque les juifs n'ont pas demandé à s'établir car ils y résident déjà. Ils ajoutent encore que seul le Parlement peut prononcer l'expulsion et que celle-ci est contraire au désir du seigneur de Frauenberg.
Après avoir examiné la requête des juifs, le prince de Montbare demande de plus amples renseignements auprès de l'intendant de la province, M. de la Porte, qui prend le parti des juifs et les défend. Selon lui, le procureur du roi outrepasse ses pouvoirs et ne justifie en rien sa démarche. De plus, la Lorraine, terre d'Empire est seulement sous la protection des ducs de Lorraine. Mais, la décision illégale du procureur, en s'intéressant à la situation particulière des juifs de Frauenberg attire l'attention sur le privilège avantageux dont jouit le seigneur de Frauenberg. En effet, celui-ci permet ou interdit l'installation de juifs dans sa seigneurie, et fixe leurs impôts représentant ainsi une atteinte à la puissance du roi. L'affaire vient devant le roi, et le 10 décembre 1779, en séance du conseil, le roi rend un décret favorable aux juifs - défendus par le prince de Montbare et M. de la Porte - qui annule l'arrêt d'expulsion et rattache la communauté juive de Frauenberg à celle de Lorraine, la soustrayant à l'arbitraire du seigneur. Les juifs apprennent la nouvelle avec joie car le seigneur augmente régulièrement leurs impôts (ils sont multipliés par huit entre 1721 et 1767), Le problème juif réglé, il reste celui du seigneur de Frauenberg, M. d'Aubéry, qui refuse de se soumettre au décret du roi qui lui intime l'ordre de fournir, dans un délai d'un mois, les titres constatant ses droits. Ceux-ci arrivent avec six mois de retard, et l'affaire est classée. Mais, en 1782, M. d'Aubéry s'étant trouvé des alliés précieux (M. de Campi, officier du roi, M. le marquis de Ségur et Mme d'Orée, sa belle-mère, présidente au parlement de Nancy), la procédure recommence et, après de nombreuses discussions, il obtient de pouvoir percevoir une redevance annuelle ne devant pas excéder 24 livres. Les juifs demeurent donc soumis à la capitation mais, cela ne dure pas longtemps car la Révolution éclate.
La Révolution provoque des changements radicaux en faveur des juifs. Avant 1789, les juifs ne peuvent disposer que de synagogues très modestes. Napoléon ler en signant un concordat avec eux (17 mars 1808) leur permet d'ouvrir des synagogues sur autorisation du ministre de l'intérieur et sur avis du maire.
Ainsi, il leur permet de pratiquer leur culte, mais maintient un certain droit de regard des autorités civiles dans les affaires religieuses. La Restauration est encore plus généreuse elle accorde des subsides d'Etat pour la construction des synagogues et pour la rétribution par l'Etat des ministres du culte, mais seulement pour les communautés de plus de 200 individus. Frauenberg fait partie de ces privilégiées, La première synagogue se tient dans la maison du "sieur Gensburger". Après Napoléon et la Restauration, la communauté connaît une telle prospérité qu'elle rachète la maison de la synagogue et obtient une subvention de l'Etat français pour des agrandissements et des transformations.
Mais, bientôt s'instaure un mouvement de regroupement dans les grandes villes. Ce mouvement accentué par annexion de 1871 est fatal aux petites communautés et les synagogues rurales sont laissées à l'abandon ou même transformées en hangars, en ateliers (la Moselle qui, au début du siècle en comptait 60 n'en compte plus que 7 de nos jours). Les chiffres suivants, concernant la population juive de Frauenberg montrent bien ce mouvement vers les villes :
1831 : 181 juifs sur 587 habitants
1861 : 136 juifs sur 522 habitants
1866 : 137 juifs
1880 : 108 juifs
1890: 67 juifs
A la veille de la seconde guerre mondiale, on ne compte plus que quatre familles juives à Frauenberg. Selon les quelques rares personnes susceptibles de se souvenir de cette époque, ces quatre familles ont perdu deux de leurs membres, victimes des camps de concentration. En 1945, il ne restait plus que cinq juifs à Frauenberg. A l'heure actuelle, il n'y en a plus aucun.
Signalons que la synagogue de Frauenberg fut détruite en 1940 par les nazis.
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