de g. à dr. : Marc Cerf, Joël Mergui |
Au terme d'un procès truffé de mensonges et d'inexactitudes, Raphael Lévy fut condamné à mort pour un crime rituel qu'il aurait commis un an plus tôt dans le village de Glatigny. Il fut brûlé vif le 16 janvier 1670 à Metz, place de Champ à Seille. Depuis cette date, le village de Glatigny a été déclaré gessaert (maudit), et aucun juif ne doit y passer la nuit ; cette interdiction était encore respectée de nos jours.
Il a coulé plus de temps depuis les faits que d'eau dans la petite fontaine construite et inaugurée en fin de matinée dans ce bourg du canton de Vigy, à la mémoire de Raphaël Lévy. Le prétendu meurtrier a été réhabilité 344 ans après sa condamnation, et le décret rabbinique a été symboliquement levé devant une centaine de personnes, le sous-préfet, le juge rabbinique, les présidents des consistoires de Moselle et central de Paris.
Victor Stallone, le maire de la commune déclare avec satisfaction : "aujourd'hui, nous repartons à zéro, nous sommes réconciliés, nous reprenons des relations normales avec la communauté juive. Glatigny était maudite depuis cette époque en raison d'un arrêté moral pris par la communauté israélite".
"Depuis quatre siècles courraient des bruits disant que les juifs dévoraient des enfants pour incorporer leur sang au pain azyme" dit Henry Schumann. Chargé du patrimoine au sein du consistoire de Moselle, il s'est passionné pour cette affaire avant de prendre contact avec le maire de Glatigny. Pour lui, cette cérémonie est un "grand moment de réconciliation républicaine", "la réhabilitation de Raphaël Lévy permet désormais aux juifs de se rendre à nouveau dans le village".
"Cette affaire s'arrête aujourd'hui", affirme Henry Schumann. "C'est un geste religieux, mais un lien fort entre des citoyens qui veulent construire ensemble un avenir dans ce pays", ajoute Bruno Fiszon, grand rabbin de Metz et de la Moselle.
de g. à dr. : P-A .Meyer, Marc Cerf, M.Mayer, N.Griesbeck |
Joël Mergui, président du Consistoire central, considère cette manifestation comme une occasion de rassemblement à vocation pédagogique, contre les préjugés pesant sur la communauté israélite. "On ne peut jamais être sûr des choses. Il faut les répéter, les travailler." Un effort à reprendre à chaque nouvelle génération. Si "cette réparation est fondamentale" à ses yeux, elle n'efface pas les préjugés modernes dont les juifs sont taxés. Il prolonge l'idée exprimée un peu plus tôt par Bruno Fiszon, selon laquelle "aujourd'hui si l'on n'accuse plus les juifs de meurtres rituels, on les accuse de bien d'autres choses".
"On sent bien qu'il est plus facile de diffuser la haine que l'amour", conclut Victor Stallone avant d'inviter à prendre "le verre de la rencontre et de la réconciliation".
C'est en 1670 que se joue le drame si lugubre dont le malheureux héros fut Raphaël Lévy de Boulay, victime de la plus terrible accusation, celle du meurtre rituel. Il est très probable que le roi n'en a eu connaissance que trop tard, c'est à dire après le supplice du pauvre martyr. Il l'aurait certainement empêché. Voici les faits : Ce fut la veille de Roch ha-chanah, Raphaël Lévy de Boulay vint à Metz faire ses achats pour la fête du lendemain. Il était accompagné de son fils et d'un meunier de Boulay. Arrivés à Metz à 10 heures, ils étaient cinq heures en route, chacun va à sa besogne, après s'être donné rendez-vous pour partir ensemble. A l'heure convenue Raphaël Lévy fait dire par son fils aumeunier qu'il se mette en route avec son fils, quant à lui, il va les rejoindre aussitôt que son cheval sera chargé.
Vers 3 heures ils ont passé par le village de Toenchen (Aux étangs) et arrivèrent vers 4 heures à Boulay.
Et voici que mercredi le 2 Tichri arrive la nouvelle qu'un paysan de Glatigny, (village près de la route de Boulay à Metz), nommé Gilles le Moine avait perdu un enfant âgé de trois ans et que Raphaël Lévy était soupçonné de l'avoir enlevé. Et jeudi le 3 Tichri déjà les parents de l'enfant apparurent dans la rue des Juifs à Metz et déclarèrent que leur enfant avait été enlevé par Raphaël Lévy. Et le vendredi suivant, le lendemain de Kippour, les syndics dela communauté comparaissent devant le Gouverneur, qui leur fait part de l'accusation formulée contre Raphaël Lévy, ce qui, en raison de la gravité de la situation pour tous, leur commande de faire venir Raphaël Lévy pour s'expliquer.
Aussitôt les syndics invitent Raphaël Lévy à se présenter. D'après le récit de Joseph Reinach : Erreur judiciaire sous Louis XIV (Essais de politique et d'histoire, Paris, Stock 1899, publiés en pleine affaire Dreyfus), Raphaël Lévy, se trouvant comme habitant de Boulay sous la juridiction du Duc de Lorraine, aurait pu ne pas comparaître. Et les syndics de Metz n'osèrent même pas franchement l'inviter, ils se rendaient compte de leur grande responsabilité. Mais il ne tarda pas à leur répondre par écrit :
"Si je ne me présente pas, on prendra pour vraie la fausse accusation et il pourra en résulter un plus grand danger pour la communauté ; je sanctifierai le nom du Seigneur pour sauver la Maison d'Israël."
R. Lévy vint le lundi à Metz. Le Gouverneur le questionna et lui dit de revenir jeudi, afin de le confronter avec le paysan. R. Lévy se présenta déjà la veille, après l'office du matin, pour ne pas comparaître le premier jour de Soukoth, accompagné de deux syndics.
Voici qu'on entend que l'enfant perdu a été retrouvé mort dans la forêt de Glatigny.
L'accusation alla jusqu'à prétendre que Raphaël Lévy avait enlevé l'enfant pour l'amener à Metz et pour le livrer à la communauté en vue de ses besoins rituels. Quelle monstrueuse accusation !
Ce furent, comme l'histoire nous apprend, les Romains les premiers qui avaient forgé cette accusation contre les Chrétiens, en les appelant "infantari". Aussi les Papes se sont-ils toujours élevés contre cette fausse accusation formulée contre les Juifs, il y en a qui menaçaient même d'excommunication ceux qui colportaient des accusations pareilles (voir Salomon Reinach : L'accusation du meurtre rituel ; R. E. J. 1893, p. 161-186).
Raphaël Lévy aurait pu fuir, il était encore libre, mais il déclara que sa fuite pouvant faire le malheur de la communauté de Metz, il préférait, s'il le faut, être le martyr de sa foi et ajouter son Kidouch hachem (Sanctification du nom de l'Eternel) à celui des saints qui l'avaient précédé dans l'Éternité. Il ne demandait qu'une chose c'est que la communauté prenne soin de sa femme et de ses enfants. Et voici qu'il se présente devant le Lieutenant criminel qui l'a incarcéré.
Des dix-neuf témoins cités il n'y a que la bouchère Blaisette qui déclare avoir vu l'accusé. Le meunier n'a même pas été cité par le tribunal, très probablement de peur d'être obligé, après l'avoir entendu, d'abandonner l'accusation. Mais on ne craint pas d'infliger au malheureux inculpé l'humiliation de l'obliger à prendre en mains la tête et les ossements de l'enfant mort de faim et déchiqueté très vraisemblablement par les loups, à cette époque peu rares en Lorraine. On a voulu voir si l'aspect de ces restes lugubres ne lui produisait pas d'effet.
Voici que de faux témoins se présentent ; le fanatisme réveillé, cherche sa victime. Un renégat Juif, Paul deVallié, de son nom juif appelé "Isaac", se met de la partie pour charger l'accusé et ses coreligionnaires. Des lettres écrites en hébreu (1) par l'inculpé et jetées de la fenêtre de la conciergerie à Marguerite Houster, servante de Jean Lambert, concierge des Prisons royales, qui devait les apporter à la communauté, furent recueillies et arrangées pour le besoin de la cause afin de prêter au soupçon, voire à la culpabilité. Une descente des lieux fut ordonnée et confiée au conseiller Claude David Sieur de Doillon afin de réunir tout cequi pouvait avoir trait au procès. Les recherches aboutirent à une trouvaille des plus importantes, faite à un quart de lieu de l'endroit où l'enfant avait été perdu, celle
"de deux petites robes, l'une dans l'autre, d'un bonnet rouge, d'un bas et d'une chemise, le tout sans aucune trace de sang",
d'après les deux maîtres chirurgiens qui s'étaient livrés à un examen minutieux,
"Les dites Teste et Hardes sont apportées en cette Ville et déposées au Greffe de la Cour par ordonnance du dit conseiller, les Maistres chirurgiens qui avaient veu (sic) et visité la teste trouvée dans ledit Bois font leurs rapports".
Les débats reprennent, les confrontations se multiplient, les rapports des chirurgiens sont entendus.
"Les personnes à qui Blaisette Thomas, femme de Didier Remy, boucher à Metz avait dit qu'elle n'était pas encore accouchée lorsqu'elle avait veu (sic) passer le dit accusé, portant un enfant, sont pareillement ouïys (sic)".
Voici que
"la Cour (2) ... a déclaré ledit Raphaël Lévy Juif suffisamment atteint et convaincu d'avoir enlevé le 25e septembre mil six cent soixante neuf sur le grand chemin près le village de Glatigny, l'enfant de Gilles le Moine, habitant dudit lieu, qui estait âgé de trois ans, de l'avoir apporté en cette ville de Metz et duquel depuis, la Teste, partie du Col et des Costes, ensemble les Hardes ont esté trouvées exposées dans les Bois près dudit lieu de Glatigny. Pour réparation de quoi a condamné ledit Raphaël Lévy à faire amende honorable au devant du grand Portail de l'Eglise Cathédrale de Metz, et estant à genoux nud en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche ardente du poids de trois livres, dire et déclarer que malicieusement et méchamment il a enlevé ledit enfant et l'a apporté en cette ville et qu'il s'en répent (sic) et en demande pardon à Dieu, au Roy et à la Justice. Ce fait ledit Lévy conduit en place au Champs à Seille pour y estre bruslé et les cendres jetées au vent, et auparavent (sic) l'exécution, appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, pour avoir révélation de ceux entre les mains desquels il a mis ledit Enfant, et qui l'ont fait mourir, ses biens acquis et confisqués à qui il appartiendra, sur iceux préalablement pris la somme de mil livres d'amende envers ledit le Moine, & les dépens du procès...
Fait à Metz en Parlement en la Chambre de la Tournelle Enqueste le 16 Janvier 1670.
Collectionné, signé : BOLLIOUD ;
Monsieur de PAGNY, Rapporteur.
Prononcé et exécuté le dix septième desdits mois & an, à Metz par J. Antoine et M. Antoine, Imprimerie jurée du Roy & de nos seigneurs de Parlements.
Après sa condamnation le curé de la paroisse de St-Marcel et le gardien des Capucins l'exhortèrent à quitter sa foi et à embrasser la religion chrétienne. Le procureur du Roi lui propose aussi de sauver son âme avant de mourir. Il se lève avec indignation du banc sur lequel il était assis et s'écria : "Je suis Juif et je veux mourir en Juif !". Il demanda alors qu'un Juif soit admis dans sa cellule. Les syndics Seligmonn et Sanvel se rendirent pour le consoler. Il leur confie encore une fois le sort de sa femme et de ses enfants. Pour aller à la mort il met ses Tephilin (phylactères), c'est sa couronne qu'il veut porter sur la tête en se présentant devant Dieu.
Avant il a dû subir les tortures de la question ordinaire et extraordinaire afin qu'il livrât les noms de ses complices. Il a été sublime et tombé en faiblesse, on lui offre du vin qu'il refuse froidement.
L'après-midi du même jour, on le conduit devant la cathédrale où il refuse d'accepter la torche qu'il devait porter. De même il s'oppose à monter sur une charrette qui devait le conduire au supplice. "Le même Dieu qui lui donna la force de supporter les tortures, lui donnera la force, dit-il à son entourage, pour aller à pied".
On le fait descendre le chemin de la Fournirue et en route on s'essaie encore une fois à le convertir. Mais le pauvre martyr reste ferme et demande aux convertisseurs, s'ils ne voient pas le Ciel ouvert et les anges descendre pour recueillir son âme. Arrivé sur la place du Champs à Seille, le bourreau lui couvre la figure de paille, mais il l'enlève. Des non-juifs prétendent que le bourreau l'a égorgé avant que les flammes l'eussent atteint. En moins de dix minutes son corps était incinéré. il n'en reste plus rien. Ce jour là il y eut une tempête dont personne n'avait jamais vu la pareille.
L'exécution eut lieu dans l'après-midi du vendredi de la section sabbatique de Woëroh (3).
Depuis ce jour les juifs de Metz prirent la pieuse coutume de jeûner au jour de l'anniversaire de sa mort, et pour glorifier Raphaël Lévy, ils l'ont appelé le "Rabbi et le Saint". L'abbé Grégoire dans son ouvrage sur la "régénération des juifs..." parle encore de cette coutume qu'il avait constatée encore en 1788. Et jamais plus un Juif n'aurait passé la nuit à Glatigny, qu'on évitait depuis ce jour (4).
Le Parlement, non content du drame lugubre qui venait de se jouer à Metz, poursuivait encore d'autres personnes qu'il aurait voulu impliquer dans l'affaire afin de décider le Gouvernement à expulser tous les Juifs de Metz.
Mais voici qu'un des hommes les plus puissants : R. Jonas Salvador du Pignerol (5) du pays de Turin, ayant de grandes relations à Paris jusqu'à dans les hautes sphères, s'emploie pour faire de la lumière sur cette triste affaire et pour rétablir ses malheureux coreligionnaires de Metz. Avec le concours de Richard Simon (voir Revue Orientale II, 8) il arrive à intéresser la Cour suprême de Paris à l'affaire, qui au nom du Roi demande au Parlement de Metz de lui faire parvenir tout le dossier de l'affaire Raphaël Lévy, et après un long et méticuleux examen, le tribunal suprême arrive à la conclusion qu'un innocent a été martyrisé et exécuté, et le Roi Louis XIV fait renvoyer au Parlement de Metz les pièces avec la sentence humiliante : "Il n'y a pas de meurtre rituel qui a été commis, mais un meurtre de justice". Aussi le roi ne laisse-t-il pas toucher aux privilèges des Juifs, qui sont contestés par une population surexcitée et fanatisée, attachant trop facilement foi à ces accusations qui se renouvellent à chaque instant. Bien au contraire, dans ses lettres patentes du mois de juin 1696, il laisse passer dans leur possession entière (6), comme une propriété légale, les maisons qu'ils avaient acquises, sans que désormais aucun droit n'en fût à payer ni à lui ni à ses successeurs.
Par la suite, la situation des Juifs empire. Non seulement le destin s'est acharné contre un pauvre innocent et sa famille, mais tous les Juifs du pays, après avoir passé avec l'infortuné martyr par les plus terribles angoisses, se voient menacés dans leur existence. Par moment ils devaient s'attendre d'un jour à l'autre à une expulsion totale d'une ville où après tant d'efforts, ils s'étaient créés une situation des plus enviables en comparaison avec la condition des Juifs dans d'autres pays (7).
Le Parlement lui-même adresse une requête au roi, demandant leur expulsion.
Le conseil du Roi fixé sur la fausseté de l'accusation, comme nous venons de le dire, non seulement rejette cette demande, mais prend une attitude protectrice à l'égard des Juifs (8).
Il est vrai que toute cette bienveillance à leurégard ne l'a pas empêché d'être ferme pour la sauvegarde des intérêts de la population avec laquelle trafiquaient les Juifs de Metz.
De l'année 1710 du mois d'août date une déclaration enregistrée au Parlement, portant :
"que le roi informé que plusieurs Juifs de la ville de Metz, faisant la banque et le commerce, tenaient leurs registres en longue hébraïque, ordonna qu'ils seraient obligés de tenir les registres dans la forme prescrite par l'ordonnance, en langue française, faute de quoi ils seraient déchus de toute action, pour raison des sommes qu'ils prétendaient leur être dues, déclarés incapables de faire aucun commerce de banque ou autre de quelque nature que ce fût et condamnés en outre à 200 livres d'amende".
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