HELLIMER en Moselle (suite)
IV . Les sources judiciaires
Egalement aux Archives Départementales (série B), la série
"justice" ; elle contient en fait des sources extrêmement diverses.
Nous allons les diviser en quatre catégories : - plaids annaux,
- actes
tutélaires,
- audiences, causes et procédures, et
- affaires criminelles.
Nous avons utilisé les liasses B 8145, B 8464 à 8479 et B 11262
à 11264.
1. Les plaids annaux
Le duc de Lorraine Charles III créa en 1598 les plaids annaux, institution
spéciale à la Lorraine. Ces plaids se tenaient dans chaque village
et chaque année, vers le milieu d’octobre, en présence du
seigneur ou de son représentant ; tous les habitants du village étaient
tenus d’y assister sous peine d’amende. C’est là qu’on
procédait à la nomination du maire et des échevins, du garde
champêtre, du garde chasse, du garde forestier, et à leur prestation
de serment. On énumérait les cens et autres droits féodaux
à payer ; on prononçait les amendes. Les agents chargés des
recettes et dépenses du village rendaient compte de leur gestion et faisaient
les ordonnances de police nécessaire.
Le chercheur aura parfois l’agréable surprise d’y trouver
la liste nominative de tous les chefs de famille, y compris les juifs ; ceux-ci
seront aussi mentionnés – comme les autres manants – parmi
les plaintes évoquées ; donnons quelques exemples :
- 08.09.1749 : le valet de Joseph SALOMON est pris avec un cheval chargé
de poires qui ne lui appartiennent pas.
- 15.10.1755 : un cheval de Mayer LEVY est retrouvé en train de paître
dans un patural de Monsieur le baron de Hellimer.
- en 1758 : la servante de Guerchen ELIAS prise en train de marauder dans un
verger.
- en 1760 : rappel des taxes sur la viande de bœuf, le pain, le vin ; le
04.05.1760 Joseph SALOMON, cabaretier, doit payer ses taxes (il est en retard…)
sur le vin qu’il a encavé ; on mentionne que le vin se vend actuellement
(le 15.07.1761) 20 sols la pinte de " rouche " chez le dit Joseph.
- le 03.09.1761 : à propos d’un gigot de mouton acheté chez
Joseph POLAC (la vente a été faite par son gendre) : l’acheteur
en conteste le poids, le dit gigot ne pesant que 7 livres ¾ (le poids
supposé n’est pas mentionné) ; Joseph POLAC proteste de
sa bonne foi, va chercher ses poids, repèse le gigot devant les témoins,
et … déclare que sa fille et son gendre se sont trompés
en manipulant les poids ! … Il indemnise à l’instant le plaignant.
- 19.01.1762 : on a trouvé un cheval chargé d’une quarte
de farine devant la maison de Alexandre MOISE, farine qui n’aurait pas
été moulue (comme le veut la loi) au moulin de Hellimer ; Alexandre
MOISE doit donc régler une amende de 1 écu de dommages et intérêts
au meunier.
Hellimer sur une carte postale ancienne - coll. M. &
A. Rothé
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Parfois les plaintes étaient plus graves et émanaient de plusieurs
personnes à la fois : en 1757 les Juifs sont accusés de vendre
"toutes sortes de mauvaise viande qui pourraient infecter le public de maladies,
les cabaretiers de leur côté vendent et débitent des vins
mauvais, même des restes de tonneaux à des prix exorbitants sans
qu’au préalable ils eussent été taxés, ce
qui est contraire à la bonne police et au bien public".
La réponse du maire est modérée : "Nous, pour éviter
tout inconvénient, supprimer le désordre et établir le
bon ordre faisant droit sur les réquisitions, avons fait défense
à tout juif, chrétien ou autre de tuer, vendre ni débiter
aucune viande sans qu’au préalable la visite n’en eut été
faite par le maire et les gens de justice, qu’aucun cabaretier ni autre
ne pourra vendre ni débiter aucun vin sans qu’au préalable
la taxe n’en eut été fixée par le maire et les gens
de justice" (suivent les tarifs des amendes).
Cette année-là les plaintes allèrent plus loin : "étant informé que le nombre des familles juives se multipliait
et s’augmentait continuellement dans le lieu d’Hellimer sans aucune
permission valide, sur les réquisitions de maîtres Bécoeur
et Bruland, procureurs fiscaux, avons fait appeler Moyse LEVY, Joseph POLAC,
Nissen ELIAS, Guerchen ELIAS et tous les autres juifs tant lorrains que français,
et les avons sommés de nous produire une permission valable pour pouvoir
résider dans ce lieu tant sur la partie de France que sur celle de Lorraine
; ils auraient les uns et les autres tergiversé et refusé de ce
faire, pour raison duquel refus faisant droit sur les réquisitions des
procureurs fiscaux, avons ordonné que dans le mois ils justifieront et
rapporteront les permissions en vertu desquelles ils se sont établis
au lieu d’Hellimer. Sinon, le dit temps passé , autorisons les
procureurs fiscaux de les expulser par éjection de leurs meubles sur
le carreau avec défense à tout particulier de leur donner retraite
ni aide sous peine de dix francs " (…)
Cette affaire montre que les juifs ne se laissaient pas trop impressionner par
de telles réquisitions ; nous n’avons pas trouvé mention
d’une expulsion effective.
2. Les actes tutélaires
A côté de tutelles et curatelles prononcées pour des orphelins
(les parents qui mourraient jeunes, laissant des enfants encore en bas âge,
n’étaient pas rares en ce temps-là), on trouvera aussi des
plaintes en justice :
- En 1753, une croix est "arrachée" par des juifs … Les gens
de justice se transportent sur place et constatent qu’effectivement
une croix (= un calvaire) est tombée à terre et s’est
cassée. On dénonce Manesse LEVY, qui est condamné à
4 livres de cire blanche pour l’église de Hellimer, et à
faire reconstruire dans la quinzaine une croix en pierre de taille neuve ;
mais Manesse prétend que la croix penchait déjà et qu’elle
est tombée toute seule (!!!) alors qu’il dansait autour …
Manesse LEVY appelle à témoins Guerchen ELIAS, Aron MOÏSE,
Manchen MAYER et Joachim POLAC qui déclarent qu’ils étaient
présents le soir-là avec quantité d’autres Juifs,
tous occupés à rire pendant que le dit Manesse dansait ; finalement
on fait citer à comparaître tous les autres juifs d’Hellimer
: Moïse LEVY, Joseph et Lazare SALOMON, Abraham PLOCH, Samuel BACHRICH,
Elias ABRAHAM, Isac DAVID, Haymann HERTZ, Mayer LEVY, Jacob NEUMARCK, Schille
SALOMON, tous sont amenés par les gens de justice sauf Lazare SALOMON,
Samuel BACHRICH, Hayman HERTZ et Joseph POLAC qui ont déclaré
être dans leur " poille " (poêle = Stube : chez eux)
lorsque les ci-dessus ont renversé la croix. Les autres sont donc collectivement
condamnés à faire replanter une croix de pierre de taille de
6 pieds de haut aux lieu et place de celle qu’ils ont cassée,
et à payer une quantité de cire à l’église
d’Hellimer.
- En 1781, Joseph SALOMON prétend qu’on lui a fauché l’herbe
sur des prés qu’il loue à la fabrique ; les gens de justice
se déplacent et vérifient que Jean KIFFER a effectivement fauché
au-delà de son propre terrain sur une profondeur de 10 pieds et une longueur
de 22 toises ; le foin coupé et laissé sur place sera donc à
partager au prorata entre les deux hommes.
- En 1788, le prêtre fait état que les Juifs font commerce le dimanche
et demande qu’ils n’aient pas le droit de mener des bêtes à
travers le village pendant le service divin.
3. Les liasses intitulées "audiences, causes et procédures"
Synagogue de Hellimer
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Elles contiennent des affaires relatives à des défauts ou des retards
de paiement ; quelques autres cas ont trait à des violences entre personnes,
nous retiendrons ces trois exemples :
- Audience du 16.06.1747 : Salmon SELIGMAN contre Nissen ABRAHAM ; Salmon
aurait jeté des pierres sur Nissen le jour du shabath, l’aurait
saisi par les cheveux et blessé à l’épaule.
- Audience du 18.09.1748 : Jean KARST, laboureur de ce lieu, contre Joseph
POLAC, marchand de ce lieu, lequel n’aurait pas versé à
Jean KARST une somme due se montant à 15 livres ; Joseph POLAC proteste
de son innocence et demande à affirmer cela "entre les mains d’un
Raby ou autre Juif pour affirmer en la manière judaïque comme
quoi il ne doit pas la somme requestée et qu’il en a fait le
paiement au juste" (serment dit "more
judaico").
- Et enfin une curieuse affaire dont nous n’avons pas la conclusion
: audience du 01.02.1732, Marcus (Mordekhai) POLAC de Hellimer, demandeur,
contre Marcus BUSSENER, défendeur, laboureur demeurant au dit Hellimer.
Comparaît Marcus POLAC, en qualité de mari et protecteur de corps
et de bien de sa femme. Celle-ci "était allée se baigner le
28 janvier dernier vers les cinq heures du soir dans un trou où il
y avait de l’eau dans un patural près du dit Hellimer, le dit
patural appartenant au dit Marcus BUSSENER et consors. Lequel Marcus coupa
une branche de saule de la longueur d’un bâton avec une serpe,
s’approcha de la femme du demandeur qui était dehors de ce trou
sans aucun linge qui couvrait son corps, et voulant s’habiller de sa
chemise avec laquelle elle couvrait sa nudité, le dit défendeur
la lui tira hors des mains et en cet état la maltraita de cette branche
de saule un quart d’heure à sa discrétion, desquels coups
elle est toute meurtrie et très incommodée, son corps rempli
de plaies et de sang, n’ayant rien pour se couvrir, étant nue
comme quand elle est venue au monde, en cet état fut obligée
de retourner à la maison jetant le sang par la bouche, en danger de
perdre la vie" ; Marcus POLAC demande 500 francs de dommages et intérêts
(une très grosse somme) ; l’affaire est renvoyée pour
apport de preuves à l’audience suivante, qui se trouve malheureusement
dans une liasse non consultable à cause de mauvais son état
de conservation … !