A partir de quand, les premières colonies juives s'établirent-elles dans notre région ? On peut raisonnablement penser que les premières arrivèrent avec les légions romaines s'installant le long du fleuve Moselle. Elles disparurent cependant avec l'effondrement de l'Empire romain.
On en retrouve à l'époque franque. Des indices nous permettent de savoir qu'il y avait une présence juive à Metz, capitale du royaume d'Austrasie. Avec beaucoup plus de précision, il est possible d'attester de leur présence en Lotharingie à partir du 9ème siècle.
Jusqu'au 15ème siècle, leur présence dépendra de la politique d'accueil des souverains ou seigneurs locaux.
C'est au cours de la secondé moitié du 16ème siècle que s'amorce un retour des Juifs dans notre région, lié à la politique d'expansion vers l'Est des rois de France. Cependant, rares semblent avoir été les établissements durables avant la Guerre de trente ans. Après, en revanche, deux types de groupements juifs se constituent soit dans les villes militaires ainsi par exemple pour Thionville où on les accepte pour les services qu'ils rendent à la garnison ou alors dans les villages où ils sont tolérés car payant des droits d'habitation qui renflouent les finances.
Tout au début du 17ème siècle, de petites implantations se situent dans le pays messin et autour de Thionville dont Metzervisse, Sierck-les-Bains, Luttange. Ces groupements proviennent principalement du surpeuplement de Metz ? Vers le milieu du 18ème siècle, une implantation a lieu à Metzervisse comptant quinze à vingt ménages.
Quels métiers exerçaient les membres de cette communauté ? A Metzervisse, ils étaient bouchers, marchands de bestiaux, colporteurs, intermédiaires auprès des paysans pour des denrées de première nécessité. Ils pratiquaient le prêt à intérêt à des niveaux variables suivant leur fortune et celle de leurs débiteurs. Cette situation est celle que l'on trouva à Metzervisse jusque dans les années 1960, date à partir de laquelle il n'y eut plus de Juifs dans la localité.
Ailleurs, les métiers exercés étaient conditionnés par les restrictions imposées à leurs activités. Il faut constater que, passées les menaces d'expulsion de la fin du règne de Louis XIV, les Juifs de la région n'ont plus eu à subir au 18ème siècle de mouvement général d'hostilité.
Si le culte israélite n'est que toléré avant la Révolution, la plupart des communautés ont obtenu des Autorités locales, la permission de faire construire de petites synagogues. Ce fut le cas à Metzervisse en 1748. Ces petites synagogues étaient bâties de manière à ne pas donner directement sur la voie publique afin que les cérémonies du culte ne "troublent" pas la tranquillité des autres gens. On passait par une maison qui était en général celle du ministre officiant d'où l'on accédait à une cour intérieure sur laquelle donnait la synagogue, comme dans la localité car on en trouve encore des vestiges à l'arrière d'un commerce se trouvant en face de l'église.
La période de 1789 à 1808 ne fut pas de tout repos pour les communautés. L'hostilité à leur égard est surtout révélé par les cahiers de doléance et l'on se plaignait de l'usure et de la "prolifération des Juifs"; Mais l'Assemblée Nationale vote le décret du 27/9/1791 qui accorde enfin aux Juifs de l'Est la plénitude des droits civiques, ce qui calmera la situation.
Le décret de "Bayonne" visa à uniformiser et à clarifier l'état civil des Juifs. Dans notre région, ils conservèrent leurs anciens noms sans modification.
Au milieu du 19ème siècle, 17% de la population de Metzervisse était juive.
Au milieu du 19ème siècle, l'émigration atteignit la communauté juive rurale, émigration vers Paris, les Etats-unis, l'Amérique du Sud. Le déclin se poursuivra après le Traité de Francfort qui officialise l'Annexion par l'Allemagne de la Lorraine mais sera moins ressenti à Metzervisse que dans le reste de la région.
La première guerre mondiale ne fit qu'accélérer le déclin du judaïsme rural mosellan et les vommunautés juives entre autres, celle de la localité, perdit nombreux de ses membres soit sous l'uniforme allemand soit français.
La seconde guerre mondiale va porter le coup de grâce au judaïsme rural. Dès le début du conflit, en octobre-décembre 1939, de nombreux Juifs sont évacués vers l'intérieur du pays. Ceux qui sont restés sont expulsés entre juillet et octobre 1940. Nous reparlerons plus loin du sort des israélites de Metzervisse. Leurs biens sont confisqués. Les nazis incendient la plupart des synagogues ce qui n'a pas été le cas pour Metzervisse mais elle a été profanée et saccagée ainsi que le cimetière israélite local que nous évoquerons plus loin.
La Synagogue
Cette synagogue aurait été construite en 1748. Comme indiqué précédemment, cet édifice comme dans la plupart des communautés n'était pas visible de la rue. On y accède par une propriété privée, jadis la maison du ministre officiant. La synagogue ayant été détruite, il est difficile de se rendre compte de son état original. Il reste une partie des murs extérieurs, deux encadrements de fenêtres et surtout l'arche sainte ( voir photo page 5), peut-être une des plus belles du Département avec colonnes en pierres de taille, surmontée par la Table de la Loi où les dix commandements sont gravés en hébreu, un véritable joyau qui soutient le soubassement d'une terrasse.
Dans sa cave est parfaitement conservé un bassin pour le bain rituel (mikvé) rempli d'une eau claire qui vient d'un puits, entouré de dalles de sol en pierres du pays. Il existe encore les marches de pierre qui descendent vers le fond du bassin.
A signaler encore que l'on trouve des vestiges de synagogues désaffectées dans des localités voisines ainsi à Waldwisse, Buding, Luttange, Ennery, Flévy, Uckange.
De nos jours existent encore celles de Sierck-les-Bains et celle de Thionville. La synagogue de Bouzonville a été détruite pendant la guerre et reconstruite après 1955. Celle de Thionville, construite par des architectes allemands de Karlsruhe fut inaugurée le 19 août 1913. Elle fut détruite par les Allemands dès l'été 1940. Il s'agit cette fois d'un incendie "involontaire", alors que du pétrole et de l'essence avaient été répandus à l'extérieur comme à l'intérieur. Quant au cimetière juif de cette localité, il fut entièrement détruit à l'époque par des "inconnus".
Le cimetière juif de Metzervisse
Pratiquement toutes les tombes qui subsistent se trouvent du côté village alors que la plus grande partie de la superficie vers la maison Heine est utilisée. Il faut bien dire "semble", car en étudiant une carte postale aérienne des années 1955-1960, ii est possible de deviner des pierres tombales renversées à certains endroits. Enquête faite, il en existe encore aujourd'hui quelques-unes perdues dans la verdure. Cette partie du cimetière a-t-elle été utilisée autrefois ? S'agit-il d'une parcelle dans laquelle on enterrait les enfants comme certains le prétendent ? Aucune inscription ne permet de le vérifier. La question reste posée et demande une réponse. Qui le fera ?
Il faut préciser que dans cette nécropole étaient inhumés toutes les personnes de confession israélite du Canton de Metzervisse. Il faut dire également que très peu d'inhumations ont eu lieu au cours des dernières années car le canton s'est vidé de sa population juive qui a choisi de vivre dans les villes comme Metz, Thionville, Bouzonville, Hagondange, Paris ou même plus loin et a fait souche au bord de la Méditerranée ou même en Israël. Le dernier enterrement a eu lieu en janvier 2002 et concernait Mme Cerf, originaire de Luttange, décédée le 23 janvier de la même année à Vigy.
Toutes les pierres tombales sont caractéristiques du patrimoine juif comme le montrent nos photos sauf pour les plus récentes. Elles portent des inscriptions en hébreu bien entendu mais également en français et une seule en allemand concernant un M. Jacob Lazard de Buding décédé le 17-10-09 à l'âge de 82 ans.
Des plaques posées récemment par la famille Lambert de Buding indiquent chaque fois le nom du défunt sur différents caveaux avec la date de naissance et de décès.
Signalons les plaques commémoratives sur de nombreuses tombes rappelant la mort de familles entières dans les terribles camps de concentration nazis dont celle de la famille Israël Jacob ( 18-4-1944) et Bing, ministre officiant ainsi que celle de la famille Picard. Nous en reparlerons par ailleurs dans notre étude.
Sur les plaques, nous trouvons les noms caractéristiques de familles juives telles que Cahen Hayem, Jacob, Bloch, Mohrange, Lévy, Cerf, Picard, Salomon, Weill, Baum, Lambert (Buding). Dans les environs de Metzervisse se trouvaient d'autres cimetières juifs tels ceux de Chelaincourt (pour Flévy et Ennery), Bouzonville, Sierck-les-Bains, Uckange, Waldwisse et Thionville. Nous en retrouverons certains lorsque nous évoquerons le destin de quelques synagogues.
Messieurs Bolzinger Nicolas et Bolzinger Roger se souviennent de l'époque de la guerre où l'Arbeitsdienst ( Service du travail obligatoire paramilitaire) séjournait pour quelques semaines dans la localité :
Après la guerre et à la demande du Consistoire, Mrs. Schmitt Paul et Bolzinger Nicolas ont entrepris des travaux de réparation et d'entretien du cimetière. Encore de nos jours, il est nettoyé régulièrement.
Il n'a pas autant souffert que celui de Boulay, qui n'a pas échappé à la dévastation. Après démolition des monuments funéraires, ouverture des fosses et dispersion des ossements, on y avait inhumé des prisonniers russes.
Quant à la synagogue de cette localité érigée en 1840 et qui appartenait à l'une de plus anciennes communautés juives en Lorraine (Juifs venus de Rhénanie au 15ème siècle) elle fut entièrement détruite dès 1940.
Il est possible de visiter le cimetière local de Metzervisse. La clé du portail est à réclamer à Mme Pompermeier Elise, 3 rue du Stade, à proximité de son emplacement.
Un lotissement d'une vingtaine de maisons est actuellement en projet et se situerait derrière ce cimetière et s'étendrait vers le fossé au bas du lotissement de la "Bibiche".
Voir le relevé des tombes juives établi par M. et Mme J-P. BERNARD en 1996
La population juive de Metzervisse
Ce n'est qu'après la Révolution, lorsque l'État civil ne dépendra plus des curés mais du maire que les juifs commencent à figurer dans les registres. Mais c'est également avec la Révolution que le nombre de juifs dans le village va commencer à chuter vu qu'à partir de ce moment ceux-ci pourront s'installer à Thionville. Déjà en 1803, neuf juifs nés à Metzervisse s'étaient installés à Thionville. Il s'agit de Alphen Lazare, Goton, Madelaine, Salomon, Charlotte et Déborah ainsi que de Hesse Déborah, Lion Heskel et Wempfen Colman.
La présence des juifs dans les registres d'Etat civil au début du 19ème siècle nous permet d'établir une liste de quelques juifs de la localité avec leurs professions :
On voit clairement que les juifs n'exercent absolument pas les mêmes professions que les chrétiens. Notons la présence de six bouchers. Le nombre de chantres hébraïques montre l'importance de la communauté.
En 1890,sur une population de 650 habitants, il y a encore 69 juifs soit plus de 10%. On notera également pour la même année 37 protestants, soit environ 5%.
Le Cahier de doléances
Il est également intéressant d'évoquer le cahier de doléances de Metzervisse. Contrairement ce que l'on trouve dans d'autres localités, il est assez modéré à l'égard des juifs. En effet, il semblerait qu'il ait toujours existé une bonne entente entre les chrétiens et eux.
En son article 2, il nous est dit :
Si la vie locale se passait sans gros problèmes entre les différentes communautés de religion différente, il n'empêche qu'il y a toujours eu une certaine perception du juif que l'on considérait comme riche, cupide, roublard et profiteur. Il faut dire qu'ils réussissaient bien leur vie professionnelle ce qui attisait la jalousie de beaucoup de chrétiens. Il faut noter cependant qu'il existait également des juifs pauvres !
Il faut aussi dire que de nombreuses jeunes filles catholiques du village travaillaient en tant que femmes de ménage dans ces familles juives souvent familles nombreuses.
Mme Pompermeier nous a raconté que le jour du "sabbat", les voisins catholiques se rendaient dans les maisons juives à la demande de ces dernières pour allumer le feu, les lampes électriques et exécuter d'autres travaux ménagers car leur religion leur interdit de travailler ce jour ainsi qu' à certaines de leurs fêtes.
Une anecdote est à évoquer dans le cadre de cette étude : un commerçant juif avait trouvé une "combine" pour se faire facilement de l'argent. Celui-ci comme beaucoup de ses coreligionnaires prêtait de l'argent en se faisant bien évidemment verser des intérêts substantiels. Cependant lui, poussa le bouchon un peu loin. Lorsque se produisait dans le secteur le décès d'un paysan avec lequel il avait eu des relations, il se rendait dans la famille du défunt pour présenter ses condoléances. Il profitait de l'occasion pour prendre à part celui où celle à qui revenait l'héritage et lui faisait savoir que le défunt lui avait emprunté en catimini et sans le faire savoir à sa famille une grosse somme d'argent et qu'il fallait donc le dédommager dans les meilleurs délais. Bien entendu, tout cela n'était pas vrai. Cependant, afin d'honorer cette dette, la famille, bien que surprise mais voulant garder la tête haute se faisait un honneur de régler cette somme.
Il utilisa ce subterfuge à plusieurs occasions. Mais le bouche à oreille entre paysans permit de découvrir qu'il s'agissait d'une escroquerie. Après enquête les faits s'avérèrent exacts et l'escroc fut condamné au bagne.
•C'est ce que l'on raconte encore aujourd'hui dans les "chaumières" de quelques paysans du cru.
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