J'ai été intéressé au Sionisme vers la fin de 1913 (j'avais alors quinze ans) par mon frère aîné, qui est malheureusement mort en 1916, victime de la guerre.
En 1913 le KKL, qui s'appelait encore Fonds National Juif, était pratiquement
inconnu en Moselle, où j'habitais alors.
Au début de l'année 1914 j'ai commencé à visiter
méthodiquement les familles juives des arrondissements de Thionville,
toujours sous l'impulsion de mon frère, qui était, lui, guidé
par feu Gustave Lévy de Metz, devenu par la suite Conseiller à
la Cour d'Appel de Lyon. Je réussis à faire accepter des troncs
par presque toutes les familles de la région, et j'organisai un réseau
de jeunes camarades pour les levées.
Jusqu'en novembre 1918 le résultat des levées fut transmis au
bureau central du KKL de Berlin, car l'Alsace et la Moselle faisaient à
cette époque partie de l'Allemagne.
L'Armistice de 1918 nous coupait de Berlin, mais dès le printemps
de 1919 je reçus une lettre de Strasbourg me faisant savoir qu'un Monsieur
Tobie Salomon était chargé de centraliser dorénavant
le travail du KKL. Venu à Strasbourg comme étudiant en avril
1919, j'allai immédiatement prendre contact avec cet inconnu, que je
me représentais comme un vénérable vieillard porteur
d'une grande barbe blanche.
En fait, c'était un étudiant de mon âge, mais quel homme
! Doué de capacités intellectuelles considérables, d'une
volonté de travail inégalable, il était surtout animé
d'un amour farouche du KKL C'est lui qui a fait revivre et a développé
le KKL dans notre région entre les deux guerres.
C'est sous l'impulsion de Tobie que se constitua une petite commission du
KKL dont il était d'ailleurs la force (le moteur) agissante, n'hésitant
pas à rester jusqu'à 1 h ou 2 h du matin dans le petit bureau
que nous avions créé dans l'ancienne gare, rue de Sébastopol.
Les journaux juifs d'Alsace ayant cessé de paraître depuis le
début de la guerre et le judaïsme sioniste de Paris étant
désorganisé, nous n'avions plus de journal pour publier la liste
des dons. Qu'à cela ne tienne ! Il fallait créer un journal.
En fait, c'est en septembre 1919 déjà que parut le premier numéro
de notre journal Le Juif. Nous nous étions d'ailleurs heurtés
à une difficulté imprévue c'est qu'un journal doit avoir
un gérant d'au moins 21 ans et qu'aucun d'entre nous n'avait cet âge.
Avec un peude mal nous trouvâmes un camarade un peu plus âgé
qui consentit à assumer cette fonction.
Ayant créé notre journal nous nous sommes rendu compte des difficultés de la tâche car il fallait tenir la liste des abonnés, faire de la propagande, rechercher les annonces, tenir une comptabilité ... Nous avons fini par passer la main à feu Monsieur Osias Grosvogel ; c'est lui qui a édité le journal jusqu'en 1939. Suivant le désir exprimé par de nombreux lecteurs, il transforma le titre et en fit la Tribune Juive. Quelques années après la création du journal, nous pensions qu'il serait utile d'avoir un organe destiné uniquement au KKL et à sa propagande ; quelques-uns de nos amis fondaient alors La Terre Promise, qui, après transfert de son siège à Paris, devint La Terre Retrouvée.
Vers 1923, nous nous sommes rendu compte de l'utilité qu'il y aurait à doter le KKL de la personnalité civile, qui s'acquiert en Alsace par l'inscription au Registre des Associations du Tribunal d'Instance (appelé en son temps Tribunal Cantonal). Cette formalité devait en particulier permettre au KKL de recevoir des legs, c'est-à-dire des donations par testament. En ma qualité de juriste, je fus chargé d'élaborer des statuts, d'établir le procès-verbal d'une assemblée générale avec élection du comité, et de faire procéder à l'inscription au Registre, ce qui fut fait à la fin de l'année.
Dans les documents, qui se trouvent toujours dans les annexes du Tribunal
(volume VI, no 41), j'ai constaté que l'assemblée constitutive
fut tenue le 24 juin 1923 et comprenait : Monsieur
le Rabbin Marx, Messieurs Lucien Dreyfus, Tobie Salomon, Edouard Bing,
le rabbin Berman (de Dijon), Mademoiselle Estelle Metzger, Messieurs Marcel
Weill, Gaston Haas et Marcel Coblentz. Je pense avec émotion à
tous ceux parmi ces amis qui ne sont plus de ce monde.
L'assemblée générale élit Monsieur le Rabbin Marx
président et Monsieur
Edouard Bing président suppléant. J'ai éprouvé
un certain plaisir à revoir au bas des statuts ma signature apposée
il y a de cela soixante ans.
Voilà la naissance légale de l'association KKL.
Pendant tout ce temps notre travail de propagande n'a pas cessé. Tobie
nous dirigea aussi vers les différentes communautés de la région.
Je me souviens qu'un jour il me fit inviter par la communauté de Dieuze
(Moselle) à y passer un Shabath et à prendre la parole à
la synagogue; moi, jeune homme de 25 ans, je montai sur l'estrade, comme un
rabbin, et délivrai mon discours à l'enchantement de l'auditoire,
qui n'avait jamais eu pareille visite.
Tobie fit aussi venir un film tourné sur les terres du KKL, et ce fut
avec une émotion que l'on ne peut plus mesurer à l'heure actuelle
que la population juive de Strasbourg vit pour la première fois des
images vivantes de la Terre Promise. C'était un événement
inimaginable. Voici en quelques traits l'essentiel des événements
qui ont mis en route le travail du KKL dans notre région après
la fin de la guerre de 1914/18 et les bouleversements qu'elle avait entraînés.
Biographie d'Edouard Bing |