Kadimah est un bulletin communautaire, mais aussi une revue de pensée juive, publié à Mulhouse entre 1930 et 1935, sous la direction du rabbin René Hirschler
Il vaudrait bien la peine de consacrer quelques instants d'attention à
ce qu'on pourrait appeler "la morale du calendrier juif". Nissan
: Pessah, la première
fête ; fondement de la nation juive. Sivan : Schevouoss,
promulgation de la Loi, c'est-à-dire de la mission historique du peuple
d'Israël. Tamouz : jour de jeûne, rappelant l'esprit de contradiction
et d'opposition, inné dans ce peuple, et esprit qui amène (Ab)
la destruction du temple. C'est pourquoi les mois suivants (Eloul et Tischri)
nous rappellent notre devoir qui consiste à retourner vers Dieu, afin
que le Yom Kippour obtienne
le pardon de nos péchés. C'est seulement après avoir
mérité ce pardon que nous avons le droit de nous réjouir
à la fête de Simhas
Torah, et c'est seulement après être retournés vers
la Torah que Dieu nous sauve de la main de nos oppresseurs, comme l'affirment
les deux fêtes hivernales (Hanoukah
et Pourim).
C'est surtout la succession immédiate du mois de Tamouz au mois de
Sivan qui donne à penser. Sivan : Révélation de la Torah,
Tammouz : jour de jeûne; et parmi les cinq catastrophes qui nous ont
frappés le 17 Tammouz, nos sages énoncent en premier lieu (et
ceci n'est sûrement pas seulement pour des raisons historiques). "Le
17 Tammouz, les Tables de la Loi se brisèrent", (Mischna Taanith,
4:6). Ces Tables de la Loi dont "l'Ecriture était divine, car
elle promulguait la liberté" (Exode 32:16 - d'après
Pirké Aboth 6:2), car ne sont libres que ceux qui s'occupent
de la Torah.
Pour bien comprendre cet enseignement, il faut se rappeler que les lois ne restreignent pas la liberté, mais qu'elles l'accordent. S'il n'y avait pas de lois, il n'y aurait pas de liberté morale, puisque chacun serait l'esclave de ses penchants, de ses tendances, de ses vœux. Ce sont les lois qui nous délivrent du joug de nos mauvais penchants. Cependant, si les hommes étaient les législateurs, on ne saurait pas quelle tendance inconsciente aurait dicté ces lois, car la morale créée par les hommes, elle non plus, n'est pas libre de penchants. Prenons seulement à ces deux grands systèmes de morale que Nietzsche a appelés Hevrenmoral et Sielavenmoral, morale des maîtres et morale des esclaves ! Donc, si nous voulons jouir d'une morale digne de ce nom, il faut que ce soit Dieu qui nous la donne.
Et Il nous l'avait donnée, Il l'avait déposée dans les
Tables de la Loi. Malheureusement, chez nous, l'esprit de contradiction, l'opiniâtreté
sont des qualités (!!) qui nous sont propres, depuis bien longtemps
puisque la Torah nous les reproche déjà. C'est cet esprit d'insubordination
qui amena le peuple à adorer le veau d'or, quelques semaines seulement
après qu'il eut reçu le plus précieux don qui fût
jamais fait aux hommes ; à se prosterner devant ce que leurs mains
avaient fait et d'oublier leur Dieu, qui les avait fait sortir de l'Egypte
idolâtre.
Cette adoration du veau d'or, ne symbolise-t-elle pas le retour même
à ce que la Torah venait de condamner, était venue condamner
: le retour à l'illusion de la supériorité de l’homme,
de la valeur suprême de l'oeuvre de ses mains ? Et c'est pourquoi cette
adoration fut la plus grave des cinq catastrophes du 17 Tammouz : les Tables
se brisèrent, la Liberté morale, accordée par la Torah,
semblait perdue, se serait perdue, pour toujours, si notre grand prophète
Moïse n'avait pas imploré Dieu.
Le Mois et sa Pensée ? Ne pas adorer ses propres œuvres, mais
se tourner - Kadimah - vers l'Est, car c'est du mont de Sion que
tout enseignement doit partir.
Le proverbe dit :
UNE PORTE QUI N'EST PAS OUVERTE AU DEVOIR, EST OUVERTE AU MÉDECIN
(Cantique des cantiques Rabba, ch. 6)
Cette assimilation vestimentaire était poussée à
un tel point que nos moralistes s'en inquiétèrent. "Les Juifs
devraient porter d'humbles vêtements et non des robes flottantes et
colorées", disait un proverbe du 13e siècle. Les Communautés
publièrent des Tekanoss, des décisions par lesquelles
elles obligeaient leurs membres à modérer leur élégance.
Ce fut ainsi partout. Ce fut ainsi pendant des siècles. Ce fut ainsi
jusqu'au jour où, en pays musulman, le prince Almohade Abou Youssouf
Yacoub Almansour commença à obliger les Juifs - convertis ou
non, - à porter des vêtements spéciaux, une robe grossière
avec de longues manches. C'était, dans son esprit une manière
de les ridiculiser.
Le moyen parut digne d'imitation au chef de la Chrétienté, au début du 13e siècle. Parmi les nombreux canons qu'Innocent III fit adopter par le 4e Concile de Latran, il en était un qui obligeait les Juifs à porter une marque distinctive de façon apparente. C'était en 1215. Mais le Concile laissait toute liberté aux Etats et aux Princes, pour déterminer la nature de cette marque, sa forme, sa couleur, sa longueur et sa largeur. C'est en France qui naquit la "Rouelle", sorte de roue d'étoffe, qui était déjà connue à Paris en 1208. Mais la chose n'était pas générale. A Marseille, les Juifs, à la suite du Concile de Latran, portèrent une calotte jaune par exemple.
Il fut donné au Saint Roi Louis le Neuvième d'unifier le système.
Le 19 juin 1269, alors qu'il préparait avec enthousiasme et piété,
la croisade de Tunis dans laquelle il devait un an plus tard trouver la mort,
songea aux Juifs de ses Etats. Tous durent porter de façon uniforme
la rouelle, selon des mesures dont le minimum était fixé.
Innocent III avait donné le motif officiel de cette marque apparente.
Il fallait empêcher les mariages mixtes. Il fallait empêcher les
Juifs, ce peuple honni, d'abuser les chrétiens par une apparence en
tout semblable à la leur. Et le Saint-Roi qui pensait qu'il fallait
se méfier des fils des Déicides, qui avait, dans un même
mois de Tamouz, fait conduire au bûcher de la place de Grève
les exemplaires de Talmud qui se trouvaient à Paris, devait laisser
à sa gloire ce nouveau titre. Il fut le père de l'humiliation
juive en France. C'est à partir de lui, que le Juif fut traité
à l'égal des lépreux, et qu'il acquit cet uniforme qui
le dénonçait à la fureur et à la superstition
fanatique des foules.
Mes chers frères, mes chères sœurs,
Pour perpétuer les grands moments de leur vie et de leur Histoire,
les hommes et les peuples depuis des temps immémoriaux ont pris l'habitude
de consacrer quelques instants, périodiquement, à la résurrection
morale de ces événements. Leur pensée alors, se porte
vers les jours anciens et cherche à trouver en eux un mot d'ordre,
une leçon, une force et une volonté, toutes choses dont les
hommes ont besoin pour forger l'avenir. Dans le passé, il en est qui
vont chercher des raisons de haïr. Ce ne fut jamais le fait de la France,
ce ne peut être le nôtre. Et s'il est besoin d'une preuve, ce
lieu m'en fournit le symbole ! Regardez ces montagnes tout autour et puis
tout à l'heure, vous irez abaisser vos yeux vers les plaines qui s'étendent
à leurs pieds. Voyez alors, d'ici, comme toutes choses nous paraissent
égales et pareilles ; parmi les terres et parmi les hommes, vous chercherez
en vain, là-bas, les différences de niveaux et de culture, si
vous les regardez d'ici. Et si vous songez alors à ceux qui sont morts
sur ces pentes, dont les corps sont couchés près de nous, côte
à côte quels qu'aient été autrefois, leurs pays,
leur prétendue race, leur religion ou leurs opinions, si vous songez
à ceux à qui nous sommes venus rendre aujourd'hui un commun
hommage, il vous semblera que leur souvenir nous mène plus haut encore,
plus loin des basses divisions de la terre. Et puis ensuite, vous essaierez
d'apprécier l'air que l'on respire sur ces hauteurs, vous verrez combien
il est pur, pur comme l'esprit que nous découvrons, partout où
des hommes ont lutté, souffert et sont morts, oubliant toutes choses
sauf leur devoir !
Ah ! Je le sais, mes frères et mes soeurs, tous ne savent pas comprendre ainsi les voix mêlées de la nature et des héros qui s'y sont confondus ! Sur une pareille hauteur, il y a quelques jours, devant des tombes étrangères, des hommes étrangers, jusque dans nos Vosges, ont osé blasphémer ! Mais c'est chez eux que des gens qui ont fait leur devoir au jour où on le leur réclamait, se voient aujourd'hui mis au ban de la Nation ! Et ce n'est pas chez eux, qu'un Rabbin pourrait prendre la parole, dans des cérémonies pareilles à celle-ci, aux côtés des prêtres d'autres religions pour exalter ensemble la mémoire de héros qui ensemble ont vécu ou péri. Les choses vont de pair ! Chez nous, ce n'est pas comme cela qu'on pense et qu'on agit. Troix voix, aujourd'hui sont prêtes à l'affirmer et c'est un signe suffisant que ce soient les voix de trois prêtres de trois religions différentes, dont les adeptes cependant, lorsqu'il s'agit du pays, ne parviennent plus à saisir les différences. Oui, ce que nous venons chercher ici, tous tant que nous sommes, fils de France, c'est une leçon et une volonté et elles ne peuvent être que d'Humanité, d'Union et de Sacrifice.
O France, prends garde ! Dans le monde, monte un paganisme nouveau. Tu es
encore, Toi, le Grand Temple de l'Humanité et du Progrès ; c'est
pour cela que des hommes sont morts et que d'autres sont encore prêts
à mourir, c'est pour cela que tout ce qui est sain dans le monde tourne
ses yeux vers toi, prends garde ! Veille à ce que tes enfants s'unissent
et oublient les divisions qui risquent de devenir dangereuses ! Et vous, hommes
de France, gardiens et défenseurs naturels de ce temple, tremblez de
vous diviser.
Croyez-en la douloureuse expérience du plus vieux des peuples: le Temple
d'Israël jadis, selon la Loi était bâti de pierres entières,
la division, pareille à la lèpre, les lézarda et le Temple
s'écroula. Soyez vous-mêmes les pierres entières et solidaires
du Temple que par dessus tout vous avez reçu mission de conserver !
Mes chers frères, mes chères soeurs,
Nous vivons des heures difficiles, dans une Europe tourmentée. Eh bien
! De même que, aujourd'hui, Israël se recueille autour de son deuil
lointain ; de même que, en cet instant, nous tous, Juifs ou non, mais
Français, nous nous recueillons autour de ces tombes qui sont notre
héritage et notre gloire communes ; de même que ces tombes elles-mêmes
se pressent jour après jour depuis des années autour de cet
autel de la Patrie, comme en une dernière garde, de même puissions-nous
dans les jours qui viennent nous presser tous autour de la France, notre mère
et notre sauvegarde ! Puissions-nous ne pas être indignes de ceux qui
sont morts ! Puissions-nous ne pas les faire parler autrement qu'ils ne le
veulent ! Puissions-nous surtout faire que la France soit aussi grande par
notre effort qu'elle le fut par leur sacrifice ! Et que Dieu, qui nous regarde
en cet instant, et dont nous sommes tous également les fils, de quelque
manière que nous l'invoquions et même si nous ne nous réclamons
pas de lui, que Dieu bénisse notre volonté d'agir, cette volonté
d'agir que nous sommes venus chercher ici, pour que, dans la Paix de ses enfants,
la France puisse travailler pour la paix des Hommes.