Lecture du Kadish à l'occasion du Yartzeit (anniversaire de deuil) |
Il existe deux sortes de condoléances : celles qui sont spontanées et personnelles d'une part, et celles qui sont "codifiées" d'autre part. C'est cette deuxième catégorie qui nous intéressera dans cette étude.
La première question qu'on est en droit de se poser est celle de savoir
pourquoi traiter de la question des paroles de consolation dans le site du
judaïsme ashkénaze?
En analysant la formule de condoléances classiques connues chez les
Séfarades - "מן השמים תנוחמו" ("que Dieu vous console") ou
la formule prononcée par les juifs ashkénazes d'Europe
de l'ouest et Sfards d'Europe de l'est et d'Europe centrale -
"המקום ינחמכם בתוך שאר אבלי ציון וירושלים" ("que l'Eternel vous réconforte
entre les endeuillés de Sion et de Jérusalem"), nous avons été
surpris d'apprendre que jusqu'au Moyen Age les Ashkénazesconsolaient
les endeuillés en se servant de formules différentes de celles qui sont
employées de nos jours.
Selon la tradition Ashkénaze originale, il y a deux formules de condoléances :
celle qui sont prononcée lors de l'enterrement - "תתנחמו" ("prenez
du réconfort"), et celle prononcée à la synagogue
le vendredi soir suivant le décès,
"מי ששיכן שמו בבית הזה הוא ינחמכם" ("Celui qui réside dans
cette demeure vous consolera".
Analyse des différentes formules de condoléances
La première remarque que nous pouvons faire (mise à part la
formule prononcée par les Ashkénazes au cimetière) est
que la consolation des endeuillés vient de Dieu.
Cette consolation
venue de Dieu est conforme à la consolation décrite dans les
prophètes: "אנוכי אנוכי הוא מנחמכם" ("C'est moi qui vous console" -
Isaïe 51:12),
ou encore: "כאיש אשר אמו תנחמנו כן אנוכי אנחמכם ובירושלים תנוחמו" ("Comme un fils que la mère console ainsi vous consolerai-je
et c'est dans Jérusalem que vous trouverez la consolation" - Isaïe
66:13).
La source la plus ancienne d'une formule de consolation (non spontanée)
se trouve dans le traité Sema'hoth (appelée aussi אבל רבתי - Grand deuil) 13:1
: "Les endeuillés se placent à la gauche des consolateurs
et ceux-ci s'approchent des endeuillés et leur disent "תנוחמו מן שמים" ("que Dieu vous
console").
Il est intéressant de constater que le terme "que Dieu vous console"
est proche de la formule qu'employait le grand prêtre en répondant
aux personnes venues le consoler dans son propre deuil (voir Talmud de Babylone
traité Sanhedrin 18:2): "Le peuple lui dit "nous sommes ton
expiation" ("אנו כפרך) et le grand
prêtre répondait "Que Dieu vous bénisse" ("תברכו מן השמים")".
Au douzième siècle Maïmonide écrit :
"Comment console-t-on? Les endeuillés se tiennent debout à
gauche des personnes venues les réconforter et ceux-ci leur disent
"Que Dieu vous bénisse" ("תברכו מן השמים") (Yad Hahazaka lois
sur le deuil). C'est la première fois qu'apparait une formule de réconfort
fixée par un décisionnaire.
En fait il existe une formule antique différente de celle de Maïmonide
qui était utilisée dans les pays ashkénazes: "תתנחמו"
("Prenez du réconfort").
"Prenez du réconfort"
Le Talmud de Babylone (traité Sanhedrin 19.1) cite un texte de l'époque de la Michna qui n'a pas été incorporé dans la Michna par Rabbi Juda (texte appelé Beraïta) qui dit: "Le grand prêtre consolait la personne endeuillée en disant "prenez du réconfort" ("תתנחמו")".
Cette formule est adoptée par Rachi (T.B. Moed Katan 24:2 et 21:2) comme phrase de consolation, en contradiction avec la formule employée dans le traité Sema'hoth (voir supra) mais en accord avec la formule de la Braïta dans le traité Sanhedrin (condoléances dites par le grand prêtre, voir supra). L'auteur du Or Zaroua (Isaac fils de Moise) - 13ème siècle) est du même avis.
La question que l'on est en droit de se poser est pour quelle raison Rachi
et le Or Zaroua préfèrent le souhait "prenez du réconfort"
plutôt que celui de Maïmonide?
Je pense que la réponse à cette question est que Rachi et le
Or Zaroua préfèrent rester proches de la tradition talmudique
plutôt que de changer une tradition transmise par leurs ancêtres.
Selon Rabénou Yerouham (14ème siècle): "Dans les pays ayant adopté la tradition ashkénaze, après avoir dit la phrase du Deutéronome ch. 32 verset 4 "Notre rocher, son œuvre est parfaite, toutes ses voies sont justice, Dieu de vérité jamais inique, constamment équitable et juste", on console les endeuillés selon la formule "Soyez réconfortés par les Cieux pour ce deuil"("תתנחמו מן השמיים מאבל "). A notre avis la formule employée par Rachi,"תתנחמו", serait un raccourci de cette formule
"Celui qui réside dans cette demeure vous consolera"
Au Moyen Age et jusqu'au 14ème siècle on avait l'habitude en Ashkénaze de consoler les endeuillés le samedi à la synagogue en prononçant ces paroles : "Celui qui réside dans cette demeure vous consolera". Il s'agit de paroles de condoléances qui étaient en vigueur à l'époque du premier temple (voir Pirké de Rabbi Eliezer - 8ème siècle) ainsi qu'à l'époque du second temple (Michna Midoth 2:2).
Cette très ancienne tradition consistant à consoler la personne en deuil le samedi à la synagogue se trouve chez le Maharil, comme le cite son élève, le Mahari Weill : "Le Maharil disait: ce n'est pas la tradition autrichienne d'accompagner la personne endeuillée de la synagogue à la maison. La tradition de la vallée du Rhin est bien plus belle car elle recommande d'accompagner la personne en deuil après la prière jusqu'à sa maison (en accord avec les Responsa du Maharam de Rothenburg et de Mordehaï ben Hillel – le Mordehaï). La tradition autrichienne consiste elle aussi à prononcer des paroles de consolation dans la cour de la synagogue (comme la tradition de la vallée du Rhin). Le Maharil a entendu de la bouche de son maître, le Maharach, que l'on quittait la personne en deuil en prononçant la phrase "Celui qui réside dans cette demeure vous consolera".
Ce verset vient "justifier la loi (צידוק הדין)".
"Dieu vous consolera parmi les endeuillés de Sion et Jérusalem"
Le Maharil évoque pour la première fois la formule proche de celle que l'on prononce de nos jours (les jours non chômés) :"השם ינחמך עם שאר אבלי ציון ("Dieu vous consolera parmi les endeuillés de Sion"). Cette formule de consolation a été introduite par le père du Maharil, Rabbi Moshe Halevi Mohlin (rabbin de Mayence avant son fils) au milieu du 14ème siècle.
On est donc en présence de deux formules : "תתנחמו" prononcée à l'enterrement selon Rabénou Yerouham, et "השם ינחמך עם שאר אבלי ציון" dite le samedi (selon le père du Maharil).
Le célèbre Rabbin de Metz Jacob Richer (connu sous le nom de
son livre Chevouth Yaacov) écrit : "Je suis venu vous annoncer une
innovation dans la loi existante à savoir que la formule de consolation
sera à présent la suivante :"המקום ינחם אתכם ואותנו עם (בתוך) שאר אבלי ציון
וירושלים
"". Cette formule présente trois
différences par rapport à celle que l'on disait avant l'innovation
du Chevouth Yaakov :
1. Dieu devient "Le lieu" (המקום), formule employée pour
designer Dieu dans notre détresse (voir T.B. traité Berakhoth
17:2), au lieu de "Hashem" ("Le Nom") employé plus
généralement pour désigner Dieu.
2. Suppression du mot "אותנו" ("nous") de la formule de condoléance.
3. L'ajout du nom "Jérusalem".
La bénédiction après le repas - ברכת המזון
Rav Amram Gaon écrit que la troisième bénédiction que l'on récite après le repas chez les personnes en deuil durant les sept premiers jours de deuil ("la bénédiction des endeuillés") est la suivante : "Bénis sois tu Dieu qui console les endeuillés et reconstruit Jérusalem" ("ברוך אתה ה' מנחם אבלים ובונה ירושלים").
Dans le Mahzor Vitry (Rav Simha de Vitry, élève de Rashi) publié au début du 13ème siècle, la bénédiction en question diffère : "Bénis sois-tu Dieu qui console les endeuillés de Sion Sa ville et reconstruit Jérusalem" ("ברוך אתה ה' מנחם אבלי ציון עירו ובונה ירושלים").
Le Rokeah (Rabbi Eliezer de Worms
- 13ème siècle) inserre les motifs de la position de Rav
Simha de Vitry dans le corps de la bénédiction. Pour le Rokeah
la bénédiction de consolation est :
"
נחם ה' אלוקינו את אבלי ציון ואת אבלי ירושלים ואת האבלים המתאבלים באבל זה
"
"Que l'Eternel notre Dieu console les endeuillés de Sion
et les endeuillés de Jérusalem ainsi que ceux qui pleurent ce
deuil ". Pour le Rokeah on demande la consolation non seulement pour
les endeuillés mais aussi pour ceux qui participent activement au deuil
(à notre avis, il s'agit de pleureuses professionnelles).
Conclusion
Maman, Mireille Warschawski za"l (רייזל בת החבר יעקב ז"ל), à la mémoire de qui je voudrais consacrer cette étude à l'occasion de son Yartzeit (anniversaire de deuil) tombant le premier jour de Rosh Hodesh Tamouz, a toujours été fière d'appartenir à une famille juive enracinée dans son Alsace natale depuis des générations.
Maman a toujours été méticuleuse en ce concerne le respect strict de la tradition ashkénaze, entre-autre celle qui concernait les derniers hommages à la personne décédée. À propos de notre mère qui a consacrées sa vie aux activités communautaires, la Michna Shabath dit : "Voici les vertus dont l'homme touche les intérêts dans ce monde et dont le capital lui est réservé pour le monde à venir : la piété filiale, la charité, la fréquentation empressée des maisons d'étude, l'hospitalité, les visites aux malades, la dotation des fiancées, les devoirs envers les morts, la prière fervente, le rétablissement de la paix entre les hommes ; mais l'étude de la Torah vaut autant que toutes ces vertus réunies".