Troisième enfant de celui qui deviendra le grand rabbin du Bas Rhin (à cette époque rabbin de Bischheim) Max Warschawski et de Mireille née Metzger, je suis né le 12 décembre 1951 à Strasbourg.
J'ai fait mes études à l'école Akiba jusqu'à la classe de première (exceptée une année passée à la Yechiva d'Aix les Bains). J'ai terminé mes études à la Yechiva Eschel de Strasbourg où j'ai passé mon Bac littéraire.
J'ai fait mes études de droit à l'université de ma ville natale. Parallèlement j'ai été actif aux mouvements de jeunesse Yechouroun et aux EEIF (Totem Salamandre) avant de rejoindre mon frères aîné (Michel) ainsi que ma sœur Judith za"l en Israël.
Depuis plus quarante ans j'exerce la profession d'avocat au barreau de Tel Aviv.
Marié avec Aviva née Benaïm née en Egypte expulsée
en 1958, avec ses parents. Nous avons deux enfants : Yaniv, médecin
orthopédiste à l'hôpital I'hilov de Tel Aviv et Nathalie,
avocat au barreau de Tel Aviv.
Nous habitons Guivatayim (banlieue Est de Tel Aviv).
Ayant été élevé dans le respect stricte de la tradition ashkénaze de la vallée du Rhin (Le Minhag Reinus) je travaille à comprendre les fondements "juridiques" des différents aspects de cette tradition par delà ses aspects folkloriques ou sociologiques.
Cet article est dédié à la mémoire de Papa et Maman, ainsi qu'à celle de nos sœurs, Judith et Babette za"l qui faisaient partie intégrale de la "chorale familiale".
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Bien que né dans une famille originaire d'Europe de l'Est, Papa était, par choix, le gardien de la tradition ashkénaze en général, et alsacienne en particulier. Etant avant tout un homme qui respectait et vivait selon la stricte halakha, j'aimerai au jour de son yartzeit essayer dans un premier temps de décrire l'atmosphère qui régnait à notre table de Shabath et le rôle primordial qu’y jouaient les chants et zemiroth que nous y chantions, et dans un second temps, de comprendre la différence, du point de vue de la loi juive, entre la tradition ashkénaze et celle d'Europe de l'est .
Les chants autour de la table de Shabath chez les Warschawski
Après avoir chanté Shalom Aleikhem, nous, les enfants, allions nous faire bénir (gebench) par nos parents et grands parents par ordre d'âge, après quoi nous allions faire netilath yadayim. Nous trouvons ce minhag du bench dans le Sidour Beith Yaqov du Rav Yaqov Amidan, selon lequel il existe une tradition de bénir les enfants la veille de Shabath en rentrant de la synagogue.
Après avoir mangé le premier plat nous entamions les zemiroth par Min'ha ve sim'ha. Sur ce point, papa suivait à la lettre le minhag achkenaz (voir rav Simha dans le Mahzor Vitry) selon lequel on chante les zemiroth après le "kinoua'h", (à traduire par "après le poisson"). Je garde le souvenir de notre chorale familiale chantant avec respect et émotion ces mélodies toutes gravées dans nos mémoires.
Avant d'analyser les problèmes posés a priori par les chants et les danses "mixtes", je ne peux pas passer sous silence le fait que Papa a composé pendant la guerre les mélodies de deux zemiroth dans un train rempli de soldats allemands alors qu'il rejoignait ses parents dans le village où ils étaient réfugiés près de Périgueux. Les zemiroth ont été enregistrées par Michel Heymann (ASIJA 2006).
Les chants du Shabath chez les Juifs ashkénazes
Place centrale des zemiroth dans la vie de famille chez les Juifs ashkénazes du point de vue historico- sociologique :
Le Rabbin Hamburger m’a rapporté un point curieux : Simha, la fille de Rav Moche Sofer, connu pour ses positions dures contre tout renouveau et célèbre pour son adage "ce qui est nouveau est interdit par la loi" était invitée chez son frère le Ktav Sofer la nuit du Seder après le décès de son père. Elle a commencé à chanter les chants du Seder avec toute la famille. Son frère l'ayant interrompu a eu droit à cette remarque : "penses tu être plus érudit que notre père ?". Sur la base de cette réponse on est en droit d’affirmer que les femmes (pas seulement les jeunes filles mais même les femmes mariées) de la famille du Hatam Sofer chantaient les zemiroth avec les hommes.
Selon l'auteur de l'article sus mentionné, la différence tient à la différence de position socio-économique des Juifs dans ces pays et au rôle central de la famille dans l'éducation des enfants. En effet pour les Juifs alsaciens et allemands le chant des zemiroth à la table du Shabath joue un rôle éducatif (renforcement de la cellule familiale), c'est l'occasion où chaque membre de la famille se sent, par cette chorale, un maillon d’une chaine commune.
Autre point important soulevé par cet auteur : dans les familles d'Europe de l'Est plus pauvres, l'éducation des enfants est confiée à la collectivité (les yeshivoth). Il s'ensuit que le noyau familial, et par voix de conséquence les repas familiaux, sont relégués au second plan. Chez les Juifs alsaciens et allemands, le rôle éducatif est confié à la famille et non à la collectivité, d’où l’importance cardinale des moments en commun, surtout les repas de Shabath et des fêtes.
La corrélation entre l'éducation des enfants et le rôle pédagogique du chant en famille est mise en avant par le rav Shah zats"al dans son commentaire de la Hagada (קנין תורה). En réponse à une question de ses élèves sur son plus grand regret concernant l'éducation de ses enfants, il a répondu "ne pas avoir chanté les zemiroth lors des repas de Shabath".
Danser le Shalom Aleikhem autour de la table en se tenant les mains
Autre caractéristique des chants de la veille de Shabath est celle de danser en famille autour de la table de Shabath en se donnant la main et en chantantShalom Aleikhem.
Rav Weinberg raconte dans son introduction à l'œuvre de S.R Hirsch (Galgal ha-Shana) que lors d'un Shabath passé chez rav S.R. Hirsch, le Rav Israël Salanter il a été surpris par ce minhag contraire à l'approche orthodoxe (y compris celle dite moderne) qui interdit à un homme de toucher une femme même de sa propre famille (Issour negui'a).
Dernièrement j'ai demandé au rabbin Benjamin Chlomo Hamburger, auteur de Shorashei minhag ashkenaz, l'origine de cette tradition. Selon lui cette tradition, qui était connue en Alsace et en Allemagne, est basée sur les écrits du Ari za"l qui avait l'habitude de faire le tour de la table pour la protéger. Cette réponse est surprenante pour qui connait les rapports conflictuels entre le minhag d'Alsace (minhag Reinus et plus tard minhag Frankfort décrit par le Maharil) et la kabbale.
Ces différences, à savoir le chant mixte et la dance autour de la table, ont posé un problème aux décisionnaires Ashkénazes d’après la deuxième guerre mondiale. Nous allons voir comment le rav Y.Y. Weinberg zats"al y a répondu.
Rav Weinberg fonde sa réponse sur une décision du Sde Hemed (Rav Haïm Hizkiahou Medini) qui autorise le chant mixte en se basant sur l'histoire de Déborah, à savoir que pour les chants religieux on ne peut pas parler de kol ha-isha 'erva (la voix de la femme est une impudicité.
L'opinion du Sde Hemed est renforcée par celle du Ara"m qui lui-même se fonde sur les tossaphistes (Kidouchim 52) selon laquelle tout chant chanté par les femmes sans arrière-pensée (pour des motifs religieux) est permis.
Pour le Rav Weinberg deux raisons ont servies de base à la position des rabbins allemand du dix-neuvième siècle : l'adage selon lequel dans une chorale on ne peut pas distinguer les différentes voix, et du fait même qu'il s'agit de chants sacrés, le risque de commettre une transgression par l'intermédiaire du chant mixte est inexistant.
A mon avis, la même démarche peut être suivie en concernant la danse mixte. En effet aucun de nous n'a jamais eu la moindre idée "derrière la tête" et la danse n'avait d'autre but que de nous réjouir d’accueillir ensemble le Shabath.
Je trouve extrêmement dommage que ces traditions, comme beaucoup d'autres (l'attente de trois heures entre viande et lait, mettre les tefilin à hol hamoed etc.), disparaissent par "excès d'orthodoxie" ou tout simplement par ignorance, en oubliant que ces traditions ne sont pas simplement du folklore mais représentent le judaïsme ashkenaze profond et véritable qu'il est de notre rôle de préserver.