Daniel WARSCHAWSKI

Troisième enfant de celui qui deviendra le grand rabbin du Bas Rhin (à cette époque rabbin de Bischheim) Max Warschawski et de Mireille née Metzger, je suis né le 12 décembre 1951 à Strasbourg.
J'ai fait mes études à l'école Akiba jusqu'à la classe de première (exceptée une année passée à la Yechiva d'Aix les Bains). J'ai terminé mes études à la Yechiva Eschel de Strasbourg où j'ai passé mon Bac littéraire.
J'ai fait mes études de droit à l'université de ma ville natale. Parallèlement j'ai été actif aux mouvements de jeunesse Yechouroun et aux EEIF (Totem Salamandre) avant de rejoindre mon frères aîné (Michel) ainsi que ma sœur Judith za"l en Israël.
Depuis plus quarante ans j'exerce la profession d'avocat au barreau de Tel Aviv.
Marié avec Aviva née Benaïm née en Egypte expulsée en 1958, avec ses parents. Nous avons deux enfants : Yaniv, médecin orthopédiste à l'hôpital I'hilov de Tel Aviv et Nathalie, avocat au barreau de Tel Aviv.
Nous habitons Guivatayim (banlieue Est de Tel Aviv).
Ayant été élevé dans le respect stricte de la tradition ashkénaze de la vallée du Rhin (Le Minhag Reinus) je travaille à comprendre les fondements "juridiques" des différents aspects de cette tradition par delà ses aspects folkloriques ou sociologiques.

Articles de Daniel Warschawski sur le site :


Contribution à une biographie de Max Warschawski
La place centrale des chants de Shabath chez les juifs d'origine ashkénazes en général et dans la famille Warschawski en particulier
par Daniel Warschawski
Août 2018

Cet article est dédié à la mémoire de Papa et Maman, ainsi qu'à celle de nos sœurs, Judith et Babette za"l qui faisaient partie intégrale de la "chorale familiale".

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Le כ"א אלול cela fera douze ans que papa est décédé. Depuis son décès, la famille a grandi, "Umbe Chreye" comme notre père avait l'habitude de le dire en judéo alsacien (בלי עין הרע pour ceux qui n'avaient pas compris).
Cette modeste contribution à la biographie de papa a pour but de faire vivre et comprendre aux arrières-petits-enfants qui n'ont pas connu papa une facette de sa vie. Cet aspect de sa vie quotidienne peut sembler secondaire aux yeux de ceux qui n'ont pas eu le privilège de le connaître mais elle est oh ! combien essentielle pour ceux qui ont vécu à ses côtés au quotidien et qui ont partagé son amour pour le chant et la musique. Tous ceux qui lui étaient proches se souviennent des Shabathoth et de leurs zemiroth, de la musique classique que l'on entendait en "toile de fond" toute la journée dans son appartement, des sorties le dimanche et des vacances annuelles dans les Vosges toujours accompagnés par les chants scouts que nous chantions, avec papa s'accompagnant souvent à l'harmonica, des airs traditionnels que papa décryptait sur des partitions et fredonnait sans avoir jamais appris le solfège, sans oublier les airs des grandes fêtes (Kol Nidré ou Neïla) que papa chantait avec sa puissante et belle voix de baryton comme le faisait remarquer si justement son élève le grand rabbin Gilles Bernheim dans son hommage publié sur le site Akadem ("Un homme de souffle").

Bien que né dans une famille originaire d'Europe de l'Est, Papa était, par choix, le gardien de la tradition ashkénaze en général, et alsacienne en particulier. Etant avant tout un homme qui respectait et vivait selon la stricte halakha, j'aimerai au jour de son yartzeit essayer dans un premier temps de décrire l'atmosphère qui régnait à notre table de Shabath et le rôle primordial qu’y jouaient les chants et zemiroth que nous y chantions, et dans un second temps, de comprendre la différence, du point de vue de la loi juive, entre la tradition ashkénaze et celle d'Europe de l'est .

Les chants autour de la table de Shabath chez les Warschawski

Les zemiroth (chants du Shabath) et interprétées par Michel Heymann. Ces airs ont été composés par Max Warschawski pendant la guerre, dans un train rempli de soldats allemands alors qu'il rejoignait ses parents dans le village de Chamiers où ils étaient réfugiés.
Ya-Ribôn : les Allemands sont dans le train. Tsour Michelo : les Allemands descendent du train (jugez de la différence des mélodies dans les deux circonstances, et du rythme qui rappelle celui du train).


Shalom Aleikhem et Esheth 'Haïl
De retour de la synagogue papa commençait par chanter Shalom Aleikhem et les personnes présentes, adultes et enfants, membres de la famille et invités, se donnaient la main et entamaient une danse autour de la table familiale. Papa revenait deux et non trois fois sur chaque passage.
Fidèles au minhag alsacien, nous ne chantions pas Esheth 'Haïl.

Après avoir chanté Shalom Aleikhem, nous, les enfants, allions nous faire bénir (gebench) par nos parents et grands parents par ordre d'âge, après quoi nous allions faire netilath yadayim. Nous trouvons ce minhag du bench dans le Sidour Beith Yaqov du Rav Yaqov Amidan, selon lequel il existe une tradition de bénir les enfants la veille de Shabath en rentrant de la synagogue.

Après avoir mangé le premier plat nous entamions les zemiroth par Min'ha ve sim'ha. Sur ce point, papa suivait à la lettre le minhag achkenaz (voir rav Simha dans le Mahzor Vitry) selon lequel on chante les zemiroth après le "kinoua'h", (à traduire par "après le poisson"). Je garde le souvenir de notre chorale familiale chantant avec respect et émotion ces mélodies toutes gravées dans nos mémoires.

Avant d'analyser les problèmes posés a priori par les chants et les danses "mixtes", je ne peux pas passer sous silence le fait que Papa a composé pendant la guerre les mélodies de deux zemiroth dans un train rempli de soldats allemands alors qu'il rejoignait ses parents dans le village où ils étaient réfugiés près de Périgueux. Les zemiroth ont été enregistrées par Michel Heymann (ASIJA 2006).

Les chants du Shabath chez les Juifs ashkénazes

Place centrale des zemiroth dans la vie de famille chez les Juifs ashkénazes du point de vue historico- sociologique :

Du point de vue historique :
Selon Yona Emanuel dans un article publié dans la revue Hamaayan, la mixité hommes-femmes des chants de Shabath était chose courante chez les Juifs ashkénazes et les rabbins Hildesheimer et Hirsch ont simplement apporté une justification légale à un état de fait existant depuis des siècles. On retrouve des traces de ces traditions dans des écrits du quinzième et du seizième siècle. A cette époque déjà les discutions entre les décisionnaires pour ou contre cette tradition faisaient rages.

Le Rabbin Hamburger m’a rapporté un point curieux : Simha, la fille de Rav Moche Sofer, connu pour ses positions dures contre tout renouveau et célèbre pour son adage "ce qui est nouveau est interdit par la loi" était invitée chez son frère le Ktav Sofer la nuit du Seder après le décès de son père. Elle a commencé à chanter les chants du Seder avec toute la famille. Son frère l'ayant interrompu a eu droit à cette remarque : "penses tu être plus érudit que notre père ?". Sur la base de cette réponse on est en droit d’affirmer que les femmes (pas seulement les jeunes filles mais même les femmes mariées) de la famille du Hatam Sofer chantaient les zemiroth avec les hommes.

Du point de vue sociologique :
La famille Warschawski à Jérusalem en 2003

Dans un article publié sur le site הזמנה לפיוט intitulé "les zemiroth dans les familles d'origines ashkénaze dans l'Europe centrale" (c'est-à-dire Allemagne et Alsace), André Heir explique qu’il a été fasciné, lui issu d'une famille originaire d'Europe de l'Est, par l'ambiance des repas du Shabath chez les Juifs alsaciens. Pour lui, la grande différence avec l’ambiance des repas de Shabath chez les juifs d’Europe de l’Est tient du fait que chez les Juifs alsaciens et allemands le chant tient une place centrale.
Pour cet auteur, alors que dans les familles d'Europe de l'Est les zemiroth ne sont chantées que par le chef de famille, dans les familles ashkénazes (Allemagne et Est de la France) les zemiroth sont chantées par toute la famille ; pour eux, l'interdiction de chanter hommes et femmes ensemble n'existe pas à la table de Shabath.
Autre caractéristique des zemiroth dans les familles ashkénazes : chaque famille possède ses airs particuliers (de quatre à cinq airs par famille) et souvent l'air n'a pas de rapport avec les paroles. De plus, la "chorale familiale" chante les chants à plusieurs voix. Chez les Juifs de l'Europe de l'Est seul le chef de famille (ou le rabbi lors du tich) chante. Pourquoi donc cette différence ?

Selon l'auteur de l'article sus mentionné, la différence tient à la différence de position socio-économique des Juifs dans ces pays et au rôle central de la famille dans l'éducation des enfants. En effet pour les Juifs alsaciens et allemands le chant des zemiroth à la table du Shabath joue un rôle éducatif (renforcement de la cellule familiale), c'est l'occasion où chaque membre de la famille se sent, par cette chorale, un maillon d’une chaine commune.
Autre point important soulevé par cet auteur : dans les familles d'Europe de l'Est plus pauvres, l'éducation des enfants est confiée à la collectivité (les yeshivoth). Il s'ensuit que le noyau familial, et par voix de conséquence les repas familiaux, sont relégués au second plan. Chez les Juifs alsaciens et allemands, le rôle éducatif est confié à la famille et non à la collectivité, d’où l’importance cardinale des moments en commun, surtout les repas de Shabath et des fêtes.
La corrélation entre l'éducation des enfants et le rôle pédagogique du chant en famille est mise en avant par le rav Shah zats"al dans son commentaire de la Hagada (קנין תורה). En réponse à une question de ses élèves sur son plus grand regret concernant l'éducation de ses enfants, il a répondu "ne pas avoir chanté les zemiroth lors des repas de Shabath".

Danser le Shalom Aleikhem autour de la table en se tenant les mains

Autre caractéristique des chants de la veille de Shabath est celle de danser en famille autour de la table de Shabath en se donnant la main et en chantantShalom Aleikhem.
Rav Weinberg raconte dans son introduction à l'œuvre de S.R Hirsch (Galgal ha-Shana) que lors d'un Shabath passé chez rav S.R. Hirsch, le Rav Israël Salanter il a été surpris par ce minhag contraire à l'approche orthodoxe (y compris celle dite moderne) qui interdit à un homme de toucher une femme même de sa propre famille (Issour negui'a).

Dernièrement j'ai demandé au rabbin Benjamin Chlomo Hamburger, auteur de Shorashei minhag ashkenaz, l'origine de cette tradition. Selon lui cette tradition, qui était connue en Alsace et en Allemagne, est basée sur les écrits du Ari za"l qui avait l'habitude de faire le tour de la table pour la protéger. Cette réponse est surprenante pour qui connait les rapports conflictuels entre le minhag d'Alsace (minhag Reinus et plus tard minhag Frankfort décrit par le Maharil) et la kabbale.

Ces différences, à savoir le chant mixte et la dance autour de la table, ont posé un problème aux décisionnaires Ashkénazes d’après la deuxième guerre mondiale. Nous allons voir comment le rav Y.Y. Weinberg zats"al y a répondu.

La position du Rav Weinberg.

Justification sociologique :
Rav Weinberg, décisionnaire ashkénaze majeur de l’après-guerre, dernier directeur du séminaire Hildesheimer à Berlin, dans sa réponse au mouvement Yechouroun sur la question du chant mixte, justifie et autorise le chant mixte (Sridé Eich, deuxième partie, siman 8). Son raisonnement démarre sur la même base (sociologique) qu’André Haier, à savoir que dans les pays ashkénazes on avait l'habitude d'éduquer les enfants selon l'esprit du moment. Les dirigeants du judaïsme allemand (Hirsch et Hildesheimer) ont compris que pour sauver la jeunesse il fallait faire des concessions sur la base de l'adage "Le temps est venu d'argir pour l'Eternel : on a violé ta Loi" (Psaume 119:126).

Justification légale

Rav Weinberg fonde sa réponse sur une décision du Sde Hemed (Rav Haïm Hizkiahou Medini) qui autorise le chant mixte en se basant sur l'histoire de Déborah, à savoir que pour les chants religieux on ne peut pas parler de kol ha-isha 'erva (la voix de la femme est une impudicité.
L'opinion du Sde Hemed est renforcée par celle du Ara"m qui lui-même se fonde sur les tossaphistes (Kidouchim 52) selon laquelle tout chant chanté par les femmes sans arrière-pensée (pour des motifs religieux) est permis.

Pour le Rav Weinberg deux raisons ont servies de base à la position des rabbins allemand du dix-neuvième siècle : l'adage selon lequel dans une chorale on ne peut pas distinguer les différentes voix, et du fait même qu'il s'agit de chants sacrés, le risque de commettre une transgression par l'intermédiaire du chant mixte est inexistant.

A mon avis, la même démarche peut être suivie en concernant la danse mixte. En effet aucun de nous n'a jamais eu la moindre idée "derrière la tête" et la danse n'avait d'autre but que de nous réjouir d’accueillir ensemble le Shabath.
Je trouve extrêmement dommage que ces traditions, comme beaucoup d'autres (l'attente de trois heures entre viande et lait, mettre les tefilin à hol hamoed etc.), disparaissent par "excès d'orthodoxie" ou tout simplement par ignorance, en oubliant que ces traditions ne sont pas simplement du folklore mais représentent le judaïsme ashkenaze profond et véritable qu'il est de notre rôle de préserver.


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