Hanouka : un nouveau départ
Juda Maccabée ; plaque d'émail, 16ème
siècle, Musée de Cluny, Paris
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Une des fêtes les plus populaires de notre calendrier religieux
est certainement la fête de Hanouka. Il est rare de trouver un foyer
juif où l'on n'allume pas dans l'allégresse les lumières
de la
menora. Cependant, si nous essayons de rechercher les textes
que la tradition consacre aux événements que célèbre
la fête, nous risquons d'être fort déçus. Il
existe un ouvrage, le
livre des Maccabées, qui n'a pas
été admis dans le canon biblique. Cet ouvrage, en grande
partie rédigé en grec, relate l'épopée courageuse
des Hasmonéens, le martyre de 'Hanna et de ses sept fils...
Quant au Talmud, il nous enseigne d'une part (
Yoma 29 a) que
la mise par écrit du miracle de Hanouka n'a pas été
tolérée, d'autre part dans le traité
Shabath
(
22 b) après nous avoir énoncé les différentes
thèses sur l'allumage des lumières, on s'interroge sur Hanouka
et l'on nous rapporte uniquement le miracle de l'huile et l'institution
de la fête pour les générations. Nous devons par conséquent
nous demander quel est le motif de ce silence sur les Hasmonéens.
Ramban (Nahmanide) dans son commentaire sur la Torah (
Genèse
49:10) accuse les descendants de Mathatias d'une part de s'être
approprié la royauté qui revenait de droit à un homme
de la tribu de Juda et en particulier à un descendant de David,
et de plus d'avoir cumulé prêtrise et royauté. Nous
savons par ailleurs que les Hasmonéens ont conclu une alliance
avec Rome, ils ont donc oublié le particularisme d'Israël
qui ne doit lier son sort avec celui d'aucune autre nation du monde et
ne doit compter pour son existence que sur l'aide divine. Il est certes
permis et même recommandé de nouer des liens d'amitié
avec d'autres pays. La Judée a dû payer très chèrement
cette alliance avec Rome au cours de l'histoire...
Cette révolte héroïque des Hasmonéens et des
Judéens fidèles à la tradition que nous prenons pour
modèle afin de nous inciter à lutter pour notre foi, et
qui avait si bien commencé lorsque le danger était présent,
a été suivie d'un laisser-aller décevant. Il a été
également reproché aux descendants de Mathatias de s'être
laissé influencer par les Sadducéens. Ceux-ci rejetaient
l'enseignement de la tradition orale, car ils étaient sous l'influence
de la culture hellénique et ne restaient rattachés vraiment
au judaïsme que par le Temple. Il est d'ailleurs un fait notoire
que les Sadducéens disparaissent avec la chute du deuxième
Temple et que ce sont exclusivement les Pharisiens, les sages du Talmud
qui ont résisté à la catastrophe et maintenu le peuple
juif à travers un exil de près de 20 siècles.
Il apparaît ainsi clairement que le silence du Talmud est fort éloquent
et se justifie par une critique profonde. De nos jours, comme jadis, lorsqu'on
cesse de lutter pour une cause, on se laisse entraîner à
des égarements néfastes. Un danger, un idéal compromis,
suscite toujours le zèle, l'unanimité, l'union parfaite
pour défendre ce qui est en péril, celui-ci dissipé,
toutes les haines et toutes les bassesses se manifestent à nouveau
au grand jour. Il suffit que l'on décrète le pays menacé
pour que l'unité nationale se fasse spontanément, mais la
menace disparue, les conflits internes se font plus virulents que jamais.
Ceci est une vérité de tous les temps et de tous les lieux.
Si nous désirons pouvoir soutenir le jugement de l'histoire et
maintenir aussi bien l'effort qui a été réalisé
après la deuxième guerre mondiale que nos réalisations
ultérieures, nous devons veiller à rester fidèles
à la Torah, à la foi qui nous animait dans la lutte.
Hanna portant le deuil de ses sept fils
Coll. Von Mittel Rhein, Hambourg
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Le Talmud rapporte le martyre de 'Hana et de ses sept fils (
Guittin
57 b) et le miracle de la lumière de Hanouka (
Shabath
22 b). Il semble citer ces faits dans une perspective messianique.
Hillel et Chamaï sont en controverse à propos des lumières,
Chamaï prétend que l'on doit allumer 8 lumières le
premier jour, 7 le second... tandis que Hillel nous demande d'allumer
en progressant 1 lumière le premier jour, 2 le deuxième...
Un sage de Palestine dit que l'enseignement de Chamaï est lié
aux 70 sacrifices offerts en nombre décroissant (13-12...) au cours
des solennités de Souccoth, tandis que Hillel se fonde sur la nécessité
de l'effort pour monter en sainteté. A vrai dire, chacun situe
la reconquête du Temple, sa purification et le triomphe de la Torah
à un niveau différent. Pour Chamaï cette victoire conduit
aux temps messianiques, époque où Israël sera le prêtre
des 70 nations dans le monde. Hillel, lui, ne pense pas que cette victoire
soit si probante ; une victoire des hommes sur eux-mêmes, sur leurs
passions, leurs haines, leurs divisions au moment du danger n'est pas
une preuve de grandeur. Certes, cette victoire mérite notre admiration,
mais elle doit être suivie nécessairement d'une seconde victoire
bien plus valable, obtenue par chaque homme sur lui-même en temps
de paix, d'abondance et de sécurité.
A Hanouka commence une nouvelle lutte, Hanouka n'est pas un fin, mais
un nouveau départ.
Maintes fois après les conflits, on a fait taire les haines et
conclu des traités de paix. Notre génération a vécu
ces faits et elle assiste à une transformation totale du monde.
Des pays produisent des biens en si grande quantité qu'ils ne peuvent
les absorber eux-mêmes. Il serait louable de s'acheminer vers une
entr'aide, une fraternité universelle qui balayerait les conflits
destructeurs de l'humanité et des valeurs humaines. Ce serait réaliser
la sentence sur laquelle Hillel s'appuie, atteignant la paix universelle
l'humanité aurait préparé les temps messianiques
que Chamaï envisageait.
Que chacun célèbre donc Hanouka dans la joie et l'enthousiasme
et considère que le combat pour la foi et la Torah mené
en temps de guerre par les Hasmonéens doit être poursuivi
aujourd'hui alors que tout semble paisible, car cette quiétude
nous ensorcèle pour nous ravir ce pour quoi nous avons lutté.