Pour célébrer leur victoire, les Macchabées instituèrent une fête : notre Hanouka. Voici ce qu'en dit le second Livre des Macchabées au chapitre 10, un ouvrage apocryphe, que la Bible hébraïque n'a pas retenu : "Le jour où le Temple fut profané par les étrangers fut lui-même le jour de la purification du Temple, le vingt-cinq de celle lunaison, celle de Kislèv. Ils fêtent dans la joie huit jours, comme pour la fête des Cabanes, en se souvenant que peu de temps auparavant, ils célébraient la fête des Cabanes dans les montagnes et les grottes, comme des bêtes sauvages. Aussi, avec des thyrses décorés, des rameaux de saison et des palmes, ils louangent celui qui les avait fait triompher en purifiant son lieu" (versets 4-7, Bible de Chouraqui.) On imagine le conseil tenu par les chefs Maccabées à la victoire… Comment remercier Dieu de son soutien, comment fêter leurs triomphes ? En recherche d'authenticité, ils se réfèrent à la dernière fête qu'ils ont célébré : Soukoth. Parce que le souvenir des malheurs d'hier peut être le bonheur de demain. La différence entre leur condition d'alors et maintenant est si forte, qu'elle constitue par elle-même l'hommage à rendre à Dieu à Dieu et la joie de la fête.
Hormis sa date et sa durée, le judaïsme a-t-il gardé le
souvenir de ce premier Hanouka et son lien avec Soukoth ? On peut en trouver
la trace dans la façon de Shamaï d'allumer les lumières
de Hanouca. Le Talmud rapporte, qu'à l'opposé de Hillel –
dont la disposition sera retenue – le maître demandait que les
flammes brillent en ordre descendant : 8, le premier soir, 7, le second, puis
6,5,4,3,2 et 1. En souvenir, précise le Talmud, de l'ordre descendant
des soixante-dix taureaux offerts en sacrifices pendant Soucoth, au Temple
de Jérusalem.
Si nous ne connaissons pas grand-chose dans les prescriptions sacrificielles,
la tradition rabbinique unanime a cependant retenu que ces taureaux étaient
offerts par Israël en l'honneur des soixante-dix nations de la terre
– chiffre conventionnel – pour qu'elles obtiennent le pardon de
Dieu.
Ce qui faisait de Soucoth, la fête universelle des Juifs. Hanouca en
garde-t-il l'empreinte ? Certes, nous allumons nos hanoukioth dans
l'ordre prescrit par Hillel mais la tradition rabbinique affirme que les leçons
de Shamaï sont mises en réserve des Lendemains…
Alors, si apparemment, nous ne pouvons rien changer en Biélorussie
et ses environs, aujourd'hui, la situation des Juifs au temps de l'occupation
séleucide, réfugiés et révoltés habitant
les cavernes et les grottes dans l'hiver commençant d'Érets-Israël
qu'au moins nous vienne à l'esprit les milliers de réfugiés,
habitant des tentes ou perdus dans les forêts de la froide Europe en
ces temps où, aux lumière de Hanouca, nous-mêmes célébrons
le bonheur. Quand, dans leur patrie retrouvée ou dans un lieu serein
et nouveau, le souvenir de leur malheur d'aujourd'hui sera-t-il leur fête ?
On est le troisième jour de Hanouka, et vous vous retrouvez avec une seule bougie. Il est tard, les magasins sont fermés, vous ne voulez pas réveiller votre voisin, alors vous faites quoi ? – Vous n'allumez que cette bougie-là et vous avez parfaitement accompli la mitsva de Hanouka.
Le Talmud (Shabath 21b) vous dira que dans des conditions normales et abondance de bougies, on peut faire mieux : une bougie par personne. Et il ajoute qu'on peut faire encore mieux ! Mais là ça dépendait de l'Ecole de Shamaï ou de l'Ecole de Hillel. Pour Beith Shamaï, on allumait en diminuendo: 8 bougies au premier soir, 7 au deuxième, 6 au troisième, etc. Tandis que pour Beith Hillel et c'est ainsi que nous agissons, on allume une flamme le premier soir et on va en crescendo jusqu'à huit flammes au dernier jour.
On a bien sûr tenté, et bien sûr réussi, à comprendre l'une et l'autre conduite. Ce sont des maîtres plus tardifs, des Amoraïm, c'est-à-dire des Sages de l'époque de la Guemara, qui ont répondu. Pour Beith Hillel, la chose est toute simple – ou peut-être l'est-elle parce que nous y sommes habitués: on allume en crescendo dans l'attente du lendemain, dans l'espoir de continuer et parce que, s'agissant d'un "acte de sainteté", on "rajoute en sainteté" et pas l'inverse.
Pour Beith Shamaï, la raison surprendra. C'est à cause, dit cette Ecole, "des taureaux de Soukoth "! Pendant la fête de Soukoth, on offrait sur l'autel du Temple 13 taureaux le premier jour, 12 le deuxième, 11 le troisième. Jusqu'à arriver à 70 taureaux au dernier jour de la fête. Cette prescription est donnée par la Torah. Il n'y a pas lieu de la discuter. Si bien que Beith Shamaï peut se réclamer d'un usage divinement codifié, qu'il applique aux lumières de Hanouka.
Mais s'agit-il d'une démarche seulement formelle ? Pourrait-il exister par ailleurs une relation entre Soukoth et Hanouka ? Bien sûr, puisqu'après Soukoth, la fête qui suit est Hanouka. Mais Soukoth, on l'a dit, est une fête de la Torah. Tandis que Hanouka, qui célèbre la victoire de Juda Maccabé et la ré-inauguration du Temple, est d'ordre rabbinique. Les deux fêtes ne peuvent être liées. D'autant que les événements que commémore Hanouka ont eu lieu au 2e siècle avant l'ère commune.
Et pourtant… il advint que Soukoth fut célébré à Hanouka, au premier Hanouka de l'Histoire ! Le deuxième Livre des Maccabés raconte au chapitre 10 que lorsque Juda et ses compagnons purifièrent le Temple et, qu'après deux ans d'interruption, le feu fut rallumé au Sanctuaire, ils célébrèrent huit jours de fête "comme la fête de Soukoth". Avec des "rameaux" (myrrhe ou saule ?) et des [branches de] "palmiers" Le texte n'évoque pas explicitement "les cabanes" de la fête, mais que les Maccabés célébrèrent cette première fête de Hanouka "en se souvenant comment naguère", pendant la révolte contre Antiochus Epiphane, ils habitaient "dans les montagnes et les grottes à la façon des bêtes sauvages". La relation entre Soukoth et ces temps de misère vient de l'opposition entre le bonheur et la joie, cette joie que nous sentons si fort quand nous habitons la paisible souka à ciel (plus ou moins) ouvert, et le gîte de nos ancêtres qui en ce temps-là étaient condamnés à se réfugier dans des grottes au fin fond des montagnes.
L'événement est d'ordre historique et la liaison que nous avons faite l'est elle aussi. Cependant, elle n'est pas formulée dans le Talmud. Nous ne pouvons donc pas être assurés que c'est elle qui a inspiré Beith Shamaï. Mais que n'ayant pu célébrer Soukoth dans le maquis, nos ancêtres l'aient reportée dès le retour du service au Temple, nous emplit de fierté et mérite pour le moins d'être relevé.
Et si en cette veille de Hanouka on vous parlait de Pourim ? La victoire d'Esther et de Mardochée sur Haman, qui trame le génocide du peuple juif, est rapportée dans le Rouleau d'Esther, le dernier en date des Livres de la Bible. Dieu y est omniprésent sans être mentionné. Il tire les ficelles dans les coulisses. Haman et les siens tombent comme de simples marionnettes, désarticulées, inanimées. Dieu est intervenu, le miracle a eu lieu. Mais le miracle reste caché.
Par les ajouts dans le rituel, Pourim est étroitement lié à Hanouka. La courte prière d'Al hanissim "Pour les miracles nous te rendons grâce..." est réservée à Pourim et à Hanouka. Lors des fêtes chômées, comme Pessa'h, où le miracle ne cesse d'être explicitement apparent, il n'y a pas d' Al hanissim.
Cependant, entre les événements de Pourim et ceux qu'évoque Hanouka, environ trois siècles plus tard (en –165), la différence est très nette: Lors de la révolte des Hasmonéens, Dieu ne se manifeste pas pour assurer aux combattants juifs la victoire sur la puissance syro-grecque. Du moins rien ne l'indique. Au demeurant, qui le pourrait ? Les Livres des Maccabées qui consignent l'histoire de Hanouka ne font pas partie de la Bible hébraïque. Ces Livres, notamment le second d'entre eux, racontent les terribles souffrances d'Israël. Dont le martyre, sans la nommer, de Hanna et de ses sept enfants, qui préfèrent une mort atroce à l'abandon, fut-il feint, de leur foi. Dieu n'intervient pas. Apparemment, Dieu n'intervient pas pendant la révolte hasmonéenne. Alors, où est le miracle ? Les rabbins le reconnaîtront dans la faible lueur d'une flamme, une toute petite flamme qui au lieu de durer vingt-quatre heures, disent-ils, a brillé pendant huit jours au lendemain des combats, dans le Temple d'où on a enlevé les idoles d'Antiochus Épiphane, et qui fut ré-inauguré par Judas Maccabée. Elle a brillé pendant huit jours jusqu'à ce que le travail des hommes produise de nouveau cette huile pure qui seule était digne d'éclairer la flamme sacrée du Temple de Jérusalem.
Que signifie le miracle de Hanouka ? Il est comme une approbation, le satisfecit de Dieu à l'action entreprise par Judas Maccabée et par tous ceux qui ont lutté avec lui. Dans ces premiers événements post-bibliques, Dieu ne se manifeste plus – fut-il caché – dans le déroulement de l'Histoire. Ils sont entièrement laissés à l'initiative des hommes. Tout juste peut-on espérer que Dieu ne laissera pas anéantir Israël, mais il est impossible, désormais, alors que ce fut encore le cas dans l'histoire d'Esther de suivre sa trace. Aux hommes et aux femmes d'agir. A Hanouka, Dieu consentit à approuver l'action des hommes. Les lumières de Hanouka, chaque année rallumées, nous illuminent de la présence divine. (1)
De ce point de vue, voilà quelque vingt-deux ou vingt-trois siècles qu'Israël est arrivé à maturité. Le miracle n'est pas absent, il peut se manifester, il peut être déchiffré. Sans doute, est-il davantage décelable au plan individuel. Il peut se rappeler à nous de façon surprenante. Par une simple rencontre, ou d'autres coïncidences qu'aucune statistique ne justifie... Mais le miracle a cessé d'être un instrument. Antigone, l'élève de Siméon, le dernier dignitaire de la Grande Assemblée, à la fin du prophétisme, n'a-t-il pas affirmé, rapportent les Maximes des Pères, qu'il ne convient pas de servir Dieu dans l'espoir d'une récompense ? Maïmonide remarquera dans son Commentaire que ce propos découragea bien des gens à accomplir la Loi ! Sur le plan collectif non plus, Israël n'a pas attendre de récompense. Il n'a pas à attendre de miracle et ce serait faire preuve de bien peu de foi que de l'exiger de Dieu. Simplement, la lumière de Hanouka continue de briller. Encore faut-il que nous consentions à l'allumer.
Nos maîtres en littérature hébraïque sont souvent embarrassés pour distinguer dans le texte d'une prière ou d'une poésie pieuse, les phrases ou les strophes qui ont été apposées à la pièce originale. Très souvent, en effet, les générations qui se suivaient ont voulu marquer le rituel de leur empreinte et plutôt que de composer une supplique nouvelle à Dieu ont simplement ajouté quelques lignes à celle déjà existante. Il semble pourtant que notre vieux chant de Hanouka "Maoz Tsour" fasse exception, en ce sens que la dernière strophe (celle que l'on trouve de nos jours en petits caractères dans nos livres de prières) n'est pas le produit d'un tardif génie mais a bien été composée par le poète du moyen âge responsable de tout le morceau. Pourquoi alors, la dernière strophe se distingue-t-elle au point de ne pas figurer dans la plupart des Tefiloth (rituels) des siècles passés ou dans les manuscrits ? Tout simplement parce que la censure l'a supprimée, ou peut-être les responsables des communautés juives, rendues prudentes par les massacres dont elles étaient, hélas coutumières, ont-elles jugé préférable de la supprimer.
Avant d'aller plus loin, voici le début de cette dernière strophe traduite par Moché Catane (le dernier vers sera interprété selon une explication différente, comme nous le verrons dans quelques instants...)
"Découvre, ô Dieu, Ton bras sacréJusque là, dit M. Yom-Tov Levinski, car c'est à sa conscience que nous faisons appel maintenant, rien n'est exagéré, et si ce passage n'est pas particulièrement tendre envers les persécuteurs d'Israël, il n'aurait pas suffi à son extradition, si la dernière phrase, elle, ne désignait nommément un personnage célèbre et ne condamnait ouvertement, dans un texte rituel, l'action des croisés.
Et hâte notre délivrance.
Venge le sang des Tiens versé.
Par une nation sans conscience.
Car nous trépignons d'impatience
Et le mal règne en permanence."
" Repousse le Rouquin, aux ombres de la Croix, et suscite en notre faveur les Sept Bergers".Rappel : Rouquin = Barberousse ; Croix = Iconium.