Le Sholom Zokhor - le salut au garçon
Une tradition en voie de disparition
Plateau "de luxe" pour le Sholom Zokhor, tel qu'il
est pratiqué
dans les communautés juives orthodoxes en Israël au 21ème
siècle. |
"On a l'habitude de faire une légère
collation le vendredi soir après la naissance d'un fils"
-
Rav Moché Iserlich, connu comme le Rema, décisionnaire
ashkénaze du seizième siècle,
Yoré Déa
265, 12.
En plus des cérémonies de la circoncision et du rachat du premier
né qui sont obligatoires selon la Torah, il existe une tradition que
l'on n'applique presque plus : celle du Shalom Zakhar (Sholom
Zokhor selon la prononciation ashkénaze). Je voudrais rendre justice
à cette cérémonie par cette brève étude
Définition de cette tradition
Lors de la naissance d'un garçon, les ashkénazim ont l'habitude
d'inviter les membres de la communauté le vendredi soir précédant
la circoncision à une légère collation appelée
Sholom Zokhor. A cette occasion, on offre des fruits secs
(pois chiches) et des sucreries.
Dans l'ouvrage נוהג כצאן יוסף (Noheg
ketson Yossef - Joseph ben Moché Kashman), l'auteur
nous précise qu'à Francfort-sur-le-Main on n'invite personne
mais on annonce à haute voix à la synagogue, après le
Kadish
(prière des morts) suivant la récitation de la Michna "Bamei
Madlikim" (traité Shabath chapitre 2) qu'il y a
une cérémonie de Sholom Zokhor chez telle famille.
Selon une autre tradition rapportée par l'auteur du ערך שולחן (Aroukh
Hashoul'han - Rav Yehiel Michal Halevi Epstein, 1829-1908),
la cérémonie a lieu le samedi matin et l'on n'offre rien à
manger pour ne pas engager de dépenses inutiles à la famille.
1. Sources talmudiques de cette tradition
- L'énigme du ישועת הבן
- La tradition du Sholom Zokhor a des racines dans le Talmud de Babylone.
Dans les traités de Baba Kama (141a) et de Baba Batra
(80b) il est question d'une cérémonie appelée ישועת הבן
(Yeshouath haben - "La délivrance du fils"). S'agit-il
d'une cérémonie connue (circoncision ou rachat du premier né)
ou d'une cérémonie autonome ? Les commentateurs sont partagés
sur la question. Nous avons quatre réponses :
- pour Rachi (Troyes, 1040-1105), il s'agit de la circoncision
;
- pour Menahem Hameiri (Provence, 1249-1306), il s'agit du
rachat du premier né ;
- pour Le livre des traditions (Isaac Eizik Tirena,
Autriche, treizième siècle), il s'agit d'un repas à la
veille de la circoncision ;
- pour Rabenou Hananel (965-1055, maître du Rif) et le
Trumath Hadeshen (Israel Iserlein, 1390-1460), il
s'agit d'un repas pour célébrer le fait que l'enfant s'est échappé
sans encombre des entrailles de sa mère.
- Le code secret pour annoncer un heureux événement
- Dans le Talmud de Babylone (Sanhedrîn 32b), il est écrit
qu'à l'époque où les juifs étaient poursuivis pour
le seul fait de vouloir accomplir les mitsvoth (commandement de la
Torah), ils se parlaient en code. Et le Talmud donne un exemple :
"Dans un endroit appelé Bruni, si l'on annonçait à
haute voix "la fête du fils, la fête du fils!", cela voulait
dire en code qu'il y avait une circoncision". Nahmanide
(Espagne 1194 - Israël 1270) dit que le doublement du cri "fête
du fils" signifie fête d'un fils ou d'une fille, ce qui reviendrait
à dire qu'il ne s'agit pas de la circoncision mais d'une cérémonie
indépendante : le Sholom Zokhor.
- Pourquoi la cérémonie s'appelle-t-elle Sholom
Zokhor ?
- Pour le Brith Efraim (se basant sur le Rav Chlomo Zalman Auerbah,
1911-1995), la cérémonie s'appelle "Sholom Zokhor"
["paix (au) garçon"] et non "Seoudath Zokhor"
["repas (pour le) garçon"] car il est écrit "la
naissance d'un garçon apporte la paix au monde". Et bien que le
nouveau-né ne soit pas encore circoncis, il a sa place à la table
du Shabath (à l'inverse du non-juif).
2. Raisons de cette tradition
Plusieurs raisons ont été données pour justifier la
tradition du
Sholom Zokhor :
- Se réunir pour faire une légère collation afin de
remercier Dieu pour la naissance du nouveau né.
- Dans le Talmud de Babylone (traité Nida 30b) il est écrit
: "quand l'embryon est dans le ventre de sa mère
on lui enseigne toute la Torah… A sa naissance un ange le frappe sur
sa bouche et lui fait tout oublier". La cérémonie
viendrait faire participer les membres de la communauté au "deuil"
de l'enfant, lié à l’oubli total de la Torah (Rav
Ezekiel Landau, (1713-1790) dans le Dagul Mervava).
- Rav Aharon ben Yaacov Hacohen de Lunel (fin du treizième,
début du quatorzième siècle) explique ainsi cette tradition
:
"Celui qui circoncit son fils fait la paix avec ses ennemis et les
invite à une collation afin que ceux-ci le bénissent et ne
le maudissent pas".
3. Pourquoi le Shabath ?
- Troumath Hadechen explique que la fête a lieu le
vendredi soir car (même) les colporteurs rentrent chez eux pour fêter
le Shabath.
- Le Midrach Rabba (Lévitique 22:27 section
Emor) explique : "La Torah dit que lorsqu'un veau,
un agneau ou un chevreau vient de naître, il doit rester sept jours
auprès de sa mère. Ce n’est qu’à partir
du huitième jour qu’il sera propre à être offert
en sacrifice à l'Eternel. Cela ressemble à un roi qui a décrété
qu'aucun invité ne peut voir sa face sans avoir d’abord vu
celle de la reine. Ainsi Dieu dit : vous ne m'apporterez pas de sacrifice
avant qu'il ne se passe un samedi, car il ne peut se passer sept jours sans
Shabath et il n’y a pas de circoncision sans qu'il se passe un Shabath".
En d'autres termes, comme il est interdit de sacrifier un animal
sans qu'il ait vécu au moins un Shabath, ainsi la circoncision ne
peut se faire sans que le nouveau-né ait passé un Shabath.
- Le Nefesh Harav du Rav Yossef Dov Soloveitchik,
se référant à Maïmonide (qui
écrit dans son code que si on doit transgresser le Shabath pour sauver
une vie cette transgression ne doit être faite que par l'érudit
et non par un non juif ou un mineur), explique :
la femme qui vient d'accoucher est considérée par la loi comme
un "malade en danger" durant une semaine, et l'on a l'obligation
de transgresser le Shabath pour elle. C'est pour cette raison que le rabbin
de la ville en personne va rendre visite à l'accouchée, pour
vérifier si elle a besoin que l'on transgresse le Shabath pour elle.
Et comme il n'est pas envisageable que le rabbin ne soit pas accompagné
par ses disciples, telle est la source de la tradition de se rendre le Shabath
chez la femme venant d'accoucher.
4. La cérémonie
On a l'habitude de réciter le texte de la bénédiction
du patriarche Jacob à ses enfants "
...המלאך הגועל אותי" [
Hamalakh
hagoël](
1). Puis on ajoute la bénédiction
des prêtres. Rav
Yossef Chalom Eliaschiv (1910-2012)
(article "Les huit jours précédant la circoncision")
écrit que le
Rav Israel Yaacov Kaniewski (1899-1985)
avait l'habitude de réciter le
Chema
auprès du nouveau-né durant le
Sholom Zokhor.
5. Le repas
La collation se fait après le repas de la veille du Shabath (vendredi
soir). On mange des fruits secs (des pois chiches) et des sucreries (voir
Responsa
du
Yavetz (
Yaacov Emden 1698-1776) et du
Havoté
Yair (
Yair Haim Bachrah 1639-1702). Selon d'autres
auteurs, on mange des pommes, des pois, des noix et des amandes.
Note :
- "Que l'ange qui m'a délivré de tout mal, bénisse
ces jeunes gens! Puisse-t-il perpétuer mon nom et le nom de mes pères
Abraham et Isaac ! Puisse-t-il multiplier à l'infini au milieu de
la contrée" (Genèse 48:16).
Ce verset, auquel on accorde de nombreuses vertus protectrices, est récité
tous les soirs par les enfants avant d'aller dormir (n.d.l.r.).