C'était justement à l'époque de Pessa'h, fête de notre libération, qu'en 1848, le cri de liberté partait du cœur de la France pour retentir dans l'Europe entière. Il me semble que les révolutions qui ont ébranlé et secoué les peuples se déroulaient toujours dans les journées de mars, c'est-à-dire dans la saison où chaque année la nature renaît, se dégageant de l'engourdissement de l'hiver ; et c'est aussi à cette époque que, il y a des milliers d'années, l'heure de la libération sonna pour les juifs.
Cette vague de liberté de l'année Quarante-huit a balayé bien des idées surannées, bien des injustices, et anéanti bien des violences ; mais elle a aussi remué jusqu'à l'âme du peuple, et a fait apparaître beaucoup de boue, en réveillant les instincts les plus bas. Les juifs, les plus anciens titulaires de la liberté, avaient partout à souffrir à la naissance de cette jeune liberté, et surtout en Alsace, où l'on ressentit directement la vague de la liberté française. A part la mauvaise année qui précède 1848, la situation particulière en Alsace, sociale, politique et économique renfermait en abondance des germes de malaise et de mécontentement qui croissaient sous la chaleur de la liberté naissante, pour devenir une menace terrible. C'est sur les juifs sans défense que se déchargera en premier la colère des mécontents. Des bandes entières de fainéants armés marchèrent de village en village, saccageant et massacrant. Ils excusaient leurs libertés par l'idée-même de la jeune liberté.
Au jour de Erev-Pessa'h de l'année révolutionnaire se répandit à U. où il y avait une forte communauté juive, la rumeur qu'une foule d'insurgés s'approchait. Il y avait tant de rumeurs sans fondement dans l'air que l'on n'ajoutait pas foi à ces nouvelles. Mais lorsqu'on s'apprêta le soir à se rendre à la synagogue, le charretier Braun arriva avec sa voiture et confirma les faits : ils s'étaient jetés dans les brides de ses chevaux, afin de piller sa voiture. Mais le chef de la bande était d'avis que ce serait une bêtise que de se charger du butin puisqu'ils seraient dans une heure de toutes façons au village, tandis que lui, le charretier, transporterait plus aisément colis et ballots sur sa voiture. Ils se contentèrent donc d'un fût de vin qu'ils firent rouler au bas de la voiture, et qu'ils vidèrent en pleine route.
"Cette beuverie, dit le vieux charretier, va sûrement les attarder quelques temps, mais d'ici une ou deux heures ils seront certainement là. Ils ont noté chaque pièce et ont menacé de me tuer si le moindre colis manquait à leur arrivée?"
"A combien évaluez-vous cette bande ?" demandèrent ions fidèles effarés.
"Ce sont au moins deux cents hommes, munis en partie de fusils et de pistolets, mais surtout de haches, de faux et de fléaux. C'est sur vous juifs qu'ils comptent se ruer avant tout. Ils n'ignorent pas que vous fêtez votre Pâque aujourd'hui et ils sont sûrs de vous trouver tous chez vous ce soir."
La population juive de l'Alsace se distinguait à cette époque par sa piété sincère et son inaltérable confiance en Dieu. Mais entre tous, les membres de la communauté de U. étaient les plus pieux et les plus forts.
Les fidèles étaient indécis : devaient-ils aller à la synagogue ou plutôt rentrer chez eux pour cacher leurs biens et se défendre aussi bien que possible ?
"Nous allons tout d'abord tous à la synagogue, dit le Parness aux indécis, après on verra."
Le Parness, Chmoul Loeb, était un vénérable vieillard. Il jouissait de l'estime générale grâce à son expérience, son affabilité et une aisance remarquable pour ce temps-là. Cette aisance, il aimait à la faire valoir pour le bien de sa communauté.
Tous suivirent le président dans la maison de Dieu, et lorsque tous y furent assemblés, ils semblèrent oublier pour le moment, à l'approche du danger imminent, la prière qui est le but de la maison de Dieu. Bruyante et confuse, la discussion s'engagea sur les mesures à prendre.
Alors le Parness monta sur l'Almemor, et aussitôt les esprits énervés se calmèrent. Sans emphase, dans le style lapidaire du langage judéo-alsacien alors usité, le président apostropha sa ommunauté :
"Maintenant on va, prier Mincho, on va faire Eroubé Chatséros, on va prier Maariv comme d'habitude. Après cela tous iront lechayim oulecholaum à la maison pour mettre en sécurité tous leurs biens. Que chacun s'arme et que les hommes viennent tous chez moi, armés de leur mieux. Femmes, enfants, vieillards resteront chez eux. Les insurgés viennent de S. La première maison juive où ils passeront, c'est la vôtre, Aron Nier. Vous-êtes un pauvre boucher et les insurgés savent qu'ils n'y trouveront pas grand'chose. C'est chez moi sans aucun doute qu'ils frapperont, et alors ils trouveront une résistance à laquelle ils ne s'attendent pas. Avec l'aide de Dieu nous les chasserons du village. Le charretier Braun fera appel à quelques chrétiens de bonne volonté pour qu'ils nous viennent en aide. Maintenant, Rebb Itzig, commencez Mincho."
Une demi-heure s'était à peine écoulée que tous étaient de nouveau rassemblés dans la maison du président, armés tant bien que mal comme le permettait ce petit laps de temps.
Trois jeunes gens vigoureux furent envoyés vers S. Pour guetter l'arrivée des insurgés et les signaler à temps. Pendant ce temps le Parness passa en revue les assistants. Tous étaient arrivés à point, sauf un seul homme. C'était celui qui habitait le plus près, et qui donc aurait dû être là le premier : le boucher Nier.
"Où est donc resté Nier ?" demanda le Parness inquiet, "pourvu que rien ne lui soit arrivé !"
"Qu'a-t-il donc pu lui arriver", répondit l'un des assistants, "il était frais et dispos avec nous à la synagogue. D'habitude il est exact, c'est vraiment extraordinaire que ce soit justement lui qui manque."
"Que trois hommes aillent voir où il est", suggéra le Parness.
Les trois hommes qui se tenaient contre la porte ne se le firent .pas dire deux fois. Ils se mirent en route avec leurs haches et leurs bâtons vers la maisonnette de Nier toute proche qu'ils trouvèrent illuminée comme à chaque Yontev. Ce fait frappa déjà les trois émissaires, puisque tous étaient tombés d'accord de ne pas éclairer leurs demeures, évitant ainsi d'attirer par la lumière l'attention des insurgés sur les maisons juives.
Mais lorsqu'ils se rapprochèrent de la maisonnette, et qu'ils regardèrent à travers les fenêtres peu élevées, ils virent toute la famille assise autour de la table du Séder, joyeuse et de bonne humeur. Leur irruption dans la pièce fut si inattendue que les petits, effrayés, tournèrent la tète, croyant que les insurgés étaient déjà là. Mais les maîtres de la maison levèrent à peine leurs yeux de la Aggada.
Les arrivants, avaient ouvert la porte avec violence et, sur le seuil, ils l'apostrophèrent :
"Êtes-vous donc fou, Aron ? Ne savez-vous donc pas que toute la communauté est rassemblée chez le Parness, et qu'on n'attend plus que vous, et vous êtes assis là, paisiblement, comme si rien ne se passait dans ce monde ?"
Aron Nier était un simple boucher; mais il possédait du tact et une vraie élévation de sentiment qui ne s'apprend pas par les livres ; plus que tous, il se distinguait par une âme profondément religieuse comme elle se trouve rarement dans une telle pureté et une telle profondeur chez les gens de sen état. Une preuve de cette grande piété est le fait qu'il s'était un jour plaint auprès du rabbin parce que le sacrificateur, n'avait pas déclaré treïfé une seule bête pendant six mois.
"Gut Yontev Rabbaussaï", leur souhaita-t-il. "Dans votre émotion vous avez tout-à-fait oublié de nous souhaiter Gut Yontev, ne voulez-vous pas participer à notre Séder ?"
"Nous au Séder ? Si nous pouvions donner le Séder, nous le donnerions à la maison ; avez-vous perdu la raison, ne savez-vous donc pas ce qui se passe ?"
"Pour sûr que je le sais, mais mille excuses, c'est Yontev, déposez donc haches et bâtons ; vous n'ignorez pas qu'il est interdit de s'en servir aujourd'hui. Si l'ennemi était là, s'il y avait danger de vie, et que vous ayez besoin d'armes pour vous défendre, cela serait permis ; mais pour le moment il n'y a ici aucun ennemi, et vous profanez la sainteté du Yontev."
"Voulez-vous une fois de plus faire bande à part ? Toute la communauté attend chez le Parness l'arrivée des insurgés, mais d'abord c'est vous qu'on attend. Si vous voulez venir avec nous, c'est bien ; mais si vous voulez à la légère risquer votre vie et continuer votre Séder, nous le dirons aux autres pour que chacun sache qu'Aron Nier s'est écarté de nous à l'heure du danger !"
"Je ne me suis jamais séparé de la communauté, mais je suis d'avis que c'est notre sainte communauté qui se sépare en ce moment de la grande collectivité juive, et je ne voudrais pas agir ainsi. Aussi loin que la lune luit et que les étoiles scintillent, partout où, sous le vaste ciel, les âmes juives respirent et les cœurs juifs battent à cette heure-ci, tous sont assis au Séder et remercient Dieu pour la libération de l'esclavage de Mitsraïm. C'est seulement à U. qu'il n'y a pas de Séder, et pourquoi ? Parce que des ennemis pourraient arriver et se précipiter sur nous. S'ils venaient en effet, notre Dieu éternel ne vivrait-il plus ? N'est-ce pas écrit là dans notre Aggada que c'est lui qui nous a assistés, nous et nos pères ? N'y a-t-il eu qu'une fois que quelqu'un ait surgi pour nous anéantir, ne sont-ils pas prêts à tout moment à mais anéantir ? Et le Saint, béni soit-il, ne nous-a-t-il pas toujours sauvés de leurs mains? Et je devrais laisser troubler mon Séder pour moi et ma famille? N'avons-nous pas ce soir Leïl Chimourim, la nuit de la garde particulière de Dieu, et ici nous devrions attendre d'être protégés - non par Dieu, loué soit-il - mais par de simples mortels, et par des bâtons et des haches ? Cette fois notre Parness a sûrement tort, même si son intention est bonne. La communauté pourra penser de moi ce qu'elle voudra : moi et les miens, nous voulons servir Dieu et non pas nous fier à nos bâtons."
Une telle éloquence, les trois émissaires ne l'avaient jamais entendue chez Aron Nier. Tout honteux et confus, ils se glissèrent dehors et allèrent raconter à la communauté impatiente ce qu'ils venaient d'entendre. Tandis que dans la famille de Nier on lut la Aggada comme de coutume, jusqu'à la fin ; les gobelets furent remplis et vidés, on mangea le pain de misère et les herbes amères comme les pères l'avaient fait ; on observa toutes les prescriptions ; le repas fut servi, puis on dit les actions de grâces. On semblait avoir complètement oublié l'ennemi, au moins à la table des Nier. Après les actions de grâces, le jeune Joseph âgé de dix ans alla ouvrir la porte selon la coutume, et à cette occasion il porta un regard timide en direction de S., mais il n'y avait pas la moindre apparence d'un ennemi qui s'approchait. La porte fut refermée, et encore une fois il y eut un coup d'œil scrutateur dans la nuit, à nouveau sans distinguer quoi que ce soit d'inquiétant.
Par contre, dans la maison du Parness toute la communauté se trouvait dans la plus grande agitation. Le rapport des trois messagers avait au premier moment provoqué une vive impression sur l'assistance. Mais quelques-uns, trop prudents dirent qu'Aron Nier avait été de tout temps un original, qu'il ne convenait pas d' être trop pieux, et que devant un tel danger on devait faire son devoir, et non pas pas se fier à. Un miracle, et ainsi de suite. Malgré cette diversion, plus les insurgés se faisaient attendre, plus l'agitation fiévreuse de la communauté s'accroissait. Les uns se mirent aux fenêtres, d'autres montèrent au grenier, où par la lucarne s'offrait une plus large vue ; mais toujours personne en vue.
Enfin, après plus de deux heures d'attente on vit surgir les guetteurs qui s'étaient placés sur une route latérale ; ils annoncèrent que la bande allait arriver, et qu'à chaque instant elle pouvait entrer dans le village. Empruntant des sentiers détournés de la forêt ils avaient atteint l'endroit où les brigands s'en donnaient à cœur joie autour du fût volé, et ils avaient pu observer à loisir leurs mouvements et entendre leurs projets, dissimulés par l'obscurité et par la sapinière épaisse des deux côtés de la grand'route. Les brigands avaient décidé d'entrer sans bruit dans le village, et de ne donner le signal du pillage des maisons juives qu'une fois arrivés à la place du marché, om ils le feraient à cor et à cri.
Dans tout le village, pas une lumière, même la population chrétienne avait préféré fermer de bonne heure ses maisons pour ne pas attirer l'attention de cette bande. Dans la rue, on ne voyait que la maison d'Aron Nier éclairée comme aux jours de fêté. Sans bruit, la horde sauvage arriva dans le village et machinalement fit halte devant la maison illuminée de Nier.
Ses habitants n'avaient aucune notion de ce qui eu passait dehors, ils chantaient à voix haute et claire dans la nuit : "Allmächtiger Gott, nun bau dein Tempel schiere !"
"Halte !" cria Hannes le roux à voix contenue à sa bande. "Silence, nous voulons écouter ce qu'on chante là-dedans !"
Doucement il se rapproche des fenêtres basses avec quatre ou cinq de ses compagnons et jette un coup d'œil à l'intérieur. Voilà le père de la maison et à ses côtés la mère et les huit enfants autour de la table recouverte d'une nappe blanche. Sur la table se trouve le peu d'objets précieux que cette pauvre famille possède : deux cuillères en argent - un ancien cadeau de noce - une montre en argent et une coupe à Esrog en cristal coloré. Mais plus que ces articlés rayonne la simple piété et l'air de fête sur les visages de tous les convives, depuis le père jusqu'au nourrisson que la mère porte sur son sein. Les airs de fête résonnent avec une pureté si intime dans la nuit que cette bande de rustres est impressionnée jusqu'au tréfonds de son âme de ce qu'elle voit et entend.
"Qui aurait pensé" dit à voix basse le long Dietrich - qui vient du village H., distant de trois heures - à Hannes le roux, "que c'est là le même Aron Nier que nous ne voyions d'habitude que dans sa blouse bleue au marché au bétail ?"
"Un type comme toi, tu ne vois que la blouse bleue ; mais moi je connais depuis des années le cœur vaillant qui bat sous cette blouse. Tu sais que je devais autrefois devenir curé, mais j'ai quitté trop tôt la soutane. Maint verset de la Bible est encore resté sous ma perruque rousse, mais ce que j'entends là, je ne sais pas où le situer, ni dans le vieux ni le nouveau Testament. Que ces pauvres juifs traqués sont donc des hommes heureux, et que sommes-nous, nous autres voyous qui sont venus pour-détruire le bonheur de ces gens !"
"Tu ramollis comme le beurre au soleil. Ah! C'est encore un cher souvenir, vieux calotin ?"
"Tais-toi, damnée potence, regarde et écoute ces gens-là, ils ne se doutent point que des brigands sont accroupis sous leurs fenêtres, qui en veulent à leur vie et à leur bourse. Maintenant me revient aussi ce verset biblique : "Que cet endroit est vénérable, ce n'est autre chose qu'une maison de Dieu, et ici est la porte du ciel !" Ne vois-tu pas la splendeur de Dieu répandue sur ces hommes ?"
"Moi je ne vois rien du tout, tu as sûrement trop bu en route, moi je suis resté sobre. Mais là je vois aussi une grande cruche de vin en argile, sur la table, ne voulons-nous pas au moins vider cela ?"
"Monstre ! Si tu lèves la main contre ces hommes je te la retranche de ton bras. Je commence à me sentir mal à l'aise dans cette société et nos hommes commencent à s'agiter. Nous allons rebrousser chemin, et liaisons pour cette fois le village tranquille."
"Es-tu fou ? Et serais-je moi-même cent fois d'accord, crois-tu que notre bande renoncerait de bon cœur au butin de ces juifs et à toute la voiture qui nous attend ?"
"Also schier und also bald in unseren Tagen schieré ! Ja sehieré !"
Ainsi résonne le chant à travers les vitres minces de la chambre illuminée, et à chaque nouveau son, arrivant aux oreilles et au cœur du chef de la bande, son émotion s'accroit ; il ne pouvait plus la maîtriser.
"Au premier mauvais mot qui sort de ta maudite bouche, Dietrich, je t'étranglerai, tiens-le pour dit, il arrive un moment où je n'accepte pas de plaisanteries. Ici est la splendeur de Dieu, regarde-la une fois ; dans toute ta vie tu n'auras plus, sans doute, pareille chose à voir, et maintenant, bataillon, demi-tour !"
Le long Dietrich saisit vite; il comprend la décision surprenante du chef qui tremble à chacune de ses paroles ; n'y a pas mieux à faire que de se conformer à la volonté de son maître.
Il quitte la fenêtre et va chuchoter à ses compagnons : "Les juifs nous ont ensorcelés et nous allons tous périr misérablement, si nous ne sortons pas tout de suite du village. Filons aussi vite que possible, à pas de loup. Si ceux-là, dedans, nous entendent, nous sommes perdus corps et biens."
Comme un éclair, ce message passe dans les rangs de ces brigands superstitieux, et tous de retourner aussi vite que possible par le même chemin qu'ils avaient pris quelques instants auparavant. Hannes quitte la maisonnette illuminée le dernier, en marmottant dans son épaisse barbe rousse : "Voila une révélation divine. C'était la splendeur de Dieu !"
A peine le chef de la bande avait-il quitté la maisonnette d'Aron Nier, que de l'ombre épaisse de la maison voisine apparurent les trois guetteurs, qui s'étaient à nouveaux rapprochés de la bande, et étaient donc ainsi témoins de ce fait miraculeux. Ils entrèrent en coup de vent dans la maison du Parness où toute la communauté attendait dans une agitation fiévreuse, les événements. Lorsqu'ils firent rapport de ce miracle de Dieu, qui les avait protégés, et qui avait déjoué les projets des ennemis d'une manière si merveilleuse, leur joie fut grande. Rebb Itzig dit à haute voix la bénédiction que la loi prescrit pour une bonne nouvelle, et toute la communauté répondit à haute voix, d'un sincère Amen !
"Rabbausaï" s'écria alors le Parness, "après avoir remercié Dieu nous ne voulons pas oublier de remercier ce lui dont la Providence s'est servie pour nous sauver ; je parle d'Aron Nier ! Nous voulons tous nous rendre chez lui et le .remercier pour sa confiance en Dieu et sa sincérité qui nous ont tous sauvés de ce grand danger,"
Tous se portèrent vers la. maison de Nier, hommes femmes et enfants qui avaient entendu annoncer le brusque changement de leur destin.
La famille se tenait encore à table et chantait :
"Einer das ist unser Gott, der da lebt und der da schwebt im Himmel und auf Erden !"
Tout à leur joyeuse fête, ils n'avaient rien remarqué, ni la présence des insurgés, ni l'arrivée des membres de la communauté. Mais lorsque ceux-ci pénétrèrent brusquement dans la petite pièce et qu'ils racontèrent la famille Nier tout ce qui venait de se passer, tout en la remerciant chaudement pour le salut miraculeux. Aron Nier secoua les épaules en disant :
"Est-ce moi qui ai trop bu, ou bien vous ? Je n'ai pas donné autrement le Séder que d'habitude. Pardonnez-moi, Rabbaussaï, pourquoi venez-vous combler un petit boucher d'honneurs immérités, et en oubliant l'honneur dû à Dieu ! Vous tous vous n'avez pas encore donné le Seder ! Avec l'aide de Dieu, volez chez vous, pour remplir le devoir de cette nuit, afin que la Kehillo n'ait pas à se reprocher un péché."
"Vous avez raison", dit Rebb Itzig, "nous allons suivre votre conseil, ruais la Chekhina (providence divine) plane sur vous et sur votre maison, que vous en conveniez ou non. Ceci est et restera une révélation de la splendeur de Dieu, que notre communauté n'oubliera jamais.
Dieu seul sait ce quo nous serions devenus, s'il n'y avait pas eu au moins l'un de nous qui soit digne que sur lui et sur sa maison repose la splendeur de Dieu ? Après Yontev nous inscrirons cette histoire dans les annales de la communauté pour toutes les générations à venir, en souvenir perpétuel."
Ainsi fut fait.
Plus de quatre-vingts ans sont passés, Pessa'h dernier, depuis ces événements.
Dans le souvenir de la communauté, ils sont aussi frais et présents que si tout avait eu lieu hier.
Et à chaque Séder on évoque dans chaque famille le souvenir du fait miraculeux.