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BÛREM D'ANTAN ET POURIM D'AUJOURD'HUI
par Félix Lévy
Lorsque j'essaye de me remémorer le Bûrem d'antan, il ne
reste pas grand chose dans ma mémoire de l'office qui se
célébrait à la synagogue.
On y lisait la Meguila, mais cela se faisait sans faste,
sans rite particulier et peut-être aussi sans grand
enthousiasme. Par contre on respectait scrupuleusement
deux rites, celui des beignets et celui des bals.
Le rite des"Bûremkichlich" était suivi dans tous les
foyers. Mentalement on s'y préparait à l'avance et tout
chacun connaissait le couplet :
Am Burem welle mir Kichlich esse
Un der Amann ned vergesse. (1) |
(A Pourim on mange des beignets,
et la viande fumée il ne faut pas l'oublier).(1) |
Dans certains ménages on en faisait une quantité telle que
l'on avait recours à de grands paniers comme contenants.
Et les femmes fortunées envoyaient leurs enfants en porter
chez les gens pauvres.
Et les bals ! A l'instar des bals de Sim'hath-Thora, il y
avait aussi ceux de Pourim. C'était officiellement une
manière d'exprimer sa joie à l'idée de l'événement que
Pourim représente pour nous. Mais il y avait aussi
l'arrière-pensée que lors d'un tel bal, il pourrait y
avoir une étincelle qui jaillirait entre un garçonet une
fille, et qu'ainsi un mariage pourrait s'ensuivre. On n'en
était pas encore à l'époque moderne où des agences
matrimoniales ont recours à une énorme publicité,
procèdent à des études psychologiques avant d'orienter tel
jeune homme vers telle jeune fille et organisent de
grands voyages où l'on peut faire plus ample connaissance.
La Schadchen de jadis était d'une envergure très modeste
et
les parents se glissaient chez elle à la tombée de la
nuit, car on n'était pas fier de recourir à une telle
intermédiaire, alors que rien n'était plus beau que de
faire un merveilleux mariage d'amour. Ce qui ne veut pas
du tout dire que les mariages d'amour étaient plus heureux
et plus durables que les autres.
Collection Claudine Hattab-Blum
De nos jours, on ne connaît plus guère les bals de Pourim.
Par contre les offices du soir de Pourim sont devenus de véritables attractions pour les enfants, un divertissement
à nul autre pareil. Je me souviens d'un office de Pourim à
la synagogue de la rue Chopin à Jérusalem. Les enfants y
étaient venus en nombre incalculable, travestis ou grimés
selon leur fantaisie, chaque garçonnet armé de son
revolver à pétards et chaque fillette de sa crécelle.
Chaque fois que pendant la lecture de laMeguila
retentissait le nom d'Amann (et il est cité une
cinquantaine de fois !), c'était un véritable concert qui
se déclenchait. Cette initiative s'est révélée tellement
heureuse qu'elle s'est rapidement propagée dans tous les
pays. Rien de tel pour créer une atmosphère joyeuse. Et
pour que la joie règne aussi dans les foyers, certains
papas racontent à leurs enfants les moschelich d'antan
dont voici un choix de nature à rajeunir le lecteur :
Tout Ingwiller sait que Salme est ruiné. Il essaie
maintenant désespérément de contracter un emprunt et
frappe aux portes des banques d'Ingwiller et de
Strasbourg. - As-tu réussi aujourd'hui ? lui demande sa
femme. - Hélas ! non. Je n'ai pas de chance : A
Strasbourg, ils refusent de me prêter de l'argent en
disant qu'ils ne me connaissent pas assez, et à Ingwiller
en répondant qu'ils me connaissent trop bien.
Mauschele de Zellwiller arrive chez les Mennle, à Barr. on
lui donne une pièce de 50 centimes. Mauschele ne cache pas
sa déception :
- Seulement 50 centimes ! D'habitude, j'ai
droit à un franc.
- Oui, Mauschele, mais tu sais que nous
venons de marier notre fille. Nous lui avons donné une
belle dot, et il nous faut maintenant nous restreindre.
- Ainsi c'est avec mon argent que vous avez doté votre fille !
Carline, la femme de Chaiele de Winzene, adore son mari
mais n'est guère payée de retour. L'autre jour, alors que
Chaiele faisait sa prière du matin, il laissa tomber sa
Tefila (son libre de prières). Il la ramassa en toute hâte et la baisa
fougueusement.
- Pourquoi ne suis-je pas ta Tefila ? dit Carline avec une
nuance de regret dans la
voix.
- Je préférerais que tu sois ma Luech (calendrier de
l'année juive). Je pourrais en changer à Rosch-Hachana.
Hendele, la veuve d'Elje de Turckheim, était allée avec
Chajem, son fils aîné, déjeuner chez les Ysche, à
Crusse. Il s'agissait d'une entrevue discrète : Chajem
devait ainsi faire la connaissance de la fille des Ysche.
Sachant que son fils était un goinfre, Hendele lui fit la
leçon : "Et surtout, sers- toi modérément."
Au début du repas, tout alla bien. Chajem ne prit qu'une
assiettée de Knepfelsupp et qu'un morceau de brochet. Mais
lorsqu'on mit sur la table une belle poitrine d'oie, il
perdit toute retenue, se servit outrageusement, puis, au
dessert, fit honneur au Schaled en n'en prenant pas moins
de trois morceaux.
Hendele était pâle de colère. A peine se retrouva-t-elle
en tête-à-tête avec son fils qu'elle explosa :
"E Charbenebusche ! E Charbenebusche !" (Une Honte !)
Mais son fils lui coupa la parole : "Memme, cela n'a pas
d'importance. Quand nous en étions arrivés à la poitrine
d'oie, j'avais déjà décidé que je n'épouserai pas cette
fille."
Ce Shawes matin-là, à la Schuhl, Mauschele de Zellwiller
se précipita vers le Chasen (le chantre) et lui demanda de
Gaumelbensche (prière que l'on fait dire lorsque, par une
grande chance, on a échappé à un grand malheur). Le
Barness s'approcha et demanda à Mauschele ce qui lui était
arrivé. Et Mauschele, encore tout ému, lui raconta :
"Hier soir, j'ai lavé ma chemise et l'ai suspendue, pour la
faire sécher, à une corde tendue entre les deux arbres de
mon jardin. Or, pendant la nuit le vent a fait valser
cette chemise en l'air, l'a entraînée jusqu'à hauteur de
mon toit, puis l'a laissée lourdement retomber à terre.
Vous rendez-vous compte : si je m'étais trouvé dedans, je
me serais cassé bras et jambes ! »
Mauschef Kahn apprend qu'un de ses clients, Fromel de
Westhoffen, perd peu à peu la raison.
Il appelle son commis et lui dit : "Prends le tram et vas
chez Fromel. Depuis trois ans, il me doit encore 200
francs sur une facture. Fais-toi payer."
Le soir, le commis revient.
- A-t-il payé ? demande Mauschef Kahn.
- Non, il n'est pas encore fou à ce point-là.
Lorsqu'on demanda à Mauschef Kahn de participer aux frais
de reconstruction du mur du cimetière d'Ettendorf où ses
parents sont enterrés, il refusa tout net :
"Pas un sou vous n'aurez de moi. Construire un mur de
cimetière est une dépense superflue : ceux qui sont dedans
ne veulent pas en sortir et ceux qui sont dehors ne veulent pas y entrer."
Un Schnorrer rencontre un collègue.
- As-tu remarqué que Mauschef Kahn devient plus généreux ?
- Oui, au fur et à mesure qu'il vieillit, il se dit que ce
n'est pas son argent mais celui de ses héritiers qu'il
nous donne.
Le petit Faisele, 12 ans, rentre de son cours de religion.
- Alors, qu'est ce que le Chasen te fait apprendre ? lui
demande son père.
- Le Kaddisch.
Le père se précipite chez le Chasen :
- Pourquoi lui
apprenez-vous le Kaddish ? Je suis encore jeune et en
bonne santé !
- Oh ! vous savez, à la lenteur avec
laquelle Faisele apprend...
Mauschele de Zellwiller entre à Westhoffen dans une maison
où on ne lui a jamais rien donné. Il tente quand même sa
chance.
- Mauschele, je ne peux rien te donner. J'ai
moi-même un frère qui est très, très pauvre.
- Celà, je le
sais, mais je sais aussi que jamais vous ne lui avez donné
quoi que ce soit.
- Et, le sachant,tu t'imagines qu'à toi
je vais donner quelque chose !
Mauschef Kahn est sur son lit de mort, et il le sait. Un
ami veut lui remonter le moral :
- Vas, tu en réchapperas. Tu as 72 ans, mais, tel que tu
es bâti, je te vois atteindre 90 ans.
- D. n'est pas moins bon commerçant que moi. Pourquoi
attendrait-il pour me prendre à 90 alors qu'aujourd'hui il
peut m'avoir à 72 ?
Le vieux menuisier chrétien de Rosenwiller vient trouver
le Barness : "Haunel, il y quarante ans maintenant que je
fabrique vos cercueils. Je me sens un des vôtres et c'est
dans votre cimetière que je voudrais être enterré."
Le Barness est très ennuyé. Il a peur de vexer son vieux
voisin mais pense avoir trouvé un échappatoire en
demandant un montant prohibitif :
- C'est d'accord, avec plaisir, mais cela coûtera 300 000
Frs.
- 300 000 Frs ! Mais tu es fou !
- Ce n'est cher qu'en apparence. Car, vois- tu, le jour où
le Messie viendra, il ressuscitera tous les juifs. Ils se
lèveront et quitteront le cimetière. Toi seul, tu
resteras. Et avoir pour 300 000 Frs tout le cimetière de
Rosenwiller pour toi seul, ce n'est vraiment pas cher !
Vous trouverez aussi un grand choix d'histoires judéo-alsaciennes dans nos pages Humour, présentées par le Rabbin Edgard Weill.
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(1) Le Rabbin Daniel Gottlieb a bien voulu nous apporter les précisions suivantes à propos de ce couplet :
Ihr live Leid
Kenn’t ihr mer sawe
Was Burem bedeit ?
Burem beteit Kichlich essen
Und der Homen
Net vergessen. |
Braves gens,
Pouvez vous me dire
Ce qu’est Pourim ?
Pourim, c’est manger des beignets,
Et Haman,
ne pas oublier. |
(Homen, dans ce contexte désigne … la viande fumée ! En effet, pour fumer la viande, on la suspendait dans la cheminée ; et comme le personnage de Haman a fini … suspendu, l’assimilation est vite faite.
Dans le même esprit, et dans des temps plus récents, on s’arrange pour manger à Pourim des … pamplemousses (autrefois, ce genre d’agrumes n’étaient guère accessibles en Alsace).
Pourquoi ?
Evidemment parce que :
" WEIL DER HOMEN PAMPLE MOUSS "
"Parce que Haman doit … se balancer (à la potence où il a été pendu) " !
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© : L . S . d . J . A.
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