Les archives de la Société
d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine renferment des
centaines de lettres échangées entre Juifs, ou entre Juifs et
non-Juifs, au cours des18ème et 19ème siècles. Toutes
ces lettres avaient été scellées à la cire rouge.
Malheureusement, pour les ouvrir, on a dû briser le sceau, de sorte
que seuls des fragments subsistent, montrant des caractères hébraïques
et des éléments figurés.
Par chance, notre Société possède une collection rare de sceaux juifs. Les uns sont des sceaux personnels, destinés à cacheter des lettres ou des documents, les autres étaient destinés à être apposés sur des aliments, ou sur leur emballage, dont il garantissait la conformité rituelle (Kashér).
Les sceaux personnels étaient portés en bague ou en pendentif à la chaîne de montre. Ils étaient faits d'un laiton jaune et très finement gravés.
Les artisans graveurs étaient juifs. C'était un des rares métiers artisanaux qui leur fut laissé. Schudt, dans Jüdische Merkwürdigkeiten écrit en 1715 à Francfort : "Hiesiges Orts hab ich in der Mess Juden in der Gass sehen Pitschier (1) stechen, dann die Juden brauchen auch ihre Pitschier und wie Herr D. Spener berichtet brauchet jeder in seiner Pitschaft das Zeichen des Zodiaci oder Thierkreyses so in dem Monath da er gebohren gewesen welches sich in der That also verhält." Schudt insiste par ailleurs sur la grande habileté des Juifs à graver des pierres précieuses. Le système des corporations ne permettait pas aux Juifs d'être orfèvres ou fondeurs d'étain il leur fallait se rabattre sur les petits métiers annexes. Ces petits métiers se pratiquaient encore récemment sur les champs de foire, et je me souviens avoir vu dans ma jeunesse un graveur installé les mercredi et vendredi sur le marché du quai Kléber à Strasbourg, gravant des plaques de porte et des colliers de chien. Graver des sceaux nécessite une grande adresse, la gravure devant être faite à l'envers, à l'aide d'un miroir. Graver des plats en étain était beaucoup plus facile, et il est improbable que les Juifs aient abandonné à d'autres le soin de graver leurs plats de Séder et leurs assiettes de Pourim.
Pour revenir à notre collection de sceaux, l'inscription était gravée dans un ovale, dont le plus grand diamètre ne dépassait pas 30 millimètres. Elle était du type général "Isaac fils de Jacob", suivi, soit de l'abréviation youd, tsadé, vav, pour "yishmeréhou tsouro vegoalo", "que son Dieu (2) et son Sauveur le protège", soit de l'abréviation zaïn, lammed, pour "zékher librakha", "que sa mémoire soit bénie", cette dernière mention se rapportant au nom du père défunt. En plus de cette inscription, on trouve un élément figuratif, mains élevées en signe de bénédiction pour un Cohen, descendant d'Aron le grand'prêtre, aiguière pour un lévite, plus généralement signe du zodiaque.
Que représentait au juste pour chacun de ces Juifs son signe astrologique ? Le judaïsme professe le libre arbitre, la faculté pour l'homme de choisir entre le bien et le mal : "Vois, j'ai mis devant toi la vie et le bien, la mort et le mal, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie afin que tu vives" (Deutéronome 30:15-20). Mais un siècle de domination perse ne fut pas sans laisser de traces, jusque dans la littérature rabbinique, mais sans jamais remettre en cause le principe même du libre arbitre. "Dès sa conception, Dieu décide si l'homme sera faible ou fort, sage ou sot, riche ou pauvre, il ne dit pas, juste ou méchant" (Nidda 16b). Un certain déterminisme est donc admis. Rabbi Aqiba, au 2ème siècle, déclare : "Tout est déterminé, et pourtant liberté nous est accordée" (Aboth 3:19), tempérant ainsi la fatalité par la volonté de l'homme.
Dans le traité Shabath, 156a, on assiste à une curieuse discussion. Quelqu'un cite les notes de Rabbi José ben Lévi : "Celui qui est né un dimanche sera un homme de rien. Qu'est-ce à dire, répond Rabbi Asi, moi et Dimi ben Kakositos sommes tous deux nés un dimanche. Je suis chef d'école, et lui est chef de brigands." Et la discussion continue pour chaque jour de la semaine, lorsque Rabbi déclare que, ce n'est pas le jour de la semaine, mais l'heure de la naissance qui importe, celui qui est né sous la planète Mars sera un homme sanguinaire, un bandit. Et Rabba réplique que lui est né sous le signe de Mars, sans pour cela être un bandit. Rabbi Hanina déclare que sagesse et richesse dépendent de la constellation, mais Rabbi Jo'hanan déclare que Israël ne subit pas l'influence des astres. Ainsi lorsqu'Abraham répondit au Tout-Puissant : "Maître du Monde, les astres m'ont appris que je n'élèverai pas de fils", l'Eternel répondit : "éloigne-toi de ton astrologie. Israël ne subit pas l'influence des astres", "ein mazal leyisraël".
Il semble que les Sophrim, les précepteurs religieux, ne s'opposèrent pas au développement de certaines croyances tant qu'elles ne portaient pas atteinte à l'orthodoxie de la communauté. Dans le Yalqouth Shim'oni, qui est un commentaire de la Bible écrit au 13ème siècle, les étendards des douze tribus portent les douze signes du zodiaque. Dans le Pesiqtha rabbathi, les événements de l'histoire du peuple d'Israël sont mis en rapport avec les signes du zodiaque. Selon le Midrash, le Temple n'aurait pût être détruit en Nissân, sous le signe du bélier, car le bélier de Nissân aurait rappelé à l'Eternel le bélier du sacrifice d'Abraham, ni en Iyar, dont le taureau rappelle l'animal sacrifié par Abraham en l'honneur des trois messagers célestes, et ainsi de suite, jusqu'au mois d'Av, qui vit la destruction du Temple. Av, placé sous le signe du Lion (en hébreu Aryeh), car le Temple est aussi appelé Ariel, ou Lion de Dieu (Isaïe 29:1).
Les signes du Zodiaque font depuis des siècles partie des éléments figuratifs autorisés. On les trouve sur le pavement en mosaïque de la synagogue de Beth Alpha et de Hammath (Tibériade). On les trouve dans les livres de prière des jours de fêtes (Ma'hzorim) pour Pessa'h et Shemini Atséréth, datant des 12ème et 13ème siècles, où ils symbolisent les mois. Ils ornent les Mappoth enroulées autour des Sifré-Torah. Les rabbins avaient suffisamment d'autorité pour interdire l'usage de ces signes. S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils jugeaient ces pratiques parfaitement anodines. Et on peut se demander si les propriétaires de ces sceaux y voyaient autre chose qu'un élément décoratif,
Le signe du Zodiaque était donc avant tout un élément décoratif, permettant du premier coup d'œil d'identifier l'origine d'un sceau. Peu de sceaux s'écartent de ce type. Par deux fois, nous avons rencontré ce curieux quatre de chiffre, qui n'est pas un symbole juif, mais s'apparente aux marques des tailleurs de pierre.
Deux sceaux s'éloignent des traditions régionales. Les auteurs de ce pêcheur à la ligne, et aussi de ce magnifique blason des cohanim avec couronne de baron et lion héraldique, n'étaient certainement pas alsaciens. La simplicité aussi avait ses adeptes, et quelques inscriptions sont limitées au nom hébraïque, avec parfois, les lettres initiales du nom en caractères latins.
|
|
C'est un aspect peu connu de l'art populaire juif que nous avons présenté. De petits artisans juifs, sur les marchés et les champs de foire, gravaient à l'intention d'une clientèle juive ou non-juive des sceaux, montrant que lorsqu'on leur en laissait la possibilité, ils n'étaient pas plus maladroits que d'autres. On trouvera dans les collections d'objets juifs d'autres preuves de leur adresse, en particulier ces mains de lecture, ces "yad", en bois tourné et sculpté qui sont d'authentiques chefs-d'œuvre d'art populaire.
Nous faisons une place particulière
à une intaille (19), une topaze montée sur or, dont l'attribution,
même en l'absence d'inscription est évidente. Un écu surmonté
d'un haume empanaché de trois plumes d'autruche, est flanqué
de deux chiens tricéphales. L'écu porte un cerf au premier quartier,
un ours au quatrième. Le Cerbère de la mythologie, le cerf,
l'ours (Bär en allemand), sont les armes parlantes de Cerfberr.
Pour qui cette intaille fut-elle gravée?
On nous fait observer que l'anneau ressemblait étrangement à
la bague que, sur son portrait conservé à l'Hospice Elisa, Cerfberr
de Medelsheim portait à son doigt. Or il est hors de question, et ceci
pour de très nombreuses raisons, que la gravure ait été
faite du vivant de Cerfberr, en admettant même, et ceci est loin d'être
prouvé, qu'il s'agisse de son anneau.
La bague ayant appartenu en dernier lieu à un descendant alsacien de
Cerfberr, on peut admettre que l'anneau a été gravé,
en souvenir de l'illustre ancêtre, par un de ses descendants.