Hirtz de Medelsheim dit
CERF BERR,
représentant de la"nation
juive" d’Alsace
1726 - 1793
par le Grand Rabbin Warschawski
Portrait de Cerf Berr conservé à l’Hospice Elisa à Strasbourg
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Situation de la population juive d'Alsace au 17ème siècle
Au début du 17ème siècle, la population juive d'Alsace
ne dépassait guère 500 familles. Mais entre le Traité deWestphalie,
qui accordait l'Alsace à la France (1648), et le dénombrement
des Juifs d'Alsace en 1784, leur nombre était passé à près
de 20,000 âmes, soit 3910 familles dispersées dans 386 localités
de la Province.
L'augmentation numérique était due en grande partie à l'immigration
de Juifs du Palatinat et du Pays de Bade, dont les traditions et la langue étaient
identiques à celles des Juifs alsaciens.
En prenant possession de l'Alsace, le Roi de France s'était engagé
à maintenir les privilèges des possessionaires. Parmi ces privilèges,
figurait le droit, qui pouvait être accordé ou refusé à
ces possessionaires, d'administrer des Juifs.
Les Juifs en Alsace se répartissaient en cinq cantons :
- les terres de l'Evêché de Strasbourg
- celles de la Basse Alsace (terres du Roi)
- celles de la Haute Alsace (terres du Roi)
- celles de la Noblesse immédiate de la Basse Alsace
- celles du Comté de Hanau Lichtenberg, les plus imortantes numériquement.
Les communautés juives élisaient des préposés (syndics
ou
parnassim), dont le rôle essentiel était celui de répartir
la capitation et autres taxes. Elles avaient des 'hazanim qui étaient
également sho'hatim et maîtres d'écoles, et des mohalim.
Dans chacun des cantons, les autorités désignaient un rabbin nommé
par lettres patentes . Le siège du rabbin de Haute Alsace était
à Ribeauvillé, celui de la Basse Alsace à Haguenau. Le
siège de la Noblesse immédiate de la Basse Alsace était
à Niedernai, et celui du Comté de Hanau Lichtenberg à Bouxwiller.
Le rabbin "patenté" était président du tribunal
rabbinique, et dirigeait parfois une yeshiva. Il était la seule autorité
reconnue par le pouvoir.
Certaines communautés élisaient aussi des rabbins, mais ceux-ci
dépendaient du rabbin nommé par les lettres patentes. Ils étaient
ses délégués pour divers services, et on les appelait "commis-rabbins"
ou "substituts-rabbins". En 174, il y avait en Basse Alsace treize
de ces "sous-rabbins" ; en Haute Alsace ils étaient au nombre
de neuf.
La plupart des métiers étaient interdits aux Juifs. Ils devaient
se contenter de professions comme fripiers, colporteurs et, surtout, marchands
de bestiaux. Ils étaient pour la plupart pauvres, sinon miséreux.
Cependant, plusieurs familles avaient acquis de très grosses fortunes
en obtenant des commandants des armées stationnées en Alsace,
ou des gouverneurs de la Province, la fourniture de chevaux ou defourrage. Ils
fréquentaient alors les personnages les plus importants, à quiils
prêtaient de grosses sommes d'argent, agissant ainsi comme banquiers.
Une de ces familles était celle des Weyl, originaire de Westhoffen, puis
d'Obernai. D'autres étaient les Netter de Rosheim, Moïse Blien de
Mutzig, qui quitta l'Alsace pour s'installer à Metz, Aron Mayer de Mutzig.
Vers le milieu du 18ème siècle, apparurent à côté
des préposés locaux un groupe de personnalités qui furent
nommés "préposés généraux de la Nation
juive". Chargés de défendre les droits de leurs coreligionnaires,
ils intervenaient auprès des autorités. Ce sont eux quifurent
responsables, jusqu'au moment de l'émancipation, de la rentrée
des taxes imposées aux Juifs.Ils formaient avec les rabbins (officiels)
la direction de la "
Medina", la Province (ou Nation) juive
d'Alsace.
En 1746, les préposés généraux étaient Moïse
Blien de Mutzig, Jacob Barouh Weyl d'Obernai, et Aron Mayer de Mutzig. Lorsque
Blien quitta l'Alsace et fut remplacé par Lehmann Netter deRosheim, un
quatrième péposé vint se joindre au directoire : Cerf Berr
de Bishheim, qui sera le dernier des préposés généraux.
C'est de lui que je voudrais, comme ancien rabbin de Bischheim, évoquer
la personnalité exceptionnelle.
Cerf Berr
Cerf Berr de Medelsheim est une des figures marquantes du judaïsme alsacien.
Né à Medelsheim (Duché des Deux Ponts) en 1726, Hirtz Baer
est connu aussi sous le nom de Hirtz de Bischheim, le village où il s'était
installé, car Strasbourg refusait d'admettre des Juifs.
Nous ignorons la date de son installation à Bischheim, mais sa femme
Jüdel Weil était la fille d'Abraham de Bischheim. Il en eut huit
enfants, dont quatre fils, Marx, Baruch, Théodore et Lippmann. Jüdel
mourut en 1783 et Cerf Berr se remaria l'année suivante avec Hana Brull
qui avait trois enfants : Auguste, Louis et Zardlé Ratisbonne.
Etienne François, Duc de Choiseul (1719-1785). Né
en Lorraine, il fut Secrétaire aux Affaires Étrangères,
Ministre de la Guerre et de la Défense Maritime de 1758 à
1770.
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Cerf Berr fut mis en contact direct avec le duc de Choiseul, grand bailli d'Alsace
pendant la guerre de sept ans. Les commandants des unités militaires
stationnées en Alsace avaient besoin de montures et de fourrage. Cerf
Berr était un des grands fournisseurs de chevaux qu'il importait d'Allemagne
: il demanda l'autorisation de s'établir à Strasbourg, car il
craignait, disait-il, que des soldats en maraude ne vienent le cambrioler à
Bischheim, où il conservait des sommes importantes pour ses achats, sommes
qui appartenaient à l'Etat.
Sur l'insistance du duc de Choiseul, le magistrat de Strasbourg, après
un refus catégorique, autorisa Cerf Berr à demeurer dans la ville,
d'abord temporairement, puis en permanence, à condition de ne pas y tenir
synagogue ("s'il veut prier, il n'a qu'à aller à Bischheim").
Action en faveur des Juifs
Cerf Berr acheta l'Hôtel de Ribeaupierre, sous le prête-nom du chevalier
de la Touche. A la mort de ce dernier, il exhiba ses droits de propriété,
et dut engager une longue procédure avec la ville, procédure qui
ne s'acheva qu'avec l'obtention des
droits civiques aux Juifs
(1).
En 1775, en reconnaissance des services rendus à la France, Cerf Berr
obtint des lettres de naturalité qui l'autorisaient à séjourner
sur l'ensemble du territoire. Mais la ville maintint son hostilité.
Pour entrer à Strasbourg durant la journée, les Juifs devaient
acquitter le "
leibzoll" (péage corporel). Cerf Berr
en obtint le fermage moyennant une somme annuelle. En 1784, le
leibzoll
fut aboli, mais il fallut verser une somme de 48.000 livres à la ville
de Strasbourg, somme que Cerf Berr avança.
Pour améliorer le sort des Juifs en Alsace, Cerf Berr demanda à
Moïse Mendelssohn d'écrire un mémoire en leur faveur. Celui-ci
préféra que ce mémoire fût écrit par un non-juif,
et s'adressa à J. Ch. Dohn qui publia
Uber di Bürgerlische Verbesserung
der Juden (
De la réforme politique des juifs)
, que
Cerf Berr fit traduire en français.
Action dans la Communauté
Nous n'avons parlé jusqu'ici que de l'action politique de Cerf Berr,
action dont le but était l'amélioration du sort de ses coreligionnaires.
Qu'en est-il de son rôle à l'intérieur de sa communauté
?
Dès son arrivé à Bischheim, Cerf Berr fit partie des notables
de la communauté. Il n'était pas seulement un homme fortuné,
mais aussi un Juif instruit et d'une piété sincère. Sur
le plan de la synagogue de 1784, que M. Ginsburger a reproduit dans son ouvrage
sur Bischheim, nous trouvons plusieurs personnes ayant la
Moreinou (rabbin
à titre honorifique) en plus des quatre rabbins mentionnés sur
le recensement. Mais à la place d'honneur à la droite de l'arche
sainte est occupée par "le
chtadlan",
parnass
et
manhig, Rabbi Hirtz Medelsheim. Son fils Marx (Morde'haï) occupe
la place parallèle, à gauche de l'
aron hakodesh.
Sa générosité est connue de tous.
Il fait imprimer à Strasbourg deux ouvrages rabbiniques, épuisés
depuis longtemps :
La
Shita mekoubetzeth sur le traité de
Ketouboth de Betzalel
Achkenazi ;
Le'hem setarim, commentaire sur le traité de
Avoda zara
de Salomon Algazi.
Les préfaces à ces ouvrages, écrites par les rabbins alsaciens,
ne tarissent pas d'éloges pour le mécène qui a rendu ces
ouvrages accessibles aux talmudistes.
La cour du Corbeau à Strasbourg au début du 19e siècle
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Le préposé général
Comme
préposé général
(2),
Cerf Berr et consulté pour toutes les affaires importantes, et prend une
place prépondérante parmi ses collègues, beaucoup plus âgés
que lui, grâce à son dynamisme.
Cerf Berr siégeait parmi les quatre préposés généraux
depuis 1764.
Au cours d'une assemblée générale de tous les préposés
locaux d'Alsace, réunis à Obernai en 1788, les préposés
généraux durent se démettre de leurs fonctions (sous la pression des communautés). Cerf Berr
fut remplacé par son fils Marx.
La question juive
A la même époque, certains milieux libéraux sentirent la
nécessité de réformer la législation cocernant les
Juifs. La Société Royale des Sciences et des Arts de Metz mit
au concours, en 1787, le sujet suivant :
Comment rendre les Juifs plus heureux
et plus utiles en France ? Parmi les réponses favorables, celle de
l'Abbé Grégoire fut une des trois primées.
La qestion juive était à l'ordre du jour. En 1784, Louis XVI avait
publié des lettres patentes autorisant les Juifs à exercer certaines
profesions : agriculture, industrie, artisanat. Mais la plupart des règlements
négatifs n'étaient pas supprimés, bien au contraire.
Un recensement des Juifs tolérés en Alsace fut ordonné
en 1784, et les résultats publiés.
En 1788, le roi chargea Malesherbes d'étudier le problème des
Juifs en France, en vue d'une réponse plus libérale. Celui-ci
réunit une commission de juristes, consulta les intendants des provinces
à fortes population juive (Est et Midi de la France), et interrogea les
représentants des communautés de ces régions pour connaître
leurs souhaits. Cerf Berr fut le porte-parole des communautés d'Alsace.
Mais la convocation des Etats généraux interrompit le travail
entrepris.
Les dernières années
La démission des préposés généraux marque
la fin de l'activité officielle de Cerf Berr. Il intervint plus d'une
fois en faveur des Juifs durant la période révolutionnaire, mais
ce ne sera plus à titre officiel.
En 1786, Cerf Berr avait déposé chez son notaire la somme énorme
de 175000 livres, dont les intérêts annuels
devaient être
divisés en une triple fondation :
1. Une école talmudique à Bischheim;
2. un fonds permettant de doter des filles pauvres;
3. une caisse de charité.
Malheureusement, la Révolution ne permit pas de réaliser ce projet,
car elle ruina Cerf Berr.
Pendant plusieurs années, Cerf Berr quitta Strasbourg pour la Lorraine,
où il avait acheté le domaine de Tombelaine. Il habita ensuite
à Romanswiller avec une de ses nièces. Son état de santé
se dégradait. Il avait presque perdu la vue.
A-t-il eu des démêlés avec les Comités de salut public
comme "ci-devant", et a-t-il été emprisonné pendant
un an comme le disent des historiens ? Robert Weyl affirme le contraire, et
ses arguments semblent convaincants.
Le 4 Tebet, 20 Septembre 1794, au cours d'un séjour à Strasbourg,
Cerf Berr décéda. Il fut enterré le lendemain au cimetière
de Rosenwiller.
Dans le registre du cimetière, il est désigné comme CHTADLAN
HAMEDINA HIRTZ MEDESHEIM MIBISCHHEIM, c'est-à-dire : "le porte-parole
de la Province, Hirtz Medelsheim de Bischheim".
Le registre primitif a été recopié en 1936, et c'est celui
que nous possédons. La personne qui l'a recopié n'a pas compris
le sens de ce texte et l'a complètement déformé : le préposé
général des juifs d'Alsace est devenu une pauvre mendiante de Bischheim
! Cette interprétation a été reprise par un historien contemporain.
Il était temps de la corriger. Cerf Berr le méritait bien.
Notes :
(1) Voir l'Histoire
des Juifs de Strasbourg par le Grand Rabbin Warschawski - Retour
au texte
(2) Le rôle du préposé général consistait
à prélever les impôts qui devaient être acquittés
par la communauté juive. Les préposés généraux
n'étaient ni nommés ni élus, mais se désignaient
eux-mêmes pour cette tâche - Retour au texte