LA HAPHTARA
par M. le Rabbin Warschawski
extrait du Bulletin de nos Communautés


LEXIQUE

Haphtara ou Haftara (pl. haftaroth) : litt. "conclusion" - passage extrait des livres prophétiques et récité à la synagogue après la lecture de la Torah. Voir la liste des haphtaroth
Meguilla : litt. "rouleau" - ce terme désigne en particulier le Livre d'Esther qui est toujours lu à la synagogue dans un rouleau de parchemin
Minh'a : office de l'après-midi
Nazir : celui qui se charge d'une obligation religieuse supplémentaire à celes qui sont ordonnées par la loi juive, tel Samson qui avait fait voeu de ne jamais se couper les cheveux
Rosh 'Hodesh : premier jour du mois hébreu
Sepher : litt. "livre" - peut désigner un rouleau de parchemin (Sefer Torah) ou un livre relié
Sidra (pl. sidroth) ou parasha : péricope - portion de la Torah qui est lue chaque semaine à la synagogue
Tanaïm : rédacteurs de la Michna (première partie du Talmud)
Yom Tov : jour de fête religieuse

Ce lexique a été composé par la Rédaction du site
La lecture hebdomadaire de la Torah est une institution que nous devons à Ezra, le scribe, au 5ème siècle avant l'ère chrétienne. Pour combattre l'ignorance du peuple et pour mêler constamment à son existence la loi de Moïse, Ezra, et la grande Assemblée qu'il avait fondée, décrétèrent la lecture obligatoire du Pentateuque les lundis et jeudis, Jours de marché, et remirent, en vigueur la lecture des Shabath et des fêtes, ordonnées par Moïse, mais souvent négligées au cours des âges. Grâce à ces institutions, chaque communauté juive entendait la parole divine au moins tous les trois jours.

Mais on ne se contentait pas de lire simplement le texte du Pentateuque. Chaque verset était traduit et commenté par un Metourgueman. C'est pour cela que les lectures bibliques des jours de semaine étaient courtes, afin de ne pas retenir trop longtemps les hommes qui allaient à leur travail en quittant la synagogue. Les Shabath  et les jours de fêtes par contre, lorsque chacun était libre, on prolongeait la lecture de la Torah. De là naquit le cycle triennal (en Palestine), et annuel (en Babylonie), au cours duquel on achevait la lecture du Pentateuque.

Si la littérature talmudique abonde en détails concernant l'institution des lectures du Pentateuque par Ezra, nos textes classiques sont muets par contre quant à l'origine des Haphtaroth, textes prophétiques qui accompagnent chez nous la Sidra du Shabath, des fêtes ou des jeûnes.

La Michna et le Talmud. citent les Haphtaroth, et signalent même telle ou telle Haphtara de l'année. Les lectures prophétiques sont courantes à l'époque talmudique et les bénédictions qui les encadrent sont fixées avec précision. Des prescriptions détaillées déterminent leur place dans l'office, règlent le nombre minimum de leurs versets. Mais quelle est l'origine des Haphtaroth ?

Il est probable que, dès l'époque royale, le peuple entendait, à côté des lectures choisies de la Torah, les textes que les prophètes avaient rédigés, après les avoir prononcés devant leurs concitoyens. Mais une petite minorité seule, parmi les disciples des prophètes, ressentait leur importance pour le présent et pour l'avenir d'Israël.
Les prophéties n'étaient, pour la masse du peuple, que des visions pessimistes de l'avenir, devant lesquelles on haussait les épaules, tout en cheminant vers la catastrophe, que l'on refusait de voir venir.

En 597 et en 586, Nabuchodonosor envahit la Judée et déporte ses habitants, détruisant le Temple et .la ville de Jérusalem. Les prophéties s'étaient réalisées pour le royaume de Juda comme 150 ans auparavant pour le royaume d'Israël. Pour avoir négligé les avertissements d'Isaïe ou de Jérémie, les Juifs se retrouvèrent en Babylonie. Mais la collectivité juive ne subit pas le sort de ses frères d'Israël, dispersés et assimilés parmi les Assyriens.

Selon une très ancienne tradition, les déportés emportèrent avec eux de la terre de la patrie perdue, les rouleaux de la Torah, ainsi que les prophéties d'Isaïe, de Jérémie, et des "petits prophètes" antérieurs à la captivité. Sous l'impulsion d'Ezéchiel et plus tard de Baruch, le disciple de Jérémie, qui rejoignit les exilés en Babylonie, les Juifs se groupèrent en communautés. Ils construisirent des maisons de prières, qui devinrent les lieux de réunion des exilés. Les sacrifices, disparus avec le temple incendié, furent remplacés par des prières. Le peuple se plongea dans la lecture des textes sacrés et plus particulièrement des prophéties dont il comprenait à présent tout l'enseignement. Il y ressentait l'amour des prophètes pour leur peuple et y puisait la consolation et l'espoir du retour vers la terre sainte.

C'est de l'étude des textes qui devaient plus tard former le canon biblique, que naquit la génération de ceux qui retournèrent en Palestine, et c'est grâce à la Bible que le judaïsme, devenu le peuple du livre, parvint à se maintenir dans la Diaspora même, sans s'assimiler aux peuples étrangers.

Successeur direct des prophètes palestiniens (il était le disciple de Baruch), Ezra retourna à Jérusalem en 458. C'est là qu'il organisa le culte synagogal et qu'il institua la lecture régulière du Pentateuque, et probablement (bien que le Talmud ne le dise pas explicitement), celle des textes prophétiques qui accompagnent la lecture de la Torah.

Ezra le scribe lisant les Tables de la loi - gravure de Gustave Dore
Comme on ne connaît pas de "cycle" de Haphtaroth de cette époque, certains savants supposent que les textes des prophètes étaient choisis par le lecteur selon l'inspiration du moment.

Les années passèrent. Alexandre le Grand conquit l'Orient et y introduisit la civilisation grecque. La Palestine passa successivement sous la domination des Ptolémées d'Egypte et des Séleucides syriens. Antiochus IV Epiphane monte sur le trône. Afin de convertir à l'hellénisme tous les habitants de son royaume, Epiphane interdit la pratique du judaïsme et, entre autre, défend de lire la Torah. Nos maîtres, pour contourner la loi, instituent alors, à la place du "cycle" du Pentateuque, un "cycle" de textes tirés des Prophètes (qui n'ont pas été visés par l'édit d'Antiochus).

On choisit des textes qui avaient un rapport quelconque avec la Sidra interdite : la naissance de Samson pour Nasso (où l'on parle de nazir), les explorateurs de Josué pour Shela'h lekha (l'histoire des explorateurs de Moïse), pour ne citer que des exemples particulièrement connus.

Lorsqu'il était impossible de trouver un texte prophétique parallèle à celui de la péricope, nos ancêtres se contentaient d'un texte dont un mot ou une tournure de phrase évoquait la Sidra. Pour rendre plus apparent encore le remplacement des textes, les Tanaïm décrétèrent que la Haphtara aurait 21 versets, correspondant aux trois versets minimum que devaient lire les sept hommes appelés à lire la Torah le jour de Shabath.  Ils encadrèrent les lectures prophétiques par cinq bénédictions (une avant et quatre après la lecture de la Haphtara) , comme on le faisait pour la lecture de la Torah.

Ces Haphtaroth devinrent si populaires, que, lorsque mourut Antiochus Epiphane et que la liberté de culte fut rétablie en Israël, on décida de maintenir néanmoins, à côté des Sidroth habituelles, les textes des prophètes qui les avaient momentanément remplacées.

Le traité de Meguilla (Michna et Guemara) consacre ses deux derniers chapitres aux lectures bibliques à la Synagogue (Sidroth, Haphtaroth, Meguilloth). La plupart des prescriptions qui concernent ces lectures trouvent donc leur origine dans ce traité. Voici quelques précisions concernant les Haphtaroth.

On possédait à l'époque talmudique des rouleaux contenant les Haphtaroth de l'année (Sefer Aftarta). Mais certains maîtres défendaient d'y lire le Shabath, parce qu'ils estimaient que ces "extraits prophétiques" n'étaient pas conformes à la loi, et exigeaient que l'on ne lise la Haphara que dans le rouleau complet des prophéties d'où elle est tirée. Ce n'est que plus tard que l'on a admis ce "sepher"  de Haphtaroth que l'on connaît encore dans certaines communautés (Guittin 60a).

Le traité Shabath signale, au nom de Rav, des Haphtaroth pour l'office de Minh'a de Shabath, alors que le traité Meguilla n'indique que la Haphtara du livre de Jonas pour l'après-midi de Kippour. Ces Haphtaroth semblent être courantes encore en Babylonie au 10ème siècle et Rav Haï Gaon en parle dans une de ses responsa (Shabath 24a).

Le contenu de la Haphtara doit se rapprocher de celui de la Sidra de la semaine, c'est pour cela que l'on interrompt le cycle normal des Haphtaroth à chaque occasion exceptionnelle : Rosh 'Hodesh tombant un Shabath ou un dimanche, Yom Tov un jour de Shabath (où même la Sidra de la semaine cède sa place à la lecture désignée pour la fête), Shabath Hanouka, les quatre Shabath spéciaux, etc...).


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