Humour
"A Qachtè, këçel vekèrvech"
pour
"Aqachto kéçel voqérèv"
"Je m'efforce de tout mon coeur et de tout mon esprit pour parler (dignement) de la pluie"

On sait avec quelle fervente ardeur nos ancêtres, en Palestine, imploraient Dieu pour obtenir les pluies nécessaires à la culture. En dehors du printemps et de l'automne, ces deux époques de semailles en Palestine, il ne pleut pas dans ce pays et si, par malheur, les pluies viennent à faire défaut à l'une ou l'autre de ces saisons, c'est la famine, les souffrances, la mort. Aussi, les huit jours de la fête des Cabanes (saison d'automne) étaient célébrés au Temple de Jérusalem par des libations d'eau sur l'autel, comme si l'on voulait offrir à Dieu une partie de ce bien précieux qu'on avait reçu de lui et lui rappeler l'espoir qu'on avait de le recevoir encore.

Et quelle joie, quel bonheur présidaient au Puisage de l'eau nécessaire à cette cérémonie, qui faisait entrevoir à l'imagination enchantée des fidèles, la chute espérée de ces averses bienfaisantes, nourricières, et réjouissait leur âme encore bien anxieuse.

A la tombée de la nuit, à l'issue de la première partie de la fête des Cabanes, de la Porte Basse du Temple jusqu'à la piscine des Siloë qui fournissait l'eau indispensable pour les libations, c'était une fête étourdissante à laquelle assistaient les hommes et les femmes, sur des bancs dressés à leur intention : Sonneries du "Chofar", procession des notables et des chefs d'administration, des rabbins si graves habituellement, jonglant avec des torches enflammées, les plus adroits avec huit torches à la fois, profusion de candélabres en or placés sur des socles élevés et jetant sur cette scène grandiose une si éblouissante lumière que la ville de Jérusalem tout entière était inondée d'une clarté magnifique ; défilé d'enfants portant de grandes cruches d'huile destinées à alimenter cet éclairage, etc., etc. "Quiconque, dit le Talmud, n'a pas vu les réjouissances du Puisage de l'eau, n'a pas vu de fête de sa vie."

Depuis la destruction du Temple de Jérusalem, rien ne subsiste plus de ce cérémonial, mais, par un sentiment de fidélité à la tradition et aussi parce que la pluie est toujours nécessaire, nous prions pour l'obtenir en temps utile ; nous la demandons pour les différentes régions de Jérusalem et pour tous les autres pays. Par fidélité encore à la tradition, c'est le jour de "Chemini Atsérés" que nos prières instantes demandent à Dieu de nous favoriser de la pluie et, à partir de ce jour jusqu'à Pâque, nous intercalons dans nos prières le verset connu "C'est toi, Seigneur, qui fais souffler le vent et tomber la pluie." Et puis dans le "Mouçaf" de ce même jour, toutes les prières additionnelles dites "Mahazor", sous le nom de "Tefilas ha-guéchèm" (prières pour la pluie) sont des supplications, des invocations d'un accent déchirant.

Une de ces supplications, qui est un véritable hymne aux bienfaits de la pluie, commence par les mots : "Aqachto Kéçèl Voqèrev."

Avec quelle irrévérence nos gens d'Alsace ont transformé la forme et le sens de ces trois mots, sans égard pour le texte admirable dont ils font partie et, bien entendu, aussi, sans souci de la prononciation exacte et de la grammaire. "Aqachto" devient en judéo-alsacien "A Qachté" (une armoire), "Kéçel (un chaudron) et, en supprimant la conjonction "vo" devant "qérev" on obtient avec un peu de bonne volonté "Kervech" (petit balai).

La prière terminée, c'est un malin plaisir de dire à un revendeur : "Et voilà qui intéresse vos affaires : de vieux meubles, une armoire, un chaudron, un petit balai."
Encore un mot humoristique judéo-alsacien sauvé de l'oubli. Les jeunes générations ne les connaissant sans doute pas et peut-être n'y a-t-il rien à regretter.


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