On connaît l’histoire de Moïse Dreyfus (ou de David Weill) qui, pendant la Grande Guerre a ramené au camps vingt prisonniers allemands. L’officier, surpris par les prouesses militaires de ce soldat, demande qu’on se renseigne pour savoir comment il a pu réaliser un tel exploit.
Si, dans un premier temps, cette histoire prête à sourire, elle illustre les situations tragiques que peut provoquer l’exil : on connaît en effet bien des familles dont les membres habitaient sur les deux rives du Rhin et qui, avec une loyauté exemplaire envers le pays qui les avait accueillis, se battaient contre leurs parents qui étaient dans le camps opposé.
Les Juifs alsaciens qui combattaient dans l’armée française s’étaient constitué un petit dictionnaire duquel je ne relèverai que quelques termes :
Brith Mila (= circoncision) | Censure | H’alomoss (= rêves) | Victoire des Alliés | H’outzpess Ponim (= arrogants) | Aviateurs | Kowod (= honneurs) | Croix de guerre |
Le’harless (= délibérément, sans pourtant en tirer avantage) | Jusqu’au bout |
Mazel (= chance) | Réforme temporaire |
Mazel Tov (= bonne chance) | Réforme définitive |
Ossé Sholem (cf. ci-dessous) | la retraite |
Pfoutzi Kapores | Gaz asphyxiant |
Sane Taukeff (« Ounetané Tokef ... » = prière émouvante récitée Rosh Hashana et Kippour, dans laquelle il est question de vie ou de mort) | L’aumônier (cf. l'image du grand rabbin Abraham Bloch) |
Schlemiel (cf. article Schlemiel) | Engagé volontaire |
Schlemazel (ib.) | Rappel des vieilles classes |
Shma Isroël (verset récité, entre autres, par les mourants) | Partir à l’attaque |
Sim’hass Toro | La fin des hostilités |
Tehilim (= Psaumes ; cf. article Tehilim) | Recommandations avant l’attaque |
Tisha Beov | Vie dans les tranchées |
« Ossé Sholem ... » : ces deux mots sont les premiers d’une phrase qui figure à la fin du Kadish et de la Amida (prière des Dix-huit bénédictions) et qui se dit en faisant quelques pas en arrière, d’où l’expression «Ossé Sholem geh», qu’on emploie avec malice pour dire « marcher à reculons », reculer et par extension « se raviser » et « se rétracter ».
Cette expression a permis à maint juif alsacien mobilisé dans l’armée allemande pendant la guerre de 14/18 de faire savoir à sa famille, malgré la censure de la correspondance militaire, que son unité battait en retraite.
On a même raconté - la chose est peut-être vraie - que le préposé à la censure militaire, frappé par une expression revenant assez souvent dans la correspondance contrôlée, et se doutant de son origine hébraïque, s’est adressé à l’aumônier israélite pour lui demander des explications ; l’aumônier, très conscient de la signification donnée par ses camarades de combat à ces mots, s’est contenté de donner la traduction littérale du verset complet : « Que Celui qui fait la paix dans ses hauteurs, fasse aussi régner la paix sur nous... ». Cette réponse , que l’aumônier a pu justifier en montrant un livre de prières avec traduction, a évidemment dû apaiser la curiosité et le craintes du censeur ...
Il y a des subtilités qu’un goï a sûrement du mal à comprendre !
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