Le texte qui suit a été rédigé à l'intention de Chameau (Frédéric Hammel), qui avait demandé à E. Lefschetz de lui raconter ses souvenirs de l'action des EI en zone Nord pendant la 2ème guerre mondiale, en vue de la rédaction de son ouvrage : Souviens-toi d'Amalec.
Emma pendant la guerre |
Cependant, le scoutisme étant tout fait interdit et les juifs subissant
ce que l'on sait, faire fonctionner à la barbe de l'occupant un mouvement
scout juif, fabriquer en grande série des fausses identités
pour sauver de le déportation un maximum de juifs ; je crois qu'en
transgressant constamment tous les règlements antijuifs nous avons
réellement fait de la résistance.
D'autant plus que les énormes risques courus étaient de tous
les instants et pendant des années. En fait ces risques étaient
bien plus grands que ceux de certains maquis cachés dans les forêts
ou les montagnes, en attendant l'occasion de combattre qui ne s'est pas toujours
présentée.
Avent de commencer l'exposé aussi condensé que possible de ce que je continue à appeler "résistance juive", je vais donner deux indications : la première sur l'UGIF, la seconde sur les principaux dirigeants de l'époque.
I. UGIF [Union Générale des Juifs de France]
(1) Son existence même
comme le fait d'y appartenir ont été souvent très contestées.
Il est certain que l'UGIF a été créée à
l'instigation des Allemands ; sans doute du fait de le manie germanique de
l'organisation.
Il est difficile de croire que c'était dans un but favorable au judaïsme.
Mais il est très vite apparu que pour des raisons de propagande, les
Allemands n'ont pas, dès le début agi en France avec la même
sauvage brutalité que dans l'est de l'Europe. D'autre part le nombre
des S S chargés spécialement des questions juives n'était
pas très nombreux. De même, les organisations antisémites
françaises étaient moins renseignées et plus bêtes
que l'on se l'était imaginé.
Au fur et à mesure que nous avons compris ces choses notre action s'est
organisée et amplifiée en conséquence.
Quoi qu'il en soit, en fait l'UGIF a rendu de très grands services
à la population juive, restée en zone Nord.
D'une part grâce à son service social. D'autre part par la disposition
de fonds importants et de locaux que nous avons utilisés. C'est ainsi
que certains salaires indispensables ont pu être payée ainsi
que certains frais généraux, tant pour le travail éducatif
que pour la 6ème.
Ces fonds provenaient des comptes de juifs bloqués dans les banques.
Grâce à la victoire, les titulaires de ces comptes les ont très
vite récupérés après la libération (2).
II. LES DIRIGEANTS
Fernand Musnik 1915 - 1945 totémisé "Lion logicien" |
Fernand Musnik, Georges Lewitz et moi-même avions parfaitement conscience
de l'énorme imprudence qu'il y avait à grouper des jeunes juifs
pendant l'occupation. Cependant, après longues réflexions et
discussions, nous avons décidé que le simple fait de donner
ou de conserver à des jeunes un esprit juif valait la peine de tenter
ce pari sur un avenir des plus incertain à l'époque. Nous l'avons
envisagé avec l'instinctif optimisme juif que peu de choses justifiait.
Moyennant de nombreuses précautions, le pari a été gagné
avec un minimum de pertes. Une leçon apprise pendant la guerre de 1914
m'a été très utile : accepter sans restriction tous les
risques utiles, mais éviter toute fanfaronnade et tous risques inutiles.
L'année 1941 et les débuts de 1942 ont été utilisés
à approfondir le travail scout et surtout à créer chez
chefs et cheftaines un esprit juif religieux et national plus précis
que dans les habitudes EI d'avant-guerre.
Durant cette période nous recevions des échos, pas très
précis, de mesures antijuives en préparation. Nous avons essayé
de mettre en garde tous ceux qu'il a été possible de toucher,
mais avec très peu de succès.
Malgré les mesures déjà prises : interdiction des jardins
publics et des stades, des cafés et des restaurants, commissaire aryens
dans les entreprises juives puis au début 1942, port de l'étoile
etc. etc... il régnait chez la majorité des juifs français
une impression de vie normale et de fausse sécurité.
Le 16 juillet 1942 a eu lieu la première grande rafle qui a provoqué
l'arrestation de milliers de juifs étrangers avec leurs familles. Menés
provisoirement au Vélodrome d'Hiver, ils y sont restés quelques
jours dans des conditions atroces avant d'être menés à
Drancy, puis déportés.
Au Vélodrome d'Hiver nous avons tenté de faire évader
des EI, ainsi que d'autres, mais sans succès. La garde assurée
par la police et la gendarmerie française était, en cette circonstance,
très efficace.
Quelques évasions ont, cependant en très petit nombre, été
réussies grâce à la débrouillardise aidée
d'une très grande part de chance des évadés. Nous avons
tout de même, réussi à aider efficacement quelques un
de ces évadés.
Lors de la grande rafle du Vel' d'Hiv', le groupe local Shema Israël s'installe quelques mois dans l'asile de nuit de la rue Lamarck pour y accueillir des dizaines d'enfants arrachés au Vel' d'Hiv' et à l'internement. Au centre : Freddy Menahem. |
Cette rafle et ses suites ont transformé l'esprit du mouvement, et
tout particulièrement celui des chefs et cheftaines ayant travaillé
dans les maisons d'enfants.
A l'activité classique de loisirs s'est ajouté un souci
constant de sécurité et de défense.
Par exemple des contacts à la Préfecture de Police nous renseignaient
sur les rassemblements d'autobus qui présageaient les rafles ainsi
que sur la nature des juifs visés (nationalité etc...). Ce qui
nous permit, chaque fois, de prévenir les familles que nous connaissions,
en utilisant souvent nos jeunes comme messagers.
A la même époque Simon
Levitte faisait la navette entre les deux zones, assurant de ce fait une
liaison entre les deux parties du mouvement en zone Nord et en zone Sud. C'est
à son instigation que nous avons créé la 6ème
zone Nord (6).
Tout le mouvement était, d'une certaine façon, plus ou moins
6ème. Mais sous la direction de Freddy Menahem a été
formé un groupe plus spécialement 6ème, vivant sous fausse
identité non juive (7). Les adjoints de Freddy étaient
Marc Amon et Sam Kugel.
Sam Kugel, excellent dessinateur a été très utile dans
la fabrication des faux cachets. Quant à Marc Amon, il était
d'une gentillesse et d'un dévouement à toute épreuve.
Dénoncé pour des motifs stupides, sans aucun rapport avec la
6ème, par sa logeuse, il a été arrêté et
déporté. Marc Amon n'est jamais revenu.
La 6ème zone Nord a créé environ 1200 fausses identités
complètes sans compter les identités partielles, en partie grâce
à des employés de mairies de banlieue, sympathisants qui ont
fourni cartes et tickets d'alimentation en quantité.
De nombreuses cachettes ont été trouvées, pensions de
familles, hôtels, logements meublés, collèges, lycée,
etc...
Dans tous les cas les enfants et les jeunes ont été placés
de telle manière que des visites fréquentes ont pu leur être
faites. Ceci pour les empêcher d'oublier leur appartenance au peuple
juif.
Les maisons d'enfants ont été presqu'entièrement vidées,
souvent avec la collaboration des assistantes sociales de l'UGIF, parmi lesquelles
il faut citer Rachel Lifschitz, ancienne EI qui a montré dans ce domaine
une activité qui n'a eu d'égal que son courage.
Malheureusement ce vidage des maisons d'enfants n'a pu se faire que progressivement
cas par cas. C'est ce qui a permis aux Allemands d'arrêter et de déporter
ce qui en restait à la fin 1944.
Après le débarquement américain en Afrique du Nord et
les succès soviétiques, la certitude de la victoire allemande
a fait place à la certitude du contraire
Notre travail, s'il est resté semblable en apparence, a commencé
à envisager surtout la préparation de l'avenir, malgré
l'accentuation des arrestations.
L'action de la 6ème est devenue de plus en plus efficace, importante
et dangereuse, étant donné l'action de plus en plus intense
de la Gestapo, qui a suivi l'attentat contre Hitler
Mais nous n'avons rien préparé en vue d'une résistance
armée. Ceci du fait du manque de contact avec la résistance
en général, et aussi parce que nous étions trop absorbés
et tendus au maximum par nos tâches quotidiennes qui ne nous laissaient
aucun loisir.
En fait de résistance armée il n'y en a eu à Paris qu'au
moment de la libération et dans les quelques semaines précédentes.
Dans la période précédant la libération, la 6ème a été très menacée et forcés de se disperser. Il y a eu des arrestations, parmi lesquelles Eddy Florentin. Déporté dans le dernier train ayant quitté Drancy, il a réussi à s'en évader avec quelque autres ; tous ont regagné Paris, plus ou moins rapidement.
Certains chefs et même certaines cheftaines se sont engagés
dame des mouvements armés. On peut même citer l'héroïsme
comme infirmière de Bambi [Esther Papierman, devenue plus tard l'épouse
de Manitou]. Quelques-uns
ont suivi les F.T.P. (Francs Tireurs et Partisans). Ceux-ci nous ont même
fait des offres de collaboration ou de fusion, mais Simon Levitte et moi avens
écarté ces offres pour éviter de marquer le mouvement
du côté communiste.
D'autre part mon expérience des horreurs de la guerre de 1914 ne m'incitait
pas à pousser les jeunes vers le combat armé Je trouvais amplement
suffisant pour eux les risques courus du fait de la 6ème et de la simple
existence du mouvement
Emma au mariage de son petit-fils Fabrice, en compagnie de Rosa, sa seconde épouse - 17 mars 1979 |
Avec le recul du temps, la question que je peux me poser c'est : ce dur travail, ces souffrances, les risques courus valaient-ils la peine ?
De n'avoir pas subi le même sort que Fernand Musnik et que Georges
Lewitz et sa femme m'apparaît comme une chance énorme qui frise
le miracle.
Ai-je mérité cette chance ? Personne sauf le Très Haut
ne peut en juger.
Il y a quelques jours a eu lieu le mariage de l'aîné des
fils de [ma fille] Denise. A cette occasion j'ai revu presque tous mes anciens
chefs et cheftaines.
L'accueil qu'ils m'ont fait et la constatation de la grande valeur
humaine de ces femmes et de ces hommes que j'ai un peu contribué à
former sont déjà pour moi une récompense suffisante
Mais ceci n'est qu'un point de vue personnel dont il ne faut pas se satisfaire.
Castor (à gauche) et Emmanuel Lefschetz (à dr.) à Grenoble en 1944 lors d'une cérémonie avec d'autres membres de la résistance française - © Yad Vashem | Qu'est ce qui a été utilement et concrètement fait pour la communauté, pour le judaïsme ?
Enfin et pour conclure, une critique doit être formulée : c'est le défaut presque total de l'aliyah (8). Cependant, étrangement, cette aliyah se fait maintenant à la deuxième génération. Nombreux sont les enfants de mes anciens chefs et cheftaines aui sont maintenant installés en Israël, dont parmi eux Barbara, la fille aînée de Denise. |
Notes :
Les notes sont de la Rédaction du site.
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