UN AN APRES LE CONCILE
Lazare LANDAU
Extrait de l'Almanach du KKL 1966


De g. à dr. : Lazare Landau, Mgr. Elchinger et le
G.R. Warschawski
- © M. Rothé
Les Juifs d'Alsace, dans leurs relations avec les Chrétiens, se laissent guider par des souvenirs d'un passé très divers. Ils se soucient surtout de vivre en paix avec leurs compatriotes, sans porter beaucoup d'intérêt aux problèmes internes des confessions chrétiennes.

Le Concile Vatican II a rompu cet isolement volontaire. Durant plusieurs années, les vicissitudes du Concile n'ont pas trouvé d'observateurs plus attentifs que les Juifs. Pourquoi ? Pour la première fois, un Concile de l'Eglise catholique se disposait à parler des Juifs dans un esprit qui ne fût pas hostile, bien au contraire.

Un voyage très remarqué de l'historien Jules Isaac, plusieurs initiatives très bienveillantes de Jean XXIII et du Cardinal Béa avaient préparé cette évolution. Une déclaration collective des évêques allemands avait rendu sensible une atmosphère nouvelle, faite de regrets pour un passé atroce et de bonne volonté pour l'avenir.

Au terme de discussions passionnées, ponctuées de quelques coups de théâtre, le bilan du Concile, décevant cruellement les Juifs, avait ébranlé le crédit qu'ils accordaient à l'Eglise au visage nouveau. Que s'était-il passé ?

Un projet de déclaration sur les Juifs, très favorable, voté à une très forte majorité le 20 novembre 1964, avait subi, à la requête du Pape Paul VI, de profonds remaniements (1), dans un sens qui, atténuant considérablement sa portée, lui donnait même, par endroits, une coloration antisémite.
Alors que le texte primitif, oeuvre du Cardinal Béa, insistait sur une parenté originelle entre Juifs et Chrétiens, le texte définitif, conforme à la volonté pontificale, restreignait la portée de ce passage à une parenté spirituelle bien vague.

Alors que le texte primitif avait émis le voeu très louable d'une réconciliation entre Chrétiens et Juifs, le texte définitif subordonnait cette réconciliation à la conversion des Juifs, puisqu'il souhaitait le retour à l'harmonie par une réunion de tous dans I'Eglise.


Armoiries de Jean XXIII




Armoiries de Paul VI

Sur la personne même de Jésus et sur sa mort, des différences très sensibles séparaient les deux textes. Grâce à une addition et une omission, le texte définitif laissait entrevoir une orientation nettement anti-juive, opposée aux intentions du Cardinal Béa et de Jean XXIII, mort trop tôt pour achever son oeuvre. Le passage ajouté insistait - sans raison - sur l'hostilité foncière "des Juifs" et de "leurs chefs" vis-à-vis de Jésus. Le passage supprimé contenait le mot "déicide". Ce mot : "assassin de D." a suscité durant des siècles des passions meurtrières.
La mention de "déicide" figurait dans le texte primitif, précisément pour indiquer aux prêtres que son usage était désormais interdit. Dans la version définitive, cette interdiction a disparu : par cette suppression il semble que l'Eglise catholique tolère toujours chez ses clercs le recours à une accusation effrayante qui a fait couler des flots de sang dans le passé.
Enfin, alors que, pour la première fois, le texte primitif condamnait l'antisémitisme, le texte remanié, se contentant de le déplorer, ouvrait la porte à bien des entreprises de haine.

Ces vicissitudes de la Déclaration, orientée dans un sens de plus en plus hostile, opposé à l'esprit de ses initiateurs, ont été douloureusement ressenties par la population juive qui voyait dans ce texte la charte de relations plus humaines avec les catholiques de notre province.

C'est ici le lieu de souligner ce que nos relations comportent d'original par rapport à d'autres régions.

Le passé des juifs en Alsace a été marqué longtemps par de terribles persécutions qui se sont prolongées jusqu'à l'aube du 19ème siècle. Même après l'émancipation des Juifs par la Révolution, un antisémitisme, discret mais virulent, est resté de mise dans de larges cercles catholiques d'Alsace. De ce sentiment, l'Abbé Cetty, pour ne citer qu'un exemple, s'était fait l'organe à la fin du 19ème siècle.

Cet antisémitisme a connu un regain de vitalité durant la décade 1930-1940. Le mouvement autonomiste qui comptait quelques prêtres parmi ses animateurs, prônait la haine des Juifs en même temps que l'autonomie politique, prélude du rattachement à l'Allemagne nazie.

L'occupation nazie de 1940 à 1944 amena un revirement complet dans l'attitude de la majeure partie du clergé alsacien. La présence des nazis, le régime de terreur qu'ils imposèrent, les atrocités qu'ils commirent, ouvrirent les yeux, même à ceux qui, jusqu'alors, ne voulaient pas voir.
En Alsace, des prêtres catholiques nombreux encouragèrent la Résistance contre l'oppression et payèrent de leur personne dans la lutte. Dans les régions intérieures de la France, où s'étaient réfugiés les Juifs d'Alsace, des relations amicales se nouèrent souvent entre Juifs et prêtres réfugiés, vivant les uns et les autres dans l'attente d'une libération. Dans de nombreux cas des prêtres contribuèrent à cacher des Juifs recherchés par la Gestapo.

La Libération renforça les liens créés pendant les années de clandestinité. Dans la majorité des cas, le clergé accueillit avec bienveillance en Alsace les Juifs survivant au massacre.
Le jeune clergé, sous l'impulsion de Mgr Weber et de l'Abbé Elchinger, s'ouvrit progressivement aux idées nouvelles qui préconisaient une attitude amicale vis-à-vis des Juifs. A Périgueux, au cours des années d'occupation, Mgr Ruch, l'évêque de Strasbourg qui avait préféré l'exil à la complaisance envers Hitler, avait prêché l'exemple, cependant que l'Abbé Elchinger établissait de faux papiers aux Juifs en détresse. Mgr Weber, spécialiste érudit de la Bible juive, se situa dans la même ligne lorsqu'il prit la succession de Mgr Ruch.

Ce climat nouveau devait trouver sa consécration au Concile Vatican H. Mgr Weber et Mgr Elchinger, nommé dans l'intervalle son coadjuteur, se prononcèrent en toute circonstance pour une solution bienveillante de la question juive traitée à plusieurs reprises devant le Concile. Tous les orateurs se limitaient dans leurs interventions, aux Juifs de l'Antiquité. Seul parmi tous, Mgr Elchinger parla au Concile des Juifs d'aujourd'hui, soulignant quel profit les Chrétiens pourraient tirer de la fréquentation d'une catégorie d'hommes qui sont restés les dépositaires authentiques de l'antique message biblique.

On sait que cette tendance libérale ne fut pas celle qui, en dernière analyse, l'emporta. Il n'en demeure pas moins que le texte sur les Juifs, voté finalement par le Concile, peut représenter un point de départ très appréciable pour quiconque souhaite de son propre chef témoigner sa sympathie aux Juifs, prêts à le payer de retour.

Quoiqu'il existe encore dans le clergé - surtout dans l'ancienne génération - des représentants de la tendance hostile aux Juifs - on nous a parlé d'un cas précis dans un faubourg de Strasbourg - elle perd de plus en plus son influence. A condition que prêtres et évêques le veuillent fermement, il est possible aujourd'hui d'instituer, dans le respect absolu des croyances de chacun, des relations normales, humaines, entre Juifs et Catholiques d'Alsace. Ce ne serait pas la moindre révolution de notre époque de les voir s'affermir.

  1. Le 25 janvier 1959, Jean XXIII convoqua le deuxième concile du Vatican, vecteur d'une importante modernisation de l'Église catholique. Il engagea également la réforme du Code de droit canonique, datant de 1917. La préparation du concile fut confiée à la Secrétairerie d'État. Le 11 octobre 1962, le concile fut ouvert. Jean XXIII y prononça un très important discours, rédigé personnellement pour sa plus grande partie dans lequel il disait :
    "Ce qui est très important pour le Concile œcuménique, c'est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d'une façon plus efficace."
    En septembre 1962, un cancer fut diagnostiqué. Jean XXIII s'efforça de permettre au concile de continuer son travail. Le 11 avril 1963, il promulgua l'encyclique Pacem in terris, adressée à tous les hommes de bonne volonté, condamnant la notion de "guerre juste". Il mourut le 3 juin 1963, jour de la fête de la Pentecôte.
    Paulus (Paul) VI fut élu pape le 21 juin 1963. Le 22 juin, il déclara aux cardinaux rassemblés dans la chapelle Sixtine : "La partie la plus importante de notre pontificat sera occupée par la continuation du deuxième concile œcuménique du Vatican, vers lequel sont tournés les yeux de tous les hommes de bonne volonté." (N.d.l.R.)    Retour au texte


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