Paul HAGUENAUER
Grand Rabbin de Nancy
1871-1944
par Albert Manuel
Extrait du MEMORIAL en souvenir de nos Rabbins et Ministres officiants victimes de la barbarie nazie,
édité par le Consistoire central des Israélites de France et d'Algérie (1946)


haguenauerPaul Haguenauer, né à Bergheim (Haut-Rhin) (1871), apartenait à cette génération de jeunes gens originaires de l'Alsace et de la Lorraine élevés dans l'amour de la Patrie française comme du judaïsme, qui se refusèrent à servir l'Allemagne, et vinrent contracter un engagement dans l'armée française. Ce sacrifice contraignit Haguenauer, comme ses contemporains, à demeurer séparés de leur famille pendant de nombreuses années, sous peine de s'exposer, ainsi que leurs parents, à des représailles de la part des autorités allemandes.

Rabbin à Remiremont, en 1898, il prit possession de son premier poste en pleine affaire Dreyfus. L'agitation violente qui déchirait les familles et le pays était particulièrement grave dans la région de l'Est. Paul Haguenauer eut maille à partir avec les journaux d'opposition. notamment l'Action Française. qui, plus d'une fois, le dénonça comme "mauvais patriote".

Nommé grand rabbin de Constantine en 1901, il arriva dans cette communauté dans des conditions, encore une fois, des plus difficiles : en pleine effervescence antisémite. Des émeutes fréquentes agitaient la région ; il se jeta dans la mêlée, défendant ses fidèles avec un zèle infatigable : le Gouvernement de la République le récompensa de ses interventions courageuses en lui décernant la Médaille d'argent du Courage. Le Bey de Tunis lui accorda la Croix du Nicham-Iftikar.

Grand rabbin de Besançon en 1907, il se concilia, par ses brillantes et profondes qualités, l'affection de toute sa communauté, qu'il dut quitter le 2 août 1914, comme aumônier militaire. Dans ces fonctions, il gagna rapidement, par sa vaillance et par sa haute dignité, l'estime de tous ceux qui l'entouraient. Se dépensant sans compter, il prodigua à tous les militaires israélites du Corps d'armée auquel il était attaché ses secours matériels et moraux, n'hésitant jamais à se rendre dans les premières lignes et aux points les plus exposés pour leur rendre de fréquentes visites. Chevalier de la Légion d'Honneur, à titre militaire ; titulaire de la Croix de Guerre.

Grand rabbin de Nancy, en septembre 1919, il s'y imposa immédiatement, donnant un essor chaque jour plus grand à toutes les institutions cultuelles et sociales de la communauté. Il conquit une popularité qui s'étendit auprès des autorités civiles et militaires, aussi bien que de toutes les communautés et oeuvres israélites et de toutes les populations nancéennes. Promu officier de la Légion d'Honneur dès 1932, juste récompense d'un dévouement absolu et d'un esprit de sacrifice admiré de tous.

Toujours d'une chaleur communicative, son dynamisme le poussa à apporter son concours à toutes les cérémonies. commémoratives, patriotiques, et, notamment, y participant avec éclat, à l'inauguration du monument d'Abraham Bloch, tué à Teintrux, et à celle du monument israélite de Douaumont. Malgré ses multiples occupations, Paul Haguenauer a eu une activité scientifique et littéraire importante, et l'Annuaire des Archives Israélites a publié de lui de nombreuses notices. Il fonda, à Nancy, la Revue de Lorraine, Bulletin des Communautés de l'Est, dont il était l'animateur infatigable.

Quand se déclencha la grande guerre de 1939, il n'hésita pas un seul instant à demeurer fidèle à son poste. Ni les conseils des pouvoirs publics, ni les exhortations affectueuses de ses amis, ne purent ébranler ce qu'il considérait comme un impérieux devoir l'obligation de rester à Nancy auprès de ses coreligionnaires si tragiquement éprouvés, dont il avait la garde, conquérant ainsi le respect et l'admiration de tous ceux qui le virent à l'oeuvre. Le Consistoire central tint à lui adresser, en juillet 1942, un témoignage par lequel il rendait un hommage solennel à son ardent patriotisme et à sa haute conscience.

Son courage, son sentiment du devoir, qui lui faisaient mépriser les précautions de la plus élémentaire prudence, le retinrent jusqu'au bout auprès de ses fidèles, comme le pasteur qui se refuse à abandonner son troupeau. Arrêté par la Gestapo, le 3 mars 1944, avec Mme Haguenauer ; détenu à Ecrouves, puis à Drancy, il partit pour Auschwitz le 13 avril, avec 700 de ses ouailles, parents et amis. Le témoignage d'un de ses compagnons, qui a eu le bonheur de revenir, nous a fait connaître avec quelle force d'âme il marcha à la mort certaine qui l'attendait.

Ce dut être pour son tempérament d'apôtre un coup terrible de voir ainsi massacrer ceux auxquels il avait consacré toute son existence, et ses dernières pensées durent aller à ceux qu'il abandonnait pour toujours, à la belle communauté dont il illustra les fastes, et qui gardera de son chef spirituel un souvenir inoubliable. L'émouvante cérémonie du 26 mai 1946, célébrée dans la synagogue de Nancy à la mémoire dés victimes de la barbarie allemande dans la Meurthe-et-Moselle, en présence de toutes les autorités civiles et religieuses de la région, restera un témoignage magnifique du respect, de la popularité qui l'entouraient. Tous garderont pieusement la mémoire de ce pasteur, de cette grande figure du Rabbinat français, martyr de sa foi, dont la piété, l'esprit de tolérance, la charité, resteront un enseignement pour ses jeunes collègues et pour les générations futures.


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