Paul Haguenauer, né à
Bergheim (Haut-Rhin) (1871), apartenait à cette génération
de jeunes gens originaires de l'Alsace et de la Lorraine élevés
dans l'amour de la Patrie française comme du judaïsme, qui se refusèrent
à servir l'Allemagne, et vinrent contracter un engagement dans l'armée
française. Ce sacrifice contraignit Haguenauer, comme ses contemporains,
à demeurer séparés de leur famille pendant de nombreuses
années, sous peine de s'exposer, ainsi que leurs parents, à des
représailles de la part des autorités allemandes.
Rabbin à Remiremont, en 1898, il prit possession de son premier poste
en pleine affaire
Dreyfus. L'agitation violente qui déchirait les familles et le pays
était particulièrement grave dans la région de l'Est. Paul
Haguenauer eut maille à partir avec les journaux d'opposition. notamment
l'Action Française. qui, plus d'une fois, le dénonça
comme "mauvais patriote".
Nommé grand rabbin de Constantine en 1901, il arriva dans cette communauté
dans des conditions, encore une fois, des plus difficiles : en pleine effervescence
antisémite. Des émeutes fréquentes agitaient la région
; il se jeta dans la mêlée, défendant ses fidèles
avec un zèle infatigable : le Gouvernement de la République le
récompensa de ses interventions courageuses en lui décernant la
Médaille d'argent du Courage. Le Bey de Tunis lui accorda la Croix du
Nicham-Iftikar.
Grand rabbin de Besançon en 1907, il se concilia, par ses brillantes
et profondes qualités, l'affection de toute sa communauté, qu'il
dut quitter le 2 août 1914, comme aumônier militaire. Dans ces fonctions,
il gagna rapidement, par sa vaillance et par sa haute dignité, l'estime
de tous ceux qui l'entouraient. Se dépensant sans compter, il prodigua
à tous les militaires israélites du Corps d'armée auquel
il était attaché ses secours matériels et moraux, n'hésitant
jamais à se rendre dans les premières lignes et aux points les
plus exposés pour leur rendre de fréquentes visites. Chevalier
de la Légion d'Honneur, à titre militaire ; titulaire de la Croix
de Guerre.
Grand rabbin de Nancy, en septembre 1919, il s'y imposa immédiatement,
donnant un essor chaque jour plus grand à toutes les institutions cultuelles
et sociales de la communauté. Il conquit une popularité qui s'étendit
auprès des autorités civiles et militaires, aussi bien que de
toutes les communautés et oeuvres israélites et de toutes les
populations nancéennes. Promu officier de la Légion d'Honneur
dès 1932, juste récompense d'un dévouement absolu et d'un
esprit de sacrifice admiré de tous.
Toujours d'une chaleur communicative, son dynamisme le poussa à apporter
son concours à toutes les cérémonies. commémoratives,
patriotiques, et, notamment, y participant avec éclat, à l'inauguration
du monument d'Abraham Bloch,
tué à Teintrux, et à celle du monument israélite
de Douaumont. Malgré ses multiples occupations, Paul Haguenauer a eu
une activité scientifique et littéraire importante, et l'Annuaire
des Archives Israélites a publié de lui de nombreuses notices.
Il fonda, à Nancy, la Revue de Lorraine, Bulletin des Communautés
de l'Est, dont il était l'animateur infatigable.
Quand se déclencha la grande guerre de 1939, il n'hésita pas un
seul instant à demeurer fidèle à son poste. Ni les conseils
des pouvoirs publics, ni les exhortations affectueuses de ses amis, ne purent
ébranler ce qu'il considérait comme un impérieux devoir
l'obligation de rester à Nancy auprès de ses coreligionnaires
si tragiquement éprouvés, dont il avait la garde, conquérant
ainsi le respect et l'admiration de tous ceux qui le virent à l'oeuvre.
Le Consistoire central tint à lui adresser, en juillet 1942, un témoignage
par lequel il rendait un hommage solennel à son ardent patriotisme et
à sa haute conscience.
Son courage, son sentiment du devoir, qui lui faisaient mépriser les
précautions de la plus élémentaire prudence, le retinrent
jusqu'au bout auprès de ses fidèles, comme le pasteur qui se refuse
à abandonner son troupeau. Arrêté par la Gestapo, le 3 mars
1944, avec Mme Haguenauer ; détenu à Ecrouves, puis à Drancy,
il partit pour Auschwitz le 13 avril, avec 700 de ses ouailles, parents et amis.
Le témoignage d'un de ses compagnons, qui a eu le bonheur de revenir,
nous a fait connaître avec quelle force d'âme il marcha à
la mort certaine qui l'attendait.
Ce dut être pour son tempérament d'apôtre un coup terrible
de voir ainsi massacrer ceux auxquels il avait consacré toute son existence,
et ses dernières pensées durent aller à ceux qu'il abandonnait
pour toujours, à la belle communauté dont il illustra les fastes,
et qui gardera de son chef spirituel un souvenir inoubliable. L'émouvante
cérémonie du 26 mai 1946, célébrée dans la
synagogue de Nancy à la mémoire dés victimes de la barbarie
allemande dans la Meurthe-et-Moselle, en présence de toutes les autorités
civiles et religieuses de la région, restera un témoignage magnifique
du respect, de la popularité qui l'entouraient. Tous garderont pieusement
la mémoire de ce pasteur, de cette grande figure du Rabbinat français,
martyr de sa foi, dont la piété, l'esprit de tolérance,
la charité, resteront un enseignement pour ses jeunes collègues
et pour les générations futures.