Les communautés juives d' Alsace ont, du 18ème au 20ème
siècles et peut-être même depuis des temps plus anciens,
cultivé une particularité : la présence massive de 'hazanim
ou chantres en leur sein. Le recensement de 1786 est articulièrement
éclairant à ce sujet: presque toutes les lieux évoqués
signalent la présence d'un 'hazan - souvent maître d'école,
parfois sho'heth (boucher rituel) et/ou mohel (circonciseur)
et dans certains cas exerçant également la profession de sopher
(scribe). Le 'hazan est donc, souvent du point de vue religieux,
un personnage incontournable. Les rabbins sont rares et le chantre reste l'interlocuteur
privilégié des fidèles.
Mais la présence des 'hazan im ne date pas du 18ème siècle, cette fonction existait déjà depuis longtemps. Interrogé au moyen âge par une communauté démunie qui ne peut engager à la fois un rabbin et un chantre, Rabbi Ascher ben Ye'hiel (1250?- 1327), plus connu sous l'anagramme de Rosch, répond que le rabbin a priorité s'il est un "gadol ba-tora" - un sage réputé et capable de statuer en matière de jurisprudence religieuse -, alors que si tel n'est pas le cas, c'est un 'hazan qu'il faut choisir.
On voit bien au travers de la question posée que la communauté considère à l'époque déjà la présence d'un 'hazan comme importante et les services rendus par le rabbin et le chantre, bien que d'ordre différent, comme comparables et c'est bien pourquoi elle se sent obligée de recourir à une autorité pour trancher la question.
Un peu plus tard, Rabbi Moché Capsali (?- 1495), rabbin à Constantinople, relève encore cette particularité inconnue dans le monde sépharade, peut-être parce que la prière publique s'est toujours faite d'une manière plus collective. Laissons la parole à Rabbi Moché : "Lorsque j'étais en Aschkenaze (Allemagne) et dans la région, dit-il, j'ai vu une chose étonnante à mes yeux: on recherchait des hommes sages à la conduite particulièrement irréprochable pour assurer les fonctions de 'hazan ou de responsable de synagogue; ces 'hazanim étaient parfois même des rabbins renommés et des véritables savants". (Revue Sinaï n° 5, 1939-49, pp. 152-153).
La fonction du 'hazan possède, depuis donc ses lettres de noblesses depuis les temps les plus reculés en pays aschkenaze et il n'est pas étonnant de voir, dans un tel contexte, plusieurs générations de 'hazanim servir les communautés durant des décennies. Nous en voulons pour preuve, par exemple, ce Moïse Samuel, 'hazan à Sierentz (Haut-Rhin) en 1797 dont le fils Judel Stern, après changement de nom sous l'Empire, est ministre officiant à Colmar autour de 1862. Moïse Stern, le fils de Judel, sera successivement d'abord compositeur, fondateur et directeur du conservatoire de Colmar et terminera sa carrière à Paris comme chef de choeur de la synagogue sise rue Notre-Dame de Nazareth.
Mais nous voudrions évoquer ici le souvenir d'une autre lignée
de 'hazanim d'Alsace-Lorraine.
Léon Blum est né en 1895 à Lixheim au foyer de Jacques
Blum (1853-1930) lui-même chantre de cette communauté lorraine
et de son épouse Delphine Rozenwald. Après son apprentissage
comme cordonnier à l'école de travail de Strasbourg - ancêtre
de l'O.R.T -, Léon Blum épouse Marthe Schuhl qui hérite
de son père Nephtalie (1833-1904), vétéran de Solferino,
un magasin de chaussures à Benfeld. Dans les années 20, il fait
ses premières armes dans la 'hazanouth comme Baal Tephila - officiant
volontaire - à Westhouse, petit village proche de Benfeld, localité
dont la synagogue inaugurée en 1858 sera détruite pendant la
seconde guerre mondiale. Westhouse possédait également une petite
école juive qui ferma en 1896. Pendant cette période Léon
Blum remplace occasionnellement Alexandre Weill (1886-1944) alors 'hazan en
titre de la communauté voisine de Benfeld.
De retour en Alsace, Léon Blum est nommé le 1er octobre 1945 'hazan de Benfeld. Il y déploiera jusqu'en 1974 une intense activité
d'abord durant le ministère du rabbin Edmond Weill (1878-1962) puis,
à partir des années soixante, aux côtés du rabbin
Raymond Furth (1934-2003).
Comme le rappelle un témoin de l'époque, Léon Blum fait
preuve d'un grand "dévouement à notre jeunesse ; en effet
combien de jeunes ont eu le privilège d'apprendre leur parche sous
sa direction" tout en dispensant aux jeunes l'enseignement religieux
nécessaire.
Pendant plus de trente années Léon Blum fit retentir le niguen - les airs traditionnels de la 'hazanouth - particulier aux juifs d'Alsace sous les voûtes de la belle synagogue de Benfeld et représente par ailleurs les membres de la communauté juive aux diverses cérémonies patriotiques tout en entretenant d'excellents rapports avec les édiles de la commune.
Il était important de rappeler le souvenir d'un membre de cette éminente cohorte qui, au fil des siècles, permit aux juifs d'Alsace de perdurer malgré les épreuves.
P.S. J'adresse de très chaleureux remerciements au Docteur Henry Blum, le fils du 'hazen Léon Blum qui m'a donné accès à de nombreux documents concernant les juifs d'Alsace et mis à notre disposition les photos publiées.