Pour la tradition juive telle que nous la trouvons déposée dans
la littérature talmudique et midrachique, la communauté juive
existe depuis les temps les plus anciens. De même que les peintres, au
moyen-âge, et jusqu'au seuil des temps modernes, représentent les
personnages de l'antiquité et des siècles passés dans les
costumes et les ambiances de leur propre temps, les talmudistes et les rabbins
du Midrach, pendant de longs siècles, placent les récits bibliques
dans un cadre qui est celui de leur époque.
Les mots kahal (assemblée) et edoh
(communauté) qui se trouvent déjà dans le Pentateuque sont
employés par eux dans le sens et avec la signification que leur donnent
leurs contemporains.
Les communautés juives ainsi formées et placées sous la protection et la nomination des rois ou des seigneurs séculiers ou ecclésiastiques, étaient, pour leurs affaires internes, tout à fait autonomes. Leur développement va de pair avec celui de la localité en question. Les statuts (teqânôth) des différentes communautés en marquent les étapes. Isidore Loeb a publié dans le premier Annuaire de la Société des Etudes Juives (1881) ceux des Juifs d'Avignon, où nous pouvons suivre la marche historique du développement d'une communauté à travers les siècles. Elie Scheid a fait la même chose pour Haguenau dans son Histoire des Juifs de cette ville (1895). Mais ce ne sont là que des exemples, et cette marche diffère de ville en ville selon les conditions locales. Il est donc impossible de faire une histoire valable pour tous.
La communauté représentait ses juifs vis-à-vis du souverain
du territoire où ils avaient le droit d'habiter (hezgath hayyichouv).
Leurs présidents (rochè-haqahal) étaient
leurs porte-paroles auprès de leurs souverains et s'appelaient alors
chetadlânim. L'un des plus célèbres est
R. Yosselmann de Rotsheim.
En règle générale, chaque communauté possédait
comme institutions une synagogue, une école, un cimetière (très
souvent en commun avec d'autres communautés), un refuge pour les vieillards,
et les malades pauvres (heqdeche) un bain rituel (miqweh),
une boulangerie (pour les Matsoth) à Paris, un moulin,
une fontaine, parfois une salle de danse, et même une prison.
La séparation sociale des juifs avait pour conséquence de
leur octroyer leur propre juridiction. Eux-mêmes aussi bien que leurs
protecteurs le désiraient. Car ces derniers voyaient dans la collectivité
la responsable de la rentrée des impôts individuels. Comme pendant
la période talmudique, et également au moyen-âge, la communauté
organisait son assistance publique et ses écoles primaires et supérieures.
Ainsi elle était l'instance qui accompagnait la vie individuelle et
collective du berceau à la tombe pour les besoins religieux, sociaux
et culturels de ses membres.
Elle remplaçait le magistrat pour assurer l'ordre dans le quartier
juif, et parfois aussi l'intendance des bâtiments. En France, l'administration
de la communauté s'appelait souvent "villa" et son président
"prévôt".
Les communautés du nord de la France élirent tous les dix
ans, celles du sud tous les six ans, une commission d'édition et de
révision des statuts. Cette commission gérait les finances,
imposait les contributions, nommait les fonctionnaires et les juges. Son président
(à Narbonne, on le nommait Rey des Juifs) était muni de pouvoirs
spéciaux et avait son cachet officiel.
Comme nous l'avons déjà vu pour les cimetières, une certaine
organisation des communautés entre elles se dessine déjà
pendant cette période. Les différentes seigneuries accordaient
à toutes les communautés un seul terrain comme cimetière.
(Par ce fait, on peut expliquer pourquoi certaines communautés éloignées
enterrent dans un certain endroit, tandis que d'autres plus proches vont ailleurs.
Wolfisheim
ressort de Westhoffen,
Schaeffolsheim de Rosenwiller, Odratzheim
de Romanswiller).
On connaît dans cette période des rabbins administrant des districts
à côté des rabbins communaux. Dans le même ordre
d'idées, une assemblée de rabbins et notables de toute l'Alsace,
tenue le 28 mai 1777 à Niedernay "pour s'occuper des affaires
de la Nation (medinah) et faire des statuts (teqânoth)
et règlements et vérifier les comptes de la Nation" mérite
d'être mentionnée. De telles associations de communautés
existent en Espagne, Portugal, Moravie, et surtout en Pologne, avec son "synode
des quatre pays".
Lorsqu'en 1790 toutes les collectivités et corporations civiles et religieuses
furent dissoutes en France et que le 27 septembre 1791, les juifs eurent le
droit de cité, l'organisation des communautés, plus que millénaire,
menaça de sombrer. Le désordre régnait partout. C'est
Napoléon qui intervint. Par décrets du 10 décembre
1806 et 17 mars 1808, il créa l'organisation consistoriale pour notre
culte. Ses frais étaient mis à la charge des communautés.
En 1831 seulement, l'Etat assura ,également un traitement aux ministres
du culte israélite.
Modifiés par diverses ordonnances, les décrets de 1808 furent
remaniés et devinrent la célèbre ordonnance du 25 mai
1844 qui organisa d'une manière sérieuse le culte israélite
en France. Bien que modifiée par divers décrets, elle est demeurée
l'ordonnance fondamentale du culte jusqu'àur indépendance.
C'est le Consistoire qui nomme un administrateur ou une commission administrative,
qui nomme les rabbins et les ministres-officiants. Les circonscriptions consistoriales
sont soumises au Consistoire Central de Paris. On le voit bien, c'est la centralisation
dans l'esprit napoléonien.
Cet état de choses est celui qui existe encore aujourd'hui dans les
deux départements alsaciens et celui de la Moselle, qui étaient
en 1905 sous la domination allemande, et dont le régime cultuel a été
maintenu, lorsqu'en 1918 nos provinces revinrent à la mère-patrie.
Le Consistoire central y est remplacé, depuis 1870, par la préfecture
et le directeur des Cultes.
Dans les autres départements, la Séparation en 1905 créa
une situation très précaire. Il y avait encore des Juifs en
France, mais il n'y avait plus de judaïsme français. Il n'y avait
plus en effet, ni Consistoire central, ni grand-rabbin, ni circonscriptions
consistoriales. Tout ce qui demeurait, c'étaient les communautés,
indépendantes les unes des autres, sans lien entre elles, sans organes
communs, et échappant, désormais, à une direction commune.
Une nouvelle organisation s'imposa. C'est celle qui régit aujourd'hui
le culte israélite en France. Elle était calquée sur
celle qui la précédait, modifiée par le fait que l'Etat
avait retiré son autorité, et surtout son secours financier.
Les associations cultuelles y remplacent les anciennes circonscriptions consistoriales
; le Consistoire central, qui est maintenant indépendant de l'Etat,
est le sommet de cet édifice.
Cette organisation a, comme par miracle, survécu à la grande
tourmente, de nouvelles tâches l'attendent. Le judaïsme français,
comme tout le judaïsme européen, a été secoué
d'une manière inouïe. La communauté reste le noyau duquel
sortira la nouvelle vie.
Que puisse s'accomplir en elle la parole du prophète : "Tout comme
le térébinthe et le chêne, lorsqu'on les abat, conservent
leur souche, la race sainte reste le noyau duquel
sortira la nouvelle vie.
Que puisse s'accomplir en elle la parole du prophète : "Tout comme
le térébinthe et le chêne, lorsqu'on les abat, conservent
leur souche, la race sainte verra renaître sa racine".