Timbre émis à l'effigie de Jacob Kaplan le mardi 15 novembre 2005. Format vertical 26 × 40 mm, dessiné et gravé par Claude Jumelet |
La vocation de Jacob Kaplan au rabbinat fut précoce. Il ne la concevait pas comme un repli sur sa seule communauté, mais aussi comme un service à rendre à toute la société française : "J'avais, dit il, l'intention de consacrer une partie de mon sacerdoce rabbinique à faire rendre justice au judaïsme par mes coreligionnaires et par les non juifs" (1). Le mot justice est ici à prendre au sens biblique et va au-delà du suum cuique romain, parce qu'elle est un attribut de Dieu, qu'elle signifie la conformité de la conduite de l'homme à son dessein et enveloppe par conséquent la notion de vérité. Il entra donc en 1908 au séminaire, fondé à Metz en 1829, et qui avait été transféré rue Vauquelin à Paris. Il suivit les cours préparatoires, dit de Talmud-Thora, puis les cours du séminaire proprement dit. La partie profane de cet enseignement devait être de bonne qualité, puisque les écrits de Jacob Kaplan sont dans un français pur, un style ferme, apte à exprimer exactement une pensée toujours claire, fortifiée par le goût de la philosophie. Il n'obtint son diplôme rabbinique qu'en 1921, et sans avoir tout à fait terminé sa scolarité, parce que, le 3 août 1914, un événement s'était produit qui jetait Jacob Kaplan dans une aventure partagée par tous les Français et par la plupart des Européens.
Jacob Kaplan partit donc comme les autres, comme simple soldat, fit toute la guerre dans le 411ème d'infanterie, connut la Champagne, connut Verdun, fut blessé, fut décoré. "J'ai retenu, écrit-il, l'inoubliable souvenir de la fraternité du front (...) au cours de laquelle la souffrance, la patience, le sacrifice, l'héroïsme étaient le pain quotidien de chacun de nous, au cours de laquelle aussi nous nous sommes vraiment éprouvés les uns les autres. La différence d'opinions, de croyances, ne comptait pas" (2). En 1915, le Grand Rabbin de France, Alfred Lévy, lui proposa une affectation à bord d'un navire hôpital en tant qu'aumônier militaire. C'eût été la fin des dangers. Mais, dit encore Jacob Kaplan avec sa sobriété coutumière, "je sentais profondément que, parce que juif, je devais rester avec mes camarades". Ce qu'il fit donc, sans leur souffler mot de la proposition qu'il avait reçue, mais non sans demander à ses parents leur permission.
Nommé rabbin de Mulhouse en 1922, Jacob Kaplan peut enfin espérer entrer dans la vie calme, laborieuse et féconde qui avait toujours été son but. En effet, il fonde une famille. Il eut cinq enfants qu'il aima tendrement et sut élever. Sur son mariage avec Fanny Dichter, fille d'un talmudiste pieux et savant, dénoué par la mort en 1982, j'imiterai sa discrétion et ne citerai que le verset du Livre des Proverbes qu'il voulut graver sur sa tombe : "Ses enfants se lèvent pour la féliciter, son mari pour faire son éloge". Je ne sais si c'est la cause ou l'effet de ce bonheur familial, mais Jacob Kaplan donnait alors l'image d'un homme gai, et même rieur, assaisonnant sa bonté naturelle par l'humour le plus fin. D'un homme aussi qui ne transigeait pas sur le chapitre des devoirs. Dans ceux de sa charge, il sut, par exemple, persuader les industriels juifs de Mulhouse de fermer leur entreprise le jour de Kippour. Il fonda aussi un mouvement de jeunes, Chema Israël. La carrière de Jacob Kaplan se poursuivait ainsi, simple et tranquille, à Mulhouse, puis à Paris, à la synagogue de la rue Notre Dame de Nazareth, enfin à celle de la rue de la Victoire, quand se leva la plus épouvantable menace qui ait jamais pesé sur son peuple depuis les temps bibliques, le nazisme.
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