Dans l'un de ses ouvrages majeurs publié en 1844, l'ancien
rabbin David Drach converti à Paris au christianisme en 1823 se félicite
de la vague de conversions notoires, principalement d'origine alsacienne, qui
touche la communauté israélite sous la Restauration :
" C'est surtout dans la classe éclairée des israélites qu'il y a de fréquentes conversions. Nous ne saurions passer sous silence quelques noms qui nous sont chers à des titres particuliers. M. l'abbé Théodore Ratisbonne et son frère Alphonse Marie, le saint Paul moderne, nos compatriotes de Strasbourg ; l'abbé Goschler, l'abbé Aronson, l'abbé Libermann, tous alsaciens. (..) Le docteur Libermann, frère du précédent, médecin distingué de Strasbourg, notre ami d'enfance et condisciple. Les trois autres frères Libermann professent également la religion catholique." (1)Si les frères Ratisbonne et Isidore Goschler sont issus d'un milieu où la religion n'est vécue qu'au titre d'une tradition rythmée par les grandes fêtes et par une solidarité communautaire, il en est autrement pour les frères Libermann qui, comme David Drach, appartiennent à une famille orthodoxe où la pratique religieuse est la base même de l'identité(2). A notre connaissance, la famille Libermann est la seule en France qui soit touchée dans sa presque totalité par les conversions, alors que le père est un rabbin réputé dans le monde judéo-alsacien.
A ce titre, il nous paraît intéressant d'étudier le cas des frères Libermann, bercés dans leur jeunesse par le judaïsme, impliqués pour certains dans la vie communautaire, puis, arrivés à l'âge adulte, refusant leur éducation pour rejoindre les rangs du christianisme. De même, si les conversions ne sont pas nombreuses à cette époque contrairement à ce qu'en pense Drach, elles concernent surtout les originaires d'Alsace et rarement leurs coreligionnaires messins, plus ouverts pourtant à la modernité. Des esprits éclairés comme Olry Terquem et Michel Berr ne font pas ce choix. A croire que l'émancipation a davantage perturbé et déstabilisé les Juifs alsaciens, confrontés à l'antisémitisme populaire et fortement attachés à la tradition et, peut-être, mal préparés au monde qui s'offre à eux.
Lazare (Eliezer) Libermann (1763-1831) fils de Samson et d'Esther Lévy se destine très tôt au rabbinat. Il étudie d'abord auprès du rabbin Jacob Haller Lévy, à la fameuse école talmudique d'Ettendorff située à moins de vingt kilomètres de Haguenau. En Alsace, les centres de Bischheim, Westhoffen et Ettendorff sont réputés pour la qualité des études et des maîtres. Ces écoles ont vraisemblablement été fondées vers 1777, comme le stipule l'Extrait du protocole de la nation juive où la maison d'études (Ettendorff) possède un collège pour former les élèves pendant trois ans (3). La communauté d'Ettendorff est réduite, moins de soixante Juifs y résident. Selon l'avis acerbe de David Drach, on plaçait "ces écoles à la campagne, afin de tenir les étudiants loin de la corruption des grandes villes" (4). Vers l'âge de quinze ans, Lazare Libermann se rend à celle de Lublin en Pologne, dirigée par le rabbin Ezriel Hourwitz; il obtient le titre de rabbin et épouse en 1788 Hindel Léa, la fille de Jacob Haller Lévy.
Il retourne alors dans sa ville natale, Saverne, forte de 240 âmes pour y occuper des fonctions rabbiniques et y fonder une famille. Sept enfants naissent de cette union, dont six garçons: Samson (1790), David (1794), Hénoch (1796), Felckel dit Félix (1798), Jacob (1804), Nathanaël (1805) et Esther (1807).
Sous la Terreur, à l'instar de nombreux rabbins, Lazare Libermann cesse ses activités et se voit privé de ses ressources. Un temps, il devient commerçant pour survivre. Malgré le retour à son poste rabbinique, il conserve une certaine méfiance à l'égard des bienfaits octroyés par la Révolution, ce qui explique ses réticences à siéger au Grand Sanhédrîn en 1807, Nommé contre son avis par le préfet, il participe néanmoins à ces assemblées qui dessinent l'avenir du judaïsme français, tout en restant persuadé que les exigences du Code Civil sont inconciliables avec celles du droit talmudique.
David Drach est très proche de Samson Libermann. Tous deux suivent le même parcours religieux de 1803 à 1807. Brillants et motivés, après avoir été instruits par les soins de leur père respectif, ils sont d'abord confiés à l'école talmudique d'Ettendorff où a déjà étudié Lazare Libermann. Ils y restent deux années puis ils sont envoyés à Westhoffen auprès de rabbi Isaac Luntteschutz, et ensuite à Phalsbourg. Cette école jouit d'un grand prestige auprès des communautés alsaciennes. Ces deux dernières bourgades sont par ailleurs assez importantes puisqu'elles sont habitées respectivement par 50 et 39 familles juives - soit près de 250 et 200 personnes.
Samson Libermann apporte un témoignage sur l'éducation reçue par les jeunes Israélites à cette époque en Alsace :
"(...) A l'âge de 12 à 13 ans, les enfants qui fréquentaient l'école apprenaient la michna, s'ils montraient assez de capacité pour cette étude. (...) Ceux qui cherchaient à pousser plus loin leur instruction ou qui espéraient parvenir à une chaire de rabbin, se livraient à l'étude du Talmud sous la direction d'un rabbin de renom." (5).Drach décrit à peu près la même situation lorsqu'il estime que :
"Dans les écoles théologiques, les cours se bornaient uniquement au Talmud : on négligeait le texte de la Bible. De grammaire hébraïque il ne fut jamais question" (6).
Les remarques de ces deux anciens élèves des écoles talmudiques sont essentielles car, plus tard, le rabbin David Drach aura soin de veiller à l'enseignement de la grammaire hébraïque dans l'école primaire israélite de Paris créée en 1819. Samson Libermann, l'un des promoteurs de celle de Strasbourg, sera lui aussi attentif à cette nouvelle matière enseignée à partir de 1820.
En 1807, tous deux réussissent leurs examens en présence des rabbins Gougenheim et Libermann. Forts de leurs connaissances talmudiques, ils ambitionnent d'aller étudier à la célèbre yeshiva de Lublin dès la fin de leur cycle alsacien. Mais les guerres napoléoniennes ruinent leur projet. Le rabbin Libermann décide d'envoyer son fils à Mayence tandis que Drach, moins soutenu par ses parents très modestes, se destine au préceptorat à Ribeauvillé auprès de la famille Sée. Il obtient d'ailleurs le titre de rabbin auprès du grand rabbin Lazare Hirsch en 1809.
Réformé pour raison de myopie par le Conseil de révision, Samson tente de poursuivre les études talmudiques à Mayence mais s'en dissuade peu à peu, influencé par les Lumières allemandes et le mouvement réformiste qui se propagent dans la ville. Il fait d'ailleurs la connaissance d'Olry Terquem, alors professeur de mathématiques à l'Ecole d'artillerie, lequel lui conseille d'apprendre les langues étrangères dont l'anglais mais aussi le latin et le grec (7). Terquem lui remet des ouvrages de Rousseau et de Voltaire qui l'impressionnent et le font douter du judaïsme.
Dès 1812, il commence à délaisser les études religieuses, devient infirmier lorsque le typhus ravage la ville, puis précepteur dans la famille de sa future femme, Babette Maylert. Il agit secrètement et n'informe pas son père de son choix. Entre 1814 et 1820, il poursuit des études de médecine. Médecin en juin, il s'installe à Strasbourg et se marie l'année suivante.
Malgré son indifférence à l'égard de la religion, il continue à oeuvrer pour la communauté strasbourgeoise. Sa clientèle est principalement israélite. En tant que notable et secrétaire, il se dévoue pour l'Ecole mutuelle qui compte près de cent enfants. Ses nombreuses occupations ne l'empêchent pas de conserver son amitié pour David Drach qui exerce les fonctions de directeur de l'école israélite à Paris. Ensemble, ils partagent les mêmes idées sur la nécessité de régénérer les Juifs par l'éducation. En 1821, sur les conseils de son ami, Samson publie un Court enseignement élémentaire religieux et moral pour la jeunesse israélite, dans lequel il insiste sur la compréhension du texte biblique, l'utilité des sciences profanes mais sans évoquer l'étude du Talmud. Pourtant, les deux camarades dominent cette matière qu'ils ont eu l'occasion d'étudier pendant dix années.
Le rejet du Talmud et le refus de réduire le judaïsme à cette matière animent bien souvent les Israélites qui souhaitent réformer le culte ou qui sont déjà en rupture avec la tradition. Pour eux, le Talmud entretient l'ignorance parmi les Juifs et freine leur intégration dans la nation. Dans ses souvenirs, Samson Libermann explique que :
"Longtemps avant ma conversion, les subtilités et les absurdités du Talmud m'avaient inspiré un dégoût tel que je me sentais profondément humilié de m'occuper de choses aussi insipides" (8).Drach ressent lui aussi la même amertume, mais préfère l'utiliser pour mieux servir la cause chrétienne et condamner le pharisaïsme rabbinique :
"Nous qui par état avons longtemps enseigné le Talmud, et expliqué sa doctrine (..), nous qui avons, par la grâce d'en-haut, abjuré les faux dogmes qu'il prêche, nous en parlerons avec connaissance de cause, et avec impartialité. Si d'une part nous lui avons consacré nos plus belles années, d'autre part il ne nous est plus rien" (9).
Pour beaucoup de réformateurs, l'étude du Talmud est désormais incompatible avec l'intégration et devient ainsi caduque comme l'évoque en 1821 Olry Terquem :
"(...) rien n'a échappé à l'influence dominante, excepté le culte, qui se traîne toujours dans son allure ancienne, avec son accoutrement asiatique, à travers la civilisation européenne..." (10).Drach comme Libermann s'inquiètent de l'immobilisme communautaire et de la pesanteur rabbinique. Selon eux, les mentalités sont semblables à celles qui prévalaient sous l'Ancien Régime. Le culte est loin d'être régénéré et ils souffrent de cet état.
Un temps, ils espèrent jouer un rôle pour la promotion sociale de leurs coreligionnaires, l'un en tant que traducteur, l'autre comme notable mais ils sont déçus à l'instar de David Singer et d'Olry Terquem (11).
David Drach projette alors de restituer le texte hébraïque d'après les Septante, ce qui le conduit à étudier les Pères de l'Eglise, à s'interroger davantage sur la valeur du judaïsme et... à se convertir le 29 mars 1823. L'abjuration soudaine de son ami a certainement influencé Samson qui, depuis son expérience à Mayence, doute de sa foi juive. En contact avec le chanoine Léopold Liebermann, vicaire-général de Strasbourg, il commence à lire les oeuvres de Bossuet et se désintéresse du judaïsme, même s'il assume toujours ses fonctions de secrétaire à l'Ecole primaire israélite. Pour lui, les fêtes sont désormais "des cérémonies arides" et leurs pratiques "ne disent rien, ni au coeur ni à l'esprit." Son goût pour la "morale sublime du Nouveau Testament" et son attrait pour une civilisation "possible que par le christianisme" le décident à franchir le pas (12). Le 15 mars 1824, il se convertit avec sa femme, ce qui bouleverse bien évidemment la famille Libermann et la communauté strasbourgeoise. Samson devient alors François-Xavier. Son acte fait d'ailleurs "une profonde impression" sur son frère Jacob qui étudie à l'Ecole rabbinique de Metz. Le rabbin Lazare Libermann renie aussitôt son fils aîné alors que la femme de Samson, nièce de la famille Rothschild, se voit déshéritée.
Le docteur Lazare François Libermann abandonne ses activités communautaires pour devenir maire d'Illkirch et médecin cantonal en juin 1825. Il reste très lié à Drach qu'il recommande à ses frères lorsque ces derniers, pour diverses raisons, souhaitent eux aussi se convertir. En l'espace de dix ans, les frères Libermann - hormis Henoch - délaissent la foi juive au profit du christianisme.
Quelques mois plus tard, Nathanaël qui a rejoint Felckel à Paris, décide lui aussi de se convertir, sans doute pour des raisons sociales et guère religieuses car il semble être le moins motivé. Une nouvelle fois, Drach l'instruit dans la foi chrétienne. Il abjure le 7 septembre 1826 en la chapelle des Visitandines et reçoit les prénoms de Marie, Paul, Alphonse, François. Cordonnier de son métier, il demeure quelques années à Paris puis émigre aux Etats-Unis. Là-bas, il semble qu'il demeure indifférent à la religion, comme en témoigne une lettre de Jacob adressée à son frère Samson en mai 1837 au sujet de David qui veut lui aussi s'établir en Amérique :
"Il a de grandes précautions à prendre parce qu'il ne trouvera pas grand secours auprès de son frère (Nathanaël, Marie, Paul, Alphonse) qui le détournera peut-être de ses devoirs plutôt que de l'y engager" (14).Samson et Jacob sont les deux frères les plus convaincus dans leur nouvelle foi, l'un et l'autre tentent de préserver ces nouvelles conquêtes pour l'Eglise.
Si le rabbin Libermann n'est pas informé des conversions de Felckel et de Nathanaël, celle de Jacob, le brillant étudiant talmudiste destiné au rabbinat, ruine ses dernières espérances.
Comme son frère Samson, Jacob a un parcours religieux.
Après l'école israélite de Saverne, il étudie le
Talmud avec son père qui, constatant ses compétences, l'engage
à persévérer dans cette voie en allant à l'Ecole
centrale rabbinique de Metz. Pour le rabbin Lazare Libermann, Jacob est le seul
qui puisse sauver l'honneur familial et garantir le maintien de la tradition.
De 1822 à 1826, Jacob essaie d'être un modèle pour son père
qui a fondé tous ses espoirs en sa personne. Mais les conversions de
Drach et de Samson portent atteinte à son enthousiasme. Il s'interroge
et doute, partagé d'abord entre l'intégrisme et la réforme,
entre le choix de devenir un Israélite régénéré
ou un Juif conservateur. Au contact d'un élève, peut-être
celui qui épouse sa soeur Esther en 1830, il découvre les philosophes
des Lumières, dont Jean-Jacques Rousseau avec l'Emile qui l'impressionne.
Il se livre aussi à l'étude du grec et du latin.
Jacob poursuit sa quête, conseillé désormais par son frère
Samson avec lequel il entretient des relations étroites. Il s'intéresse
au Nouveau Testament tout en demeurant à l'Ecole rabbinique. Mais à
partir de l'hiver 1825, il traverse une grave crise religieuse et refuse les
dogmes judaïques. Angoissé, devenu déiste, il se confie à
ses frères convertis. Felckel le presse d'abandonner les études
rabbiniques et de le rejoindre à Paris.
Profitant des vacances de l'Ecole rabbinique pour les fêtes de Tichri,
Jacob médite sur le choix de ses frères. Ayant appris la conversion
de Nathanaël, cette nouvelle l'émeut "jusqu'au
fond de l'âme." Mais contrairement à ce qu'espèrent
Samson et Felckel, il n'envisage pas le reniement de sa religion. Il se rend
pourtant chez Samson et lui fait part de ses projets parisiens comme de son
manque de foi. Le médecin lui recommande son ami Drach, qui pourrait
peut-être mettre un terme à son scepticisme.
Ce dernier est parfaitement informé de l'évolution religieuse de Jacob. De Metz, l'étudiant perplexe correspond avec lui ; ce qui fait écrire à Drach :
"Je voyais clairement dans les lettres de Jacques Libermann que le Christ notre adorable sauveur avait vaincu dans son coeur" (15).Drach surestime sans aucun doute la volonté de se convertir de Jacob car, pour le moment, il n'est nullement question pour ce dernier de choisir. Il critique aussi bien le judaïsme que le christianisme. En visite chez son père le 8 octobre 1826, il tait son désarroi. Fier du savoir talmudique de son fils, le rabbin Libermann le presse d'étudier avec lui. Inquiet de son vif désir de se rendre à Paris, le rabbin ne l'autorise à s'y rendre qu'à la condition de consulter le grand rabbin Emmanuel Deutz et de rester fidèle à sa foi. Juste avant de partir, le rabbin le soumet encore à un examen talmudique avec des questions érudites. Jacob y réussit et s'en étonne :
(...) "depuis deux ans j'avais négligé presque complètement l'étude du Talmud et ce que j'avais appris je l'avais lu comme un élève dégoûté qui veut sauver les apparences" (16).
Le 1er novembre, Jacob est enfin dans la capitale, muni de deux lettres de recommandation, l'une adressée par son père au grand rabbin du Consistoire central et l'autre à David Drach, que lui a donnée Samson. Pendant une semaine, il loge chez Felckel et fréquente régulièrement Nathanaël et, bien sûr, Drach. Le rabbin converti s'empresse de lui trouver une chambre au Séminaire des Missionnaires de France où il enseigne l'hébreu.
Durant six semaines, Jacob lit les ouvrages de Lhomond, notamment l'Histoire de la doctrine chrétienne. Drach et l'abbé Froment se chargent de lui enseigner le catéchisme. Le 24 décembre 1826, Jacob est baptisé dans la chapelle du Séminaire des Missions de France. L'abbé Augé procède à la cérémonie. Jacob prend les prénoms de François, Paul, Marie. Il envisage désormais de devenir prêtre. Une année plus tard, il reçoit la tonsure à Notre-Dame comme clerc du diocèse de Strasbourg et prend la soutane. Plus tard, il devient le Père François Libermann, entièrement dévoué à l'évangélisation des Noirs (17).
Jusqu'à la fin de l'année 1827, les frères Libermann ont gardé secrète la conversion de Jacob, mais lorsque le père l'apprend, c'est le drame. Le rabbin Lazare Libermann lui envoie une "lettre foudroyante" dans laquelle il maudit son fils. Drach, confident de Jacob, se souvient des "(...) lettres du rabbin furieux, ses imprécations contre ses fils chrétiens, et ses blasphèmes contre le divin Sauveur et sa religion sainte" (18). Les parents de Drach avaient pris le deuil lors de la conversion de leur fils, le rabbin Libermann en fait de même. Selon Esther, la cousine de Jacob, celui-ci " (...) était regardé comme mort bien avant de mourir, toute la famille a porté le deuil à son sujet quand il a changé de religion" (19).
Sans doute Hénoch est le seul garçon à être resté israélite. Sur lui, les informations font défaut. Il a peut-être émigré en Allemagne.
Quant à David, grand admirateur de Voltaire, cordonnier de son état, venu s'installer à Paris, il subit aussi l'influence de ses frères. Après dix-huit mois de préparation avec un jésuite, le Père Martin, il se convertit en la chapelle du collège Stanislas le 28 mai 1837 en présence de François et de David, Paul Drach, venu spécialement de Rome où il habite depuis la révolution de 1830. David devient alors Marie, Joseph, Philomène, mais préfère conserver le prénom usuel de Christophe. Drach lui procure son parrain et sa marraine et l'assiste durant toute la cérémonie selon le témoignage de Jacob, François :
"Il (Drach) se tenait à côté de lui, il le faisait se relever, se mettre à genoux lorsqu'il le fallait, lui indiquait les prières et l'instruisait de tout ce qu'il y avait à faire" (20).
Si Drach perd peu à peu contact avec Felckel, Nathanaël et David, du fait qu'il réside à Rome de 1830 à 1842, il maintient les relations avec Samson et Jacob. Leurs objectifs sont les mêmes : servir la cause chrétienne.
Sur l'intervention de Drach, Jacob Libermann obtient une audience du pape Grégoire XVI, le 17 février 1840, afin de fonder une société missionnaire pour l'Afrique. Toute sa vie, Jacob est encouragé par Drach pour évangéliser les populations noires. Les enfants du médecin et de l'ancien rabbin optent aussi pour une vie ecclésiastique. Le fils de Samson, François-Xavier, devient Spiritain ; Paul Auguste Drach, abbé et chanoine titulaire de Notre Dame de Paris, alors que ses deux soeurs Marie-Clarisse et Marie-Euphrosine sont religieuses de la Congrégation du Bon Pasteur d'Angers.
Indéniablement, les conversions des frères Libermann subirent l'influence de Drach. Aucunement motivées par un mariage avec une catholique ou par des intérêts bassement matériels, elles résultèrent plutôt d'une quête spirituelle pour Samson et Jacob comme ce fut le cas pour Drach. L'indifférence ou le scepticisme aidant, il était alors facile pour les frères d'abandonner leur foi. Néanmoins, ils auraient pu demeurer juifs sans respecter la Loi comme le font maints de leurs coreligionnaires dès cette époque. Mais c'était ignorer le charisme de Drach et le zèle de Samson ! Sans doute, l'autorité paternelle contribuera-t-elle à accentuer cette volonté de renier leur religion. Elle n'explique pas tout! Bien des Israélites issus de milieux orthodoxes ne firent pas ce choix. Plusieurs raisons ont concouru en fait à les détourner du judaïsme, en particulier le désir de quitter une communauté qu'ils jugeaient trop austère, l'indifférence voire la méfiance à l'égard des dogmes judaïques, l'attirance d'une société où le christianisme retrouve son importance après les années révolutionnaires et, - cela nous paraît essentiel, - l'amitié convaincante de Drach.