LES SÉE

Les origines
Banquiers
Industriels
Médecins
Militaires
Juristes
Camille Sée
Ecrivains

DESTINÉES D’UNE FAMILLE JUIVE D’ALSACE
AU XIXe SIECLE : LES SÉE

par Jean-Marie Schmitt
Extrait des Actes du 6ème Symposium Humaniste International de Mulhouse -1994
avec l'aimable autorisation de l'auteur


De l’émancipation civique des Juifs d’Alsace lors de la Révolution française, aux lois Sée de la IIIe République organisant l’enseignement secondaire des jeunes filles en France, que de chemin parcouru sur la voie de l’humanisme et du progrès social ! Il appartient certes aux historiens du droit et des idées politiques d’approfondir l’étude de ce parcours, certes semé d’embûches, et que nous voudrions simplement illustrer en puisant à une saga familiale, celle des Sée précisément. Leur fulgurante ascension sociale a pour cadre le demi-siècle séparant les alentours de 1830 des années 1880. Préparée par une prospérité rurale, lentement épanouie au cours du 17e siècle dans une bourgade du vignoble alsacien, puis précipitée par l’installation dans le chef-lieu du Haut-Rhin, la "petite" histoire des Sée va parfois côtoyer la grande, marquée en filigrane par une quête de liberté.

Les origines

La tradition familiale rappelle que le nom est dérivé de celui de la Seille (1), affluent de la Moselle traversant Metz, et au bord duquel vivaient au 16e siècle quelques familles juives. A une époque où les noms de famille n’étaient pas encore d’usage pour eux, les Juifs accolaient à leur prénom celui de leur père, et parfois aussi le nom de la localité dans laquelle ils s’étaient fixés. C’est ainsi qu’à l’instar, par exemple, des Spira ou Shapira dont le nom dérive de celui de la ville allemande de Spire, des lignées de Sée, Say ou Zay doivent leur patronyme à la rivière messine.

La famille Sée se fixe en Alsace au début du 18e siècle. Autorisée à résider à Bergheim en 1716, elle s’y accroît de manière remarquable. Le négoce de biens fonciers, de bétail, de métaux et divers petits commerces permettent à plusieurs chefs de famille de prospérer dans la relative quiétude du 18me siècle. Il y a aussi le prêt à intérêt, qui est loin d’être l’apanage des Juifs. Toutefois ceux-ci sont sensiblement plus proches du monde rural perpétuellement endetté que les grands financiers catholiques et protestants résidant dans les centres urbains. C’est là, assurément, une position intéressante pour les prêteurs juifs lorsque la conjoncture est favorable, mais un sort peu enviable en revanche lors des années de crise. La dénonciation de l’usure prend alors volontiers des accents antisémites dans cette région où le christianisme est très profondément ancré.

Au début de la Révolution, la pression est telle que le député colmarien Jean-François Reubell - futur membre du Directoire - essaie d’obtenir de l’Assemblée que les Juifs d’Alsace ne soient pas compris dans l’octroi de la citoyenneté française, alors reconnue à leurs coreligionnaires du royaume ; toutefois il n’insistera pas dans cette voie après l’échec de cette tentative (2), la loi du 28 septembre 1791 reconnaissant les droits civiques à tous les Juifs de France. Par ailleurs, les ventes de biens nationaux vont permettre aux Juifs disposant de moyens suffisants, mais aussi à de nombreux chrétiens que ne gêne pas la provenance ecclésiastique de certains biens, d’arrondir sensiblement leur patrimoine ou de se livrer à une spéculation fructueuse. Cette démarche, qui ne manque pas de faire des envieux, n’est guère pardonnée aux premiers. Ainsi Getschel Sée, de Bergheim, est-il déféré devant le tribunal révolutionnaire de Strasbourg pour avoir refusé des assignats en paiement d’un terrain qu’il entendait revendre, et échappe de justesse à la guillotine grâce à l'intervention courageuse de sa fille Reisel (ou Rose).

L’établissement à Colmar

Avec le retour progressif de la paix, intérieure d’abord dès le Directoire, internationale ensuite avec l’effondrement du Premier Empire, de nombreux Juifs résidant dans de petites localités rurales sont tentés de s’établir dans des villes plus importantes, dont certaines, comme Colmar, ne leur concédaient pas le droit de cité avant la Révolution. Ainsi la famille Sée essaime-t-elle dans les environs de Bergheim à Ribeauvillé dès la fin du 18e siècle, à Sélestat et Niedernai sous l’Empire, à Colmar surtout, à partir de la Restauration. Le premier à se fixer dans le chef-lieu du Haut-Rhin, en août 1823, est Abraham-Jacques (3) dont le début de l’ascension sociale se mesure aux mariages de ses filles, avec un chirurgien-major du Havre, un homme d’affaires de Niederbronn, un négociant de Belfort, un greffier en chef du tribunal de commerce de Strasbourg (4).

Beaucoup de parents proches et éloignés rejoignent bientôt ce premier noyau familial colmarien. En effet, les 11 et 12 juin 1832, à la suite d’une banale querelle d’auberge, de graves troubles antisémites éclatent à Bergheim, où plusieurs centaines de personnes pillent et saccagent les maisons des Juifs. L’envoi par les autorités d’un détachement de dragons, puis de la troupe de ligne, débouche sur des arrestations massives et permet d’éviter le pire. Mais pour de nombreux habitants israélites, il n’est plus question de rester à Bergheim. Plusieurs chefs de la famille Sée viennent alors chercher refuge à Colmar: d’abord Israël-Ephraïm, dès juillet 1832, suivi quelques semaines plus tard par son fils Simon, ses cousins Benjamin et Israël-Gabriel, ainsi que le fils aîné de ce dernier, Meyer. Plusieurs autres enfin les imiteront au cours des années suivantes (5).

Dès lors, en l’espace d’une ou deux générations, les Sée vont s’assurer des positions sociales confortables : tandis que certains atteignent une notoriété nationale dans la finance ou la médecine, d’autres conquièrent des bastions naguère interdits à leurs coreligionnaires comme la magistrature, la haute administration ou la carrière d’officier général (6). A Colmar, leur principale base de départ, leur engagement dans des mouvements de progrès - que ce soit aux côtés des républicains, dans la Franc-Maçonnerie ou au sein de la Ligue de l’Enseignement - traduit leur foi dans un régime qui a permis leur essor, et qu’ils vont servir et défendre en retour. Quelques aperçus de destins individuels illustreront notre propos.

Les banquiers

Ayant fixé sa résidence à Colmar en mai 1840, Abraham Sée (Bergheim 1807 - Colmar 1887, fils d’Israël-Gabriel) y ouvre un comptoir d’escompte qui se développe rapidement, notamment à partir de la Révolution de 1848 : tandis que ses concurrents ferment leurs officines ou restreignent prudemment leurs affaires, Abraham Sée affirme sa confiance et son soutien dans le nouveau régime républicain en payant à caisse ouverte les remboursements et en continuant à escompter les valeurs présentées à ses bureaux (7). A l’époque du Second Empire, il se retrouve ainsi à la tête d’une solide maison de banque ayant pignon sur rue, jouxtant l’immeuble qui abrite les services de la préfecture puis, à partir de 1866, la mairie de Colmar.

Au fur et à mesure de leur majorité, les enfants du fondateur rejoignent la société, devenue Ab. Sée & Fils. L’aîné Isaac-Léopold (Bergheim 1831 - Paris 1910) dirige la succursale créée par son père à Paris et qui devient la banque Ld. Sée Fils & Cie, et fonde lui-même en 1862 le Comptoir d’Alsace, société en commandite au capital de 4,5 millions. Administrateur des temples israélites consistoriaux de Paris, il soutient par ailleurs de grands emprunts publics et participe à la création ainsi qu’à l’administration des Chemins de fer nantais. Enfin il devient président du Crédit algérien et de la Compagnie du chemin de fer ouest-algérien (8).

Son frère François-Salomon (né en 1843) le seconde à Paris avant de devenir, après son mariage, l’un des administrateurs de la banque Rodriguez & Salzedo à Bayonne. Les autres frères, Germain (né en 1837), Joseph-Meyer (né en 1839) et Louis-Albert (né en 1848), restent auprès de l’établissement colmarien. Ils y sont rejoints par leurs cousins Léopold (né en 1821) et Abraham le jeune (né en 1825), leur parent plus éloigné Joseph-Daniel (né en 1810) ainsi que le fondé de pouvoir Zacharie Gerst, fils d’un marchand juif de Niederbronn. Enfin, fille du cousin Simon Sée le jeune, Rosalie-Emilie épouse le négociant Simon Bickart (né à Horbourg en 1834), qui fonde une autre maison de banque à Colmar sous la raison Bickart & Wahl. Quant à Gabrielle-Marthe, fille du banquier Germain Sée, elle se marie à Michel-Emile Dalsace, administrateur de sociétés à Paris.

Les relations d’affaires nouées par Abraham Sée avec la puissante maison Rothschild de Paris, les services financiers rendus au gouvernement et les prêts considérables destinés à financer l’industrie cotonnière régionale en pleine expansion, confortent encore la position de la banque Sée en Alsace. Aussi devient-elle, après le rattachement de la province à l’Empire allemand en 1871, l’une des maisons chargées de couvrir une partie des échéances de la fameuse rançon de cinq milliards exigée pour la libération du territoire de la France. Décoré de la Légion d’honneur par le Maréchal de Mac-Mahon en 1873, Abraham Sée se retire de son affaire, qui fusionne en 1883 avec la banque de Mulhouse, ancêtre du Crédit Commercial de France.

Page suivante
Personnalités  judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .