LE
MEMORBUCH
René GUTMAN
Grand Rabbin du Bas-Rhin
Poursuivant une tradition du Moyen Age, ce Memorbuch recense les
déportés et résistants juifs du Bas-Rhin morts pendant
la Seconde Guerre mondiale. Il est le fruit d'un long travail de recherche
mené par le grand rabbin du Bas-Rhin, René Gutman, docteur en
sciences religieuses de l'Ecole pratique des hautes études.
préface de Freddy
Raphaël.
Postface de Catherine Chalier, philosophe.
Dans une exergue en début de livre, Serge Klarsfeld félicite
René Gutmann de s’être attelé à " une
mission aussi émouvante et ardue ".
Editions La Nuée
Bleue, 3, rue Saint-Pierre-Le-Jeune
67000 STRASBOURG - tél : 03 88 15 77 27
mai 2005 - ISBN : 2716505500 - 17 €
La source première qui a servi de base à ce
Memorbuch
est la liste des déportés des communautés du Bas-Rhin,
et qui a paru dans le
Bulletin
de nos Communautés, organe du Judaïsme d'Alsace et de
Lorraine, depuis le n°1 du 21 décembre 1945 jusqu'au numéro
24 du 6 décembre 1946.
On se rendit rapidement compte que cette liste était très lacunaire,
parce qu'elle ne tenait pas compte des personnes originaires de ces communautés
qui avaient déjà changé de résidence avant guerre
et vu le peu d'informations dont ces communautés, souvent exsangues,
avaient en leur possession au lendemain de la Libération. Nous avons
eu également recours à des listes remises à jour, grâce
à l'aide des présidents des communautés reprenant, pour
l'essentiel, les noms gravés sur les monuments commémoratifs
dans les cimetières israélites du département grâce
aux indications des familles, ou les fiches établies par les familles
en réponse à notre questionnaire paru dans le journal
Echos-Unir
(juillet-août 1999).
Il nous apparut cependant que ces résultats ne pouvaient pas être
définitifs. Dans son introduction à l'
Etude - Statistique
de Déportation dans le Bas-Rhin 1940-1945 publiée en 1971
par M.C. MULLET, ce dernier, tout en annonçant le chiffre de 416 victimes
pour la période 1943-1944, reconnaissait ne pas être en mesure
de donner des chiffres définitifs, certaines familles ayant disparu
sans laisser de trace. Dans une enquête complémentaire publiée
en juin 1972, qu'il insérera comme additif à son étude
statistique, C. MULLET, se fondant sur les recherches engagées à
sa demande par le Consistoire israélite du Bas-Rhin, énonçait
le chiffre de 1595 déportés pour la plupart de nationalité
française dont 162 enfants jusqu'à 16 ans, 774 hommes, 659 femmes,
auxquels il faut ajouter 87 israélites de Strasbourg exécutés
avant leur déportation dans les départements où ils s'étaient
réfugiés.
Devions-nous arrêter là nos recherches ? Il nous a semblé
que non.
L'examen attentif du
Mémorial de la Déportation des Juifs
de France publié par les soins de Maître KLARSFELD (CDJC,
Paris 1978)
(1) avec ses 73.800 noms, et le descriptif
si émouvant des 77 convois qui ont conduit les déportés,
pour la plupart à Auschwitz, nous a permis non seulement de réajuster
le nombre, déjà considérablement augmenté, des
déportés en particulier pour Strasbourg, mais aussi pour d'autres
communautés bas-rhinoises qui avaient également recueilli, juste
avant guerre, un nombre important de réfugiés venant d'Europe
centrale et orientale ou bien d'Allemagne.
Beaucoup parmi eux, n'avaient manifestement pas dû être recensés
dans le dénombrement du 8 mars 1931 (
La Tribune Juive Paris-Strasbourg
n° 32 [1931]) ni dans le recensement des Communautés juives
du Bas-Rhin pour l'année 1936 et 1939 et établi par le Consistoire
Israélite du Bas-Rhin, (
Archives consistoriales du Bas-Rhin n°
40). C'est pourtant à cette époque-là que, comme
le fera remarquer Freddy Raphaël, le Juif d'Alsace allait être
précipité dans une histoire qui le dépassait et qui lui
fit "prendre conscience brutalement de la communauté de destin
qui le liait aux Juifs étrangers jetés avec lui sur les routes
de l'exil" dans
Juifs en Alsace, ouvrage publié avec Robert
Weyl, Ed. Privat, 1977). Notre travail nous a permis également de mettre
en lumière que bien des familles, surtout immigrées, mais aussi
issues des communautés rurales ancestrales réfugiées
dans les mêmes localités de la France de "l'Intérieur"
ont été exterminées en leur quasi-totalité, parfois
même en un seul convoi, (telles celles de Stotzheim, Rosheim ou Mertzwiller).
Enfin, et contrairement à l'idée reçue selon laquelle,
les Juifs français auraient été épargnés
par les premières arrestations anti-juives, on trouve les noms de familles
depuis longtemps enracinées dans nos provinces, dès le convoi
n°2 du 5 juin 1942.
L'apport du
Mémorial de la Déportation des Juifs de France
édité 32 ans après la publication de la liste du
Bulletin
de nos Communautés nous a donc permis de donner ici une vision,
hélas, plus exacte, de l'ampleur de la catastrophe. C'est lui qui,
pour l'essentiel, constitue avec les premières listes publiées
par le
Bulletin de nos Communautés le corps de ce
Memorbuch.
Il comporte en effet l'adjonction de tous les noms de déportés
nés dans le département du Bas-Rhin, mais qui n'y vivaient plus,
noms qui n'avaient pas été recensés dans le
Bulletin
de nos Communautés dont l'intitulé "nos absents"
indiquait encore l'espoir de les retrouver vivants et peut-être l'espoir
même qu'ils n'avaient pas tous été déportés
! Nous avons ainsi recensé 1574 noms pour les
communautés
rurales et 890 noms pour
Strasbourg,
ce qui donne le chiffre de 2464 déportés pour le Bas-Rhin, soit
une différence de 869 noms par rapport au recensement fait après
la guerre. A ces chiffres il faut ajouter encore 141 noms de fusillés
ou d'assassinés en zone occupée.
C'est grâce au Mémorial enfin que nous avons pu établir
les lieux et dates de naissance de nombreux déportés originaires
du département du Bas-Rhin et la date de leur déportation, ce
qui était impossible dans les années 1946-46 alors qu'on n'était
pas encore en mesure de saisir l'ampleur de la "Solution Finale".
Nombres d'inconnues ont pu aussi être résolues par rapport aux
témoignages, souvent précaires, qui avaient été
communiqués au
Bulletin de nos Communautés comportant
par exemple seulement le nom du chef de famille, sans nous donner le prénom
de l'épouse ou des enfants, encore moins leur âge, et parfois
omettant même le lien de parenté entre les générations
disparues.
Nous avons enfin complété ce
Memorbuch par le tableau
des grands rabbins, rabbins et ministres-officiants alsaciens qui ont péri
dans la tourmente. On constatera que l'Alsace a payé un bien lourd
tribu dans le rang de ses ministres du culte.
Ce travail ne prétend pas avoir une valeur statistique sûre et
les chiffres restent sûrement en deçà de la tragique réalité.
Il comporte des manques et des erreurs, que les familles concernées
voudront bien nous pardonner. Nous nous sommes en effet rendus compte de ce
que notre travail n'était en fait jamais terminé, présentant
des oublis ou des erreurs qui pourront, en partie seulement, se résorber
par des mises au point ultérieures.
Toutefois, à la lecture de ce modeste ouvrage, sépulture symbolique
de tant d'innocents, parmi lesquels des centaines d'enfants à jamais
disparus, sans tombe et sans épitaphe, nous n'aurons de cesse de rappeler
le
Deutéronome 32, 7 : "Interroge ton père il te
le dira, tes anciens ils témoigneront".
Il convient enfin de mentionner la parution du martyrologe des Juifs de la
Moselle 1939-1945 par les soins du Consistoire Israélite de la Moselle
( Metz 1999) ainsi que le Mémorial en préparation de la déportation
du Haut-Rhin, lesquels éclaireront aussi, au-delà de la tragédie
qui endeuilla nos trois départements, le destin singulier de nombreuses
familles que l'Histoire avait séparées sur les routes de l'Alsace-Moselle,
et que les convois de la déportation, partis de Drancy, ont réuni
pour un voyage sans retour.
En guise de conclusion, je ferai miens ces propos prononcés par le
Grand Rabbin Abraham Deutsch dans son allocution lors de la commémoration
des morts à Yom Kippour 1946 :
"Ne faisons pas parler les morts ! Ne faisons pas parler nos coreligionnaires
déportés et qui ne sont pas revenus. N'essayons pas d'interpréter
quelle eût été leur pensée, leur conception de
la vie, leurs désirs, s'ils étaient revenus. Nous ne pouvons,
croyez le bien, nous livrer honnêtement à ces spéculations.
Inconsciemment, nous leur faisons dire ce que nous aimerions entendre, ce
que nous pensons nous-mêmes. Mais il est une manière sûre
d'honorer leur mémoire, de perpétuer leur souvenir, d'éviter
que leur sacrifice n'ait été en vain : c'est de nous inspirer
de la grande leçon qui se dégage de leur aventure. Comme en
toute chose, il y a dans ce domaine un juste milieu à tenir entre l'affliction
stérile et l'oubli outrageux. Considérons-nous tous, à
tout moment, et partout, non pas comme les victimes de persécutions
futures, mais comme les rescapés des persécutions d'hier. Employons
au mieux cette vie qui nous a été miraculeusement laissée,
donnons-lui un but élevé, désintéressé,
et surtout soyons humbles, d'une humilité consciente et voulue, sans
rien abdiquer pourtant de nos droits". C'est aussi ce que nous rappelle
l'Ecriture : "Les Choses cachées, le mystère insondable
de ces temps, appartiennent à l'Eternel, mais ce qui s'est produit
au grand jour relève de nous et de nos enfants à jamais (
Deutéronome
29,28)."
1. Complété en 1994
par Le Mémorial des Enfants Juifs déportés de France
au sujet de l'état des listes de déportation et des difficultés
inhérentes à leur utilisation par l'élaboration même
du Mémorial avec le risque d'erreurs qu'il nous a fallu prendre
en compte dans le cadre de nos recherches (c'est ainsi que le Mémorial,
suivant en cela les listes de Drancy ne donne pas le nom de jeune fille des
épouses) consulter la Notice technique ad.loc.
POSTFACE
"Si le soupir creuse trop profondément, il rencontre
un visage, des visages toujours aimés ; si le rêve chemine trop
loin, il traverse les frontières de nos demeures et s'en va vagabonder,
mais c'est pour buter sur Auschwitz, le bout du monde, l'absurde".
Saül OREN-HORNFELD Comme
un feu brûlant. L'Harmattan, 1999.