Par Daniel Fuks
Dans ce chapitre, nous nous proposons d’expliquer la manière dont nous avons mené notre enquête.
En décidant de recenser les victimes haut-rhinoises de la Shoah, nous nous sommes fixé l’objectif d’inclure dans cette recherche
* les déportés morts
* les déportés rescapés
Sous déportés nous incluons aussi les personnes décédées dans un camp en France.
* les fusillés civils
Sous cette dénomination nous recensons les personnes tuées comme otages ou abattues sommairement.
Est haut-rhinoise toute victime juive
* née dans le Haut-Rhin
* ayant vécu dans le Haut-Rhin sans y être née
* proche parente de toute personne venue habiter dans le Haut-Rhin après la guerre
* proche parente d’une personne entrant dans l’une des trois catégories citées plus haut : conjoint, enfant, ascendant.
Les personnes nées dans le Haut-Rhin
C’est l’ouvrage de Serge Klarsfeld "Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France" qui nous a servi de source primaire pour établir une première liste. Bien que publié en 1978, cet ouvrage n’a pas été supplanté. Il englobe plus de 75000 noms listés par ordre alphabétique et selon chaque convoi parti de France. Depuis, heureusement, il existe sous forme de base de donnée informatique ; il est disponible en cédérom.
Pour trouver les personnes nées dans le département, nous avons interrogé le cédérom en mettant successivement le nom de chacune des quelque 360 communes du département dans le champ "Né à ".
Nous n’osons à peine nous imaginer l’effort qu’aurait nécessité cette démarche sans le cédérom. Il aurait fallu parcourir les 75000 noms du livre Klarsfeld, en ayant à l’esprit le nom des 360 communes…
Klarsfeld se propose de fournir pour chaque personne :
Nom ; Prénom ; Date de naissance : jour - mois - an ; Lieu de naissance ; Nationalité ; Numéro du convoi ; Date de la déportation à partir de Drancy ; Destination de la déportation.
Cette liste comporte des imperfections, et ceci n’est pas une critique envers cet ouvrage monumental et irremplaçable. Elles sont dues avant tout à l’état souvent défectueux des listes nominatives des listes des personnes transportées, établies par la SNCF, ainsi qu’au fait que ces listes ont été transcrites par des bénévoles qui n’avaient pas comme objectif de vérifier l’exactitude de leur copie. Il en a résulté:
* des vides, particulièrement néfastes pour la recherche quand il manque le lieu de naissance
* des erreurs dans l’écriture de noms, prénoms, date et lieux de naissance.
C’est là une des causes de l’incomplétude potentielle de notre fichier, ainsi qu’un frein à l’approfondissement des vérifications.
Les personnes ayant vécu dans le Haut-Rhin sans y être nées
Les sources d’information sur ces personnes sont d’une part toutes les stèles du souvenir érigées dans nos cimetières dans les années après la guerre, ainsi qu’un document rédigé par la municipalité de Mulhouse en janvier 1945 intitulé "Liste des israélites ayant habité Mulhouse jusqu’avant la guerre de 1939". Tous les noms sur les stèles que nous ne possédions pas encore ont été vérifiés par rapport au Klarsfeld. Quant à la liste mulhousienne, certains noms possèdent une mention «d» pour déporté. Nous les avons vérifiés par rapport au Klarsfeld. De plus, nous y avons vérifié tous les noms des personnes nées à l’étranger, sachant que les déportations ont commencé majoritairement avec cette catégorie, et que c’est parmi eux que la proportion de déportés a été la plus grande, le gouvernement de Vichy les ayant livrés en premier aux nazis.
Par ailleurs, ce document indique l’adresse de la famille en 1939.
On constate que durant toute notre enquête, le Klarsfeld a toujours joué le rôle de plaque tournante.
Concernant les stèles du souvenir, nous avons mis dans notre liste tous les noms s’y trouvant, même si nous n’avons pas pu en valider l’identité. Nous pensons qu’il y a des cas où des personnes ont été mises sur ces stèles par des amis ou des parents, même si elles n’avaient pas vécu dans le Haut-Rhin ; c’est le cas des Barber à Colmar.
Les proches parents de personnes venues habiter dans le Haut-Rhin après la guerre
Ici, nous n’avons pas disposé de méthode. Nous avons interrogé les personnes dont nous savions qu’elles étaient dans ce cas. De plus, le hasard des contacts et rencontres a souvent joué en notre faveur.
Le regroupement familial.
Pour reconstituer les liens familiaux, le Klarsfeld n’a pas joué un rôle de source, vu le classement alphabétique des noms.
Les éléments qui nous ont donné des pistes sur les liens familiaux sont les suivants :
* sur certaines stèles un nom de famille est suivi de plusieurs prénoms, par exemple à Biesheim
* le document mulhousien présente les "israélites" par familles
* les états-civils des personnes
* quand, dans le Klarsfeld, nous avons trouvé dans le même convoi plusieurs personnes ayant un patronyme rare et dont les âges rendaient la parenté plausible, nous avons pris le risque de supposer qu’il s’agissait des membres d’une même famille, même si nous n’avons pas pu faire les vérifications habituelles ; c’est le cas des époux Vaisler et pour la famille Grunwald.
Vérification des noms dans les états-civils et archives municipales
Les imperfections constatées dans le Klarsfeld ainsi que le but de regrouper les familles nous ont vite incités à vérifier les noms de nos listes auprès des états-civils.
Cette vérification poursuivait aussi le but de réfuter le soupçon négationniste selon lequel les noms des victimes ne seraient pas authentiques. La vérification des identités, le relevé des mentions de leur déportation par les nombreuses mairies, résultant d’un jugement de tribunal, vise à contribuer à cette réfutation.
* Archives départementales du Haut-Rhin à Colmar
Pour toute personne née il y a plus de 100 ans nous avons utilisé le fait que cette institution possède le double de tous les registres d’état civil de toutes les communes du département jusqu’à l’année 1893 et dans certains cas jusqu’en 1903.
Ces registres sont librement consultables, généralement sous forme de microfilms.
Nous avons noté les données standards : nom, prénom(s), date de naissance, nom et prénom des parents.
Quand il y a lieu, nous avons exploité les notes en marge du document:
- le mariage : date, lieu, nom et prénom du conjoint, précieuse piste pour les liens familiaux
On peut aussi y trouver des mariages multiples, ainsi que l’information sur le divorce.
- la déportation : selon les mairies, ces mentions sont plus ou moins consciencieusement inscites, de même "Mort pour le France", mention à laquelle, selon notre information, tout déporté racial a droit de par la loi, d’autant plus qu’officiellement il n’y a en France que deux catégories de déportés pendant la seconde guerre mondiale: déporté résistant, et déporté politique, les victimes civiles de la Shoah entrant dans cette dernière catégorie. La déportation était mentionnée de différentes façons, nous l’avons notée uniformémentr sous "décédé(e)".
- "rescapé" : outre les cas mentionnés par Klarsfeld, nous avons déduit qu’une personne était rescapée lorsque sa fiche d’état-civil mentionne un mariage, un divorce, ou le décès à une date postérieure à la fin de la guerre.
Une telle consultation n’est possible que pour les fiches dont le lieu de naissance était donné dans le Klarsfeld.
Pour la moitié des fiches, celles des femmes, surgissait dès le départ la difficulté que le Klarsfeld ne mentionne pas le nom de jeune fille des femmes mariées. Il a fallu donc dérouler l’état-civil autour de la date de naissance et trouver la naissance d’une fille ayant le prénom recherché et un patronyme à consonance juive. La méthode a donné de bons résultats, bien que le prénom usuel ne soit pas forcément celui donné à la naissance
L’orthographie des noms ne correspondait pas forcément entre la liste Klarsfeld et l’état-civil : Weil peut s’écrire avec un ou deux «l», mais Rosenzweig s’écrit de 14 façons différentes dans le Klarsfeld.
De plus, Klarsfeld n’indique pas le département ni le pays, d’où la difficulté par exemple pour Herrlisheim (67 et 68), Schaffhouse (2 en 67 plus 1 en Suisse, Bergheim (1 en 68 et 22 en Allemagne), pour citer quelques exemples.
Une difficulté technique résidait dans le fait que, pendant la période allemande, les états civils étaient écrits en graphie "Sütterlin", fort différente de la calligraphie française.
Un autre détail : le nom du pays de naissance, en particulier dans les anciens empires austro-hongrois ou ottoman. Là, quand nous avons pu, nous avons indiqué le nom actuel du pays, par exemple "Grèce" pour Salonique, et "Slovaquie" pour Bratislava.
* Services d’état-civil des mairies
Pour les personnes nées il y a moins de 100 ans, nous avons dû nous munir de l’autorisation du Procureur de la République pour consulter les états-civils dans le département.
Nous l’avons fait sur place à Colmar et circonscription urbaine, et Mulhouse. Pour les autres cas nous avons écrit aux services d’état-civil en dehors du département ainsi qu’en Allemagne et en Suisse. Environ 150 villes nous ont répondu.
La technique de recherche ainsi que les difficultés étaient les mêmes que pour la recherche aux archives départementales.
* Archives municipales de Colmar et Mulhouse
Ces organismes possèdent des fichiers domiciliaires, documents qui ne sont plus activés de nos jours. Leur consultation a été précieuse pour vérifier l’existence des personnes nées à l’étranger, en particulier dans les pays auxquels nous ne nous sommes pas adressé par écrit.
Ces fichiers étant organisés par famille, nous ont donné d’intéressantes pistes pour établir des liens familiaux.
On y trouve aussi le domicile de la famille à une date déterminée.
Vérifications supplémentaires
Seuls les états-civils nous ont donné une information légalement irréfutable sur les identités et, le cas échéant, sur la déportation. Cependant, vu le nombre de cas non résolus à cause des difficultés énumérées plus haut, nous avons fait appel à toute source d’information disponible.
* Yad Vachem-The Central Database of Shoa’s Victims Names
Cette base de données est consultable en ligne. En plus de la liste Klarsfeld, elle permet d'accéder au fac-simile des "daf ed" ou feuille de souvenir remplies par les proches des victimes.
Un "daf ed" contient les champs suivants: nom, prénom, prénom du père, prénom de la mère, date de naissance, profession, lieu de résidence avant la guerre, lieu de résidence pendant la guerre, circonstances du décès, coordonnées de la personne qui remplit le formulaire.
Une place est aussi réservée pour une photo.
On imagine le bénéfice que nous avons pu retirer d'une telle consultation.
* Mémorial des enfants juifs déportés de France
Dans ce bouleversant ouvrage, Serge Klarsfeld a réussi à collectionner plus de 500 photographies d'enfants déportés, additionnées de notices biographiques.
Avec son accord nous lui avons emprunté les photos d'enfants relevant de notre recherche.
D'autre part, le livre contient les listes, par convoi, de tous les enfants, avec les détails identitaires habituels, mais en plus, l'adresse de résidence pendant la guerre. Nous avons fait usage de cette information.
À notre tour, nous avons envoyé à Me Klarsfeld les photos d'enfants qu'il ne possédait pas, en vue de leur publication dans la prochaine édition du "Mémorial des enfants juifs déportés de France".
Les sources citées plus haut ont permis une recherche en nombre.
D'autres sources ont permis de trouver des détails intéressants, mais sur un nombre limité de personnes. Elles sont indiquées en abréviation la fin de chaque fiche, et listées dans le livre sous le chapitre "Sources documentaires et bibliographiques".
Documents et témoignages - Photos
La partie de cet ouvrage consacrée à des documents et témoignages, ainsi que les photos et illustrations, résultent de deux types de sources:
* L’appel à témoignage dans les bulletins communautaires et dans le site internet du judaïsme alsacien, et les demandes faites personnellement (ainsi que leur suivi patient…)
* des ouvrages précédemment parus, dont on trouvera la mention en tête des textes et la référence exacte dans “Sources documentaires et bibliographiques” ainsi que dans “Crédit photos”.
Conclusion
Au terme de 9 ans de recherches, nous présentons au lecteur le chapitre “Liste des victimes”. Il y trouvera plus de 1100 notices individuelles, dont le mode d’emploi est expliqué en tête du chapitre à partir d’un exemple concret.
A la satisfaction du travail accompli, se mêle la conscience de ce qui resterait à faire. De nombreuses fiches n’ont pas pu être validées dans les états civils.
De nombreuses familles n’ont pas pu êtres recomposées.
Combien de photos et témoignages auraient encore pu être collectés?
* Les listes
Nous espérons avoir fait œuvre utile en recherchant l’exactitude des données personnelles de nos déportés et fusillés. Nous rêvons qu’un jour cela se fera pour tous les déportés de France, voire tous les 6 millions. Nous sommes bien conscients qu’aujourd’hui un tel travail est tout simplement impossible. Toutefois, avec l’informatisation croissante des archives d’état-civil dans le monde, un jour viendra où ce rêve ne sera plus une utopie, pour peu qu’un nombre suffisant de personnes motivées se mettent en réseau et y travaillent ensemble, par exemple sous le pilotage de l’Association des fils et filles des déportés juifs de France ou du Yad Vachem.
* Les documents et témoignages
Les survivants vieillissent, ainsi que la première génération des enfants de déportés. Nous pensons donc qu’il y aurait urgence à poursuivre ce travail, sinon de nombreux documents et photos tomberont dans l’oubli.
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