Judith Hemmendinger a été nommée
chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur le 9.12.2003 à
Paris. Voir le compte-rendu de la cérémonie. |
Revenus du néant - Cinquante ans après l'impossible oubli, 23 témoignages
Judith Hemmendinger, Editions L'Harmattan coll. Mémoires du XXe siècle, mars 2002
ISBN : 2-7475-2325-X, prix : 14,50 €
En vente à la FNAC - et en Israël : Librairie VICE VERSA de Jérusalem et Librairie DU FOYER à Tel Aviv.
Nous nous sommes installés à Jérusalem en 1970. Je suis
assistante sociale et je n'ai eu aucun mal à trouver un poste ici. Le
travail est le même qu'en France s'occuper de personnes en difficulté
; cependant en Israël, le côté psychologique des "clients"
et de leurs problèmes est davantage mis en valeur. De ce fait, l'assistante
sociale est très proche des psychologues, reçoit leurs publications
et est invitée à participer activement à leurs journées
d'études.
Le programme de ces journées comportait chaque fois une conférence
sur " Les survivants". L'orateur, en général un psychiatre,
détaillait les multiples séquelles dont ils souffraient tous,
disait-il, sans exception. Ces séquelles ne faisaient-elles pas partie
du "syndrome des rescapés" ? Bien que mon hébreu laissât
encore à désirer, je ne pouvais m'empêcher d'intervenir
: "Mais on ne peut pas généraliser! Trois cent mille rescapés
sont venus en Israël après leur libération. Vous voulez dire
que tous sont des malades mentaux ?" Et eux : "Certainement. Ce sont
eux qui peuplent nos hôpitaux psychiatriques. Ce n'est pas étonnant,
après toutes les épreuves qu'ils ont subies, comment auraient-ils
pu en sortir indemnes ? Vous en connaissez, vous, des rescapés bien portants
?"
- Oui, j'en connais tout un groupe. Tout ce qu'ils désirent, c'est se
comporter comme tout le monde, comme s'ils n'avaient passé par aucune
épreuve, afin qu'on ne puisse surtout pas les soupçonner d'être
des "survivants".
- Sans doute, nous en côtoyons aussi, mais nous ne le saurons jamais,
car ils se taisent, ils refusent de raconter. Leur silence est leur mécanisme
de défense qui leur permet de vivre une vie normale, la vie de tout le
monde. Si vous en connaissez et qu'ils acceptent de vous parler et de vous raconter
comment ils sont revenus du néant, et de quelle façon ils se sont
réintégrés dans la société, il est de votre
devoir d'écrire à leur sujet, car nous, nous ne pourrons jamais
le faire."
Et c'est vrai que je connais de très près tout un groupe de rescapés des camps, jeunes à l'époque. Ils ont fait partie des mille enfants, tous des garçons enfermés dans la baraque 66 à Buchenwald et libérés par les soldats américains le 11 avril 1945 . La France a envoyé un train et en a ramené 426 en juin 1945. C'est l'organisation juive OSE (Oeuvre de Secours aux Enfants) qui les a pris en charge, d'abord à Ecouis en Normandie où le gouvernement français avait mis à leur disposition un préventorium désaffecté. Ces enfants et adolescents étaient particulièrement farouches, méfiants, ils n'avaient confiance en personne et étaient bien malheureux, se retrouvant orphelins, seuls, alors qu'ils venaient souvent de familles nombreuses, leurs parents et tous leurs frères et soeurs ayant été massacrés dans les camps. En France, ils se sentaient étrangers, car ils étaient originaires de Pologne, Hongrie, Roumanie et ne voulaient en aucun cas retourner dans leurs pays d'origine, vidés de tout Juif. La plupart étaient faibles et en mauvaise santé. Par-dessus le marché, ils étaient très agressifs et pensaient que tout leur était dû, en compensation des grandes souffrances qu'ils avaient passées. Que deviendraient-ils dans la vie ?
Quelques semaines à Ecouis leur furent nécessaires pour retrouver un minimum de forces. L'OSE décida alors de les diviser en groupes plus petits et ouvrit plusieurs homes. L'OSE me confia la direction de l'un d'eux à Taverny, près de Paris, en collaboration avec une autre jeune fille, Niny... C'est ainsi que j'ai vécu avec quatre-vingt anciens Buchenwaldiens pendant plus de deux ans, de juin 1945 à fin 1947. Je les ai aimés, je ne les ai jamais jugés, je me suis attachée à eux et j'ai bien senti que c'était réciproque.
La plupart ne désiraient pas rester en France. C'était trop près de l'Allemagne, et de plus, la nourriture en France, tout de suite après la guerre, étant rationnée et très insuffisante, n'augurait rien de bon. Aussi, avons-nous envoyé la liste de leurs noms et de leur lieu d'origine à toutes les grandes communautés juives dans le monde, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, en Palestine. Beaucoup ont pu retrouver de lointains cousins qui les ont fait venir. D'autres, qui n'ont retrouvé absolument personne, sont partis en Australie ou au Canada qui ouvraient leurs portes. Nous attendions de leurs nouvelles avec impatience. Que ne fut notre déception et notre tristesse à la lecture de leurs premières lettres : "Je suis malheureux. II n'y a aucun langage commun avec ma famille. Mes cousins ne me comprennent pas, ils disent : "forget about it" (oublie tout cela), ne s'intéressent absolument pas au passé, à ce que nous avons subi, ma famille et moi. Ils regardent mon numéro tatoué et montrent mon bras à tout le monde. Je me sens comme une pièce de musée. J'ai quinze ans, ou dix-sept ans, comme leur fils. Ils veulent que nous soyons les meilleurs amis. Mais qu'ai-je de commun avec ce jeune qui ne s'intéresse qu'au base-ball ? J'ai commencé à travailler, je mets chaque cent, ou chaque peseta de côté, pour payer mon voyage de retour à Taverny et retrouver mes vrais frères". Que leur répondre? Qu'ils peuvent revenir ? A quoi bon, les homes, ce sont des refuges transitoires, l'OSE les fermera au fur et à mesure. Ils ne savent pas le français, que viendraient-ils chercher dans la vieille Europe? Aussi, délibérément, nous n'avons répondu à aucun, pensant qu'après la première réaction, ils nous oublieraient et qu'ils seraient alors prêts à se construire une nouvelle vie. Ensuite, évidemment, nous n'avons plus eu de leurs nouvelles. Nous pensions bien faire mais en même temps nous nous étions punies nous-mêmes, puisque nous les avions perdus. Niny s'est mariée à Paris, moi à Strasbourg. Lorsque nous nous retrouvions, et quelquefois seulement après de longs intervalles, nous parlions avec nostalgie de "nos" enfants. Qu'étaient-ils devenus ?
Aussi, quelle ne fut ma surprise de recevoir, après près de vingt ans de silence, une invitation à célébrer avec les "anciens" le vingtième anniversaire de leur libération, le 11 avril 1965 à New York. C'est là que j'ai retrouvé tous les Américains, je leur ai rendu visite, j'ai fait la connaissance de leurs familles, c'est comme si les vingt ans avaient été effacés, les sentiments étant inchangés, et leur fraternité au-delà de toute description. Lorsque je suis retournée en France, j'ai naturellement recherché les plus jeunes, ceux qui étaient allés à l'école en France, avaient bien appris le français et s'étaient installés à Paris. Puis lorsque nous sommes venus en Israël, je me suis mise à la recherche - et ai retrouvé des anciens de Taverny installés ici. Que ce soit à Paris, à New York ou à Jérusalem, vous faites de grands efforts pour en retrouver un - et ce n'est pas facile - alors vous les avez tous, car leur fraternité n'est pas un mythe, mais une réalité concrète.
Ils s'étaient, en général, remarquablement bien réinsérés dans la société, s'étant fait, comme on dit, une situation, que ce soit dans le domaine économique, universitaire ou religieux. Ils avaient fondé des familles, étaient des hommes intègres sur lesquels on pouvait compter. Seraient-ils d'accord de raconter comment ils y étaient arrivés ? Et ensuite, écrire quoi, un livre, un roman ? Leurs vies méritaient quelque chose de plus sérieux. Alors ? L'idée trottait dans ma tête, mais je ne savais pas comment la réaliser.
Puis, j'ai rencontré Elie Wiesel, un ancien de Buchenwald et de Taverny, qui a fait des études en Sorbonne et est devenu un grand écrivain, Prix Nobel de la Paix. Elie était d'avis que les psychiatres israéliens avaient raison, qu'il serait important qu'on décrive leur réinsertion et les différentes étapes qui avaient amené ces orphelins seuls au monde, faibles et démunis, à se créer une place dans la société. De plus, il pensait que ses camarades accepteraient de faire une exception, de me parler, de me raconter, et c'est pourquoi je ne devais pas me dérober. Mais sous quelle forme écrire tout cela ? Elie, qui est aujourd'hui professeur à l'Université de Boston, me conseille d'en faire une thèse de doctorat . "Je vais t'aider", me dit-il :" Une thèse de doctorat est une chose sérieuse qui convient au travail que tu veux faire : une étude fondée sur une recherche. Avant de l'entreprendre, il est indispensable d'établir un questionnaire. Construis-en un et envoie-le moi". Mais il n'y avait jamais assez de questions à son goût. Soixante ? "Non, ce n'est rien, il en faut au moins une centaine". Finalement j'ai élaboré un questionnaire divisé en cinq parties : avant la guerre, la guerre, la période qui a suivi les camps, réinsertion dans la société, la situation actuelle. En tout,131 questions. Elie a dit : "C'est bien, les questions forment un tout et tu peux commencer."
Munie d'un questionnaire si complet, j'ai pris contact avec les anciens de Taverny. Et tout d'abord, ceux habitant en Israël. Je leur ai parlé du doctorat, leur demandant de m'aider. Ils n'étaient pas enchantés, mais presque tous ont dit : "Tu sais que nous n'aimons pas parler, mais nous ne pouvons rien te refuser". Ils ne voulaient pas que je vienne chez eux, que leur famille les écoute. Aussi, ils sont venus chez moi, dans le coin le plus reculé de l'appartement, souvent dans la cuisine déserte. Je préparais une cassette, mettais en route le magnétophone, sortais mon merveilleux questionnaire, mais eux, effrayés : "Comment, des questions, nous sommes au camp ? Ou bien tu ranges ton questionnaire et nous racontons, ou bien on s'en va". Après deux ou trois réactions de ce genre, je n'ai plus du tout osé le montrer. Je suis d'ailleurs sûre que si leurs témoignages ont été si francs, si sincères, si complets, c'est parce que la forme narrative convient mieux à l'effort de mémoire que des questions.
Puis, j'ai fait part de mon projet aux Parisiens et aux Américains,
en écrivant une lettre à chacun d'entre eux. Comme j'étais
venue spécialement de Jérusalem, ils n'avaient pas le choix et
se sentaient obliger de m'inviter chez eux, de préférence à
dîner, et comme ils tenaient à ce que je voie aussi leurs enfants,
ces derniers étaient présents. Le dîner était gai,
on en était déjà au dessert, je voyais le maître
de maison réticent, faisant traîner la conversation. Mais je ne
pouvais oublier le but de ma visite. A un moment, j'ai sorti mon magnétophone,
je l'ai posé au milieu de la table : "Tu sais, David, je t'ai écrit
que je suis venu pour enregistrer ton histoire."
David ne pouvait plus se dérober. Dans chaque famille, ce fut le même
scénario. Le père commence à raconter. Le fils aîné
se tourne vers moi : "Attendez une minute, je vais chercher une cassette
et faire marcher notre appareil. Papa n'a jamais rien raconté, je veux
l'enregistrer aussi pour nous." David recommence. Nouvelle interruption,
sa femme se met à pleurer. Je la regarde, je la comprends. Elle doit
se sentir blessée : à moi, il n'a jamais rien voulu raconter,
et pourtant nous sommes mariés depuis si longtemps et à cette
dame, en visite, il n'hésite pas à parler. De plus, ai-je pensé,
elle se rend compte pour la première fois combien son mari a
souffert, elle l'ignorait et pleure pour lui. Que dois-je faire, m'interrompre
à nouveau,
consoler l'épouse ? Je suis venue pour écouter l'histoire de David,
si je commence
à m'apitoyer sur elle , finie la cassette, adieu l'enregistrement. Quelquefois,
le maître de maison se refusait obstinément à parler. Et
c'est lorsqu'il me raccompagnait à mon hôtel dans sa voiture, qu'il
était au volant et regardait droit devant lui, qu'il commençait
à parler, à raconter. Curieusement, j'ai presque toujours reçu
des "feed-back" de ma soirée chez eux. Les enfants ou l'épouse
disaient ou écrivaient :" Depuis votre visite, l'atmosphère
est toute différente à la maison. Le silence de papa, le non-dit,
le brouillard qui entourait son passé, nous pesait. Et nous n'osions
pas le questionner. Depuis que nous savons, nous nous sentons tous soulagés,
et nous sommes plus gais".
Finalement, après mon petit tour du monde, j'avais plus de soixante cassettes, que j'ai transcrites. Un grand travail. Après lecture et relecture, j'ai écrit au professeur Freddy Raphaël (mon directeur de thèse) : "J'ai pu réunir plus de soixante témoignages de jeunes survivants, suffisamment pour faire une recherche et établir des statistiques sur leur comportement en fonction de leurs âges, de leur lieu d'origine, etc., mais après longue réflexion, je me refuse de faire un tel travail et cela pour deux raisons chaque histoire est unique, elle est une entité en soi, fondée d'une part sur le caractère inné du jeune, et d'autre part, sur sa propre façon d'avoir vécu et ressenti ses épreuves. Son histoire ne peut donc pas, à mon avis, être découpée en éléments ou en thèmes. De plus, ces survivants ont tellement souffert que m'en servir comme cobayes pour obtenir un doctorat, m'est une idée insupportable. Aussi, je propose de supprimer toute statistique et de publier in extenso, tels qu'ils ont été racontés et enregistrés, quinze témoignages : cinq de France, cinq d'Israël et cinq des Etats-Unis". Le professeur F. Raphaël m'a tout de suite donné son accord. Autrement d'ailleurs, j'aurais renoncé à ce travail et à mon doctorat.
Le 3 avril 1981, j'ai présenté ma thèse à la faculté des Sciences Humaines de l'Université de Strasbourg et j'ai obtenu : Très honorable. J'en ai été très fière, pensant avoir atteint les cimes, mais je n'ai compris que plus tard qu'il manquait six mots. Si j'avais obtenu la mention : Très honorable avec félicitations du jury, l'université aurait publié ma thèse. Sans cette mention, la thèse finirait, comme tant d'autres, dans un coin obscur des bibliothèques où elle se couvrirait d'une épaisse poussière grise.
Pourtant il n'en fut pas ainsi. A cette époque, à Jérusalem,
nous recevions régulièrement la visite d'une jeune fille belle
et remarquable, Jacqueline Tibault, assistante sociale de l'association caritative
Terre des Hommes, domiciliée à Lausanne. Un jour, Jacqueline nous
téléphone :
- Je suis empêchée de venir dîner chez vous ce vendredi soir
comme d'habitude, car j'ai la visite de mon patron, Edmond Kaiser, le directeur
de Terre des Hommes.".
- Mais, dis-je, amenez-le, nous serons contents de faire sa connaissance.
Un homme âgé, très dynamique, à l'écoute des
autres et plein de sagesse. A la fin du repas, il dit :
- Je regrette d'être obligé de retourner à Lausanne dimanche,
car je suis en train de lire votre thèse de doctorat. Elle est très
passionnante et je crains de ne pas pouvoir la finir avant mon départ.
- Je regrette de ne pas pouvoir vous la donner car j'ai trop peu d'exemplaires,
mais je vous fais confiance, je vous la prête et vous me la renverrez
dans quinze jours.
Au bout d'une semaine, M. Kaiser me téléphone :
- Votre thèse est si intéressante que je voudrais la montrer à
un éditeur de mes amis, Pierre-Marcel Favre.
- Je ne crois pas à la publication d'un livre, mais vous pouvez tout
de même la lui prêter pour quinze jours.
Ensuite c'est M. P.M. Favre qui m'a téléphoné :
- Votre doctorat est passionnant. Il faut en faire un livre.
- M. Favre, je ne vous connais pas, mais vous ne vous rendez pas compte que
vous allez perdre de l'argent ? Les lecteurs ne s'intéressent pas à
ces histoires anciennes.
- Je tiens quand même à ce que vous en fassiez un livre et cela
pour trois raisons : tout d'abord, je suis jeune. Pour moi, la seconde guerre
mondiale, c'est de l'histoire et même de l'histoire ancienne. Aussi, lorsque
vous décrivez des rescapés qui vivent aujourd'hui parmi nous,
je trouve que le monde devrait le savoir. Deuxièmement, je suis Suisse,
nous avons véu trop loin de toutes les atrocités. Mon pays doit
les connaître, doit savoir. Troisièmement, je suis catholique,
et pour nous, vos témoignages sont particulièrement intéressants
car ils nous ouvrent d'autres horizons. Mais, ne croyez pas que je sois un philanthrope.
Je suis sûr que votre livre deviendra un best-seller. Savez-vous comment
un livre devient un best-seller ? Il faut tout d'abord que la première
phrase soit aguichante, qu'elle éveille la curiosité du lecteur,
qui continuera à se plonger dans le livre, ne le lâchera pas avant
de l'avoir terminé et en parlera le lendemain à son travail. Et
puis, le style doit être un style parlé, celui du Reader's Digest.
Vous sentez-vous capable de réécrire votre thèse en un
livre de 200 pages environ, style Reader's Digest ?" Je lui avouai que
je n'avais jamais ouvert ce magazine, mais que j'allais l'acheter immédiatement.
- Rappelez -moi demain, je vous donnerai ma réponse.
Et bien, j'ai trouvé le Reader's Digest excellent.
Aussi, le lendemain, j'accepte la proposition de M. Favre. Quelques jours après, je reçois un contrat, me donnant une date limite pour envoyer mon manuscrit. Il s'occupera de tout, y compris des traductions Je le prends pour un utopiste, mais c'est moi qui me suis trompée. C'est ainsi que le livre Les enfants de Buchenwald a paru à Lausanne en 1985 et qu'il est effectivement devenu un best-seller. Tous les journaux en ont parlé, commencer par France-Soir qui lui a consacré toute une page sous le titre: Ceux qui parlent et ceux qui se taisent, puis Le Monde, où il est cité deux fois, et même le magazine Votre Beauté, sans compter les journaux suisses y compris le bulletin de la Migros. Puis parurent les traductions hollandaise, puis anglaise, allemande (en livre de poche), vendue dans toutes les gares, enfin hébra?que. Le livre a été vite épuisé dans toutes les langues, et vient d'être réimprimé en anglais. J'ai reçu beaucoup de réactions. Lorsque les gens m'écrivaient ou me disaient : "Votre livre m'a beaucoup plu, je l'ai lu d'un trait. Je l'ai commencé et ne pouvais plus m'arrêter" (merci M. Fabre), je répondais : "Merci beaucoup, vous êtes très aimable" Mais aux personnes qui me disaient "J'ai lu votre livre, il m'a bouleversé, je n'en ai pas dormi", je répondais : "Vous avez sûrement une histoire personnelle se rapportant à cette période. Venez me la raconter, cela m'intéresse". Ils sont venus, j'ai enregistré leurs témoignages. Ce sont leurs histoires qui sont relatées dans ce nouveau livre. Par ailleurs, quelques garçons de Buchenwald, perdus de vue depuis plus de cinquante ans, m'ont retrouvée et ont parlé. Retrouvée comment ? Je vous cite un exemple : Israël, un ancien de Buchenwald, membre du groupe de ceux qui avaient étés recueillis en France par l'OSE, a quitté Paris pour Melbourne en 1948. II s'y est marié avec une réfugiée d'origine belge dont la soeur est peintre en Hollande. Un jour, celle-ci fait une exposition et une critique en paraît dans un journal à Amsterdam. Elle envoie naturellement la coupure du journal à sa soeur à Melbourne, qui, après avoir lu l'article, retourne la page. Surprise. Elle y découvre le compte-rendu de mon livre traduit en hollandais : Die kinderen van Buchenwald. Ils écrivent au journal, qui les envoie à l'éditeur hollandais ; enfin, via Lausanne, ils me retrouvent à Jérusalem. Un autre en a vu une critique dans un journal suédois qu'il lisait dans le train qui le menait à Stockholm pour rendre visite à une relation d'affaires. Tout ému, il lui montre le journal. Surprise : le client était également un survivant des camps, libéré à Buchenwald. Ils se connaissaient depuis des années, mais n'avaient jamais évoqué leur passé. D'autres témoignages sont le récit de voisins et de connaissances. L'ensemble de ces vingt-trois témoignages est une preuve supplémentaire du courage et de la ténacité de ces survivants "revenus du néant", histoires qui ne doivent pas se perdre et que le monde doit connaître.
Extraits du livre |