Des restes de victimes de l'anatomiste nazi August Hirt, conservés dans un bocal et des éprouvettes, ont été découverts récemment à l'institut de médecine légale de Strasbourg.
Cette découverte, inattendue, a été faite le 9 juillet par Raphaël Toledano, qui est à la fois médecin et historien , auteur de plusieurs travaux sur la question, dont Le nom des 86, un documentaire réalisé par Emmanuel Heyd.
Raphaël Toledano, membre du comité scientifique du Struthof, mène depuis de nombreuses années des recherches sur les victimes du nazi August Hirt. Ses recherches sont parties des doutes et des rumeurs qui couraient sur la conservation de restes de victimes de l'anatomiste nazi dans les locaux de l'Institut d'anatomie, après la seconde guerre mondiale. Avec le concours du directeur actuel de l'Institut de médecine légale de Strasbourg, le Pr Jean-Sébastien Raul, le chercheur est parvenu à identifier plusieurs pièces, parmi lesquelles "un bocal contenant des fragments de peau d'une victime de chambre à gaz". Il a également découvert "deux éprouvettes renfermant le contenu de l'intestin et de l'estomac d'une victime et un galet matricule utilisé lors de l'incinération des corps" au camp de concentration alsacien de Natzweiler-Struthof. Ces restes appartiennent à plusieurs des 86 victimes d'un projet de "collection de squelettes juifs" voulu par August Hirt.
En effet, pendant l'Occupation, les nazis avaient créé à
Strasbourg, en Alsace annexée, la Reichsuniversität,
dont l'institut d'anatomie était dirigé par August Hirt qui
menait des recherches pour légitimer la théorie nazie des races.
La chambre à gaz du camp du Struthof servait essentiellement à des expérimentations de gaz de combat sur les détenus. 86 Juifs, venus d'Auschwitz y furent assassinés, et leurs corps
entreposés à l'université de Strasbourg. Les nazis voulaient en faire des spécimens d'une race vouée à l'extermination.
La majeure partie des restes, en grande partie découpés, avait
été retrouvée par les Alliés peu après
la libération de Strasbourg en 1944, et rapidement inhumée dans
un cimetière juif.
Les pièces retrouvées à présent sont des éléments
qui avaient été conservés par un professeur de médecine
légale de la Faculté de médecine de Strasbourg,
Le Professeur Camille Simonin avait été mandaté par le tribunal militaire de Nuremberg pour réaliser des autopsies judiciaires sur les corps des déportés. A la libération de Strasbourg en 1944, ce médecin français devait établir les causes et circonstances de la mort des victimes assassinées au nom d'un projet de "collection de squelettes" du SS August Hirt, dans le d' "établir les conditions ayant conduit à la mise à mort délibérée" des victimes.
Dans ses recherches, Raphaël Toledano a été aiguillé
par une lettre de ce professeur datant de 1952, qui faisait "mention de "scellés"
contenant des prélèvements effectués au cours des autopsies
judiciaires réalisées sur les victimes juives de la chambre
à gaz du Struthof".
"On a recherché les bocaux décrits dans la lettre de Camille
Simonin et au bout de quelques minutes on a retrouvé un bocal qui contenait
des morceaux de peau d'une victime".
"Il y avait une étiquette qui faisait mention d'une victime avec
le numéro de matricule 107969 correspondant à une victime qui
s'appellait Menachem Taffel", un juif de Berlin déporté
vers Auschwitz en 1943, "sélectionné" au Struthof
en juin 1943, et assassiné en août. (1)
Très vite, on a découvert aussi deux éprouvettes,
l'une d'elle documentant le "contenu d'un estomac" - des épluchures
de pommes de terre - qui devait témoigner du dernier repas ingéré
par une victime juste avant son assassinat.
La municipalité entend remettre les pièces découvertes à la communauté juive de Strasbourg. Elles feront l'objet d'une inhumation et doivent rejoindre les restes des victimes enterrés au cimetière israélite de Cronenbourg à l'ouest de la métropole alsacienne.
Réaction de Georges Federman
Depuis 1992, le Docteur Georges Federman se consacre inlassablement à faire entendre la voix de ces 86 victimes juives exterminées au camp du Struthofm est c'est ce qui l'a conduit à créer le Cercle Menahem Taffel. Les derniè res découvertes lui ont inspiré les réflexions suivantes :
La découverte de mon ami Raphaël Toledano nous montre
que le drame des 86 est refoulé, pas seulement par la Faculté
de médecine de Strasbourgn mais par l'ensemble des facultés
du pays.
Tout se passe comme si on refusait toujours d'admettre que l'adhésion
de nos collègues médecins de l'époque au nazisme était
structurelle.
On continue à nous faire croire qu'elle était accidentelle et
donc que les Marginalisés de nos sociétés démocratiques
ne risquent plus rien du fait des postures politiques que pourrait adopter
la corporation médicale.
Il nous donc continuer à encourager l'enseignement du drame des 86
tout au long des études médicales.
Il faut remettre le rapport d'autopsie des 86 par Simonin, Fourcade et Piedelievre
à tous les étudiants en première année de médecine.
Il nous faut valoriser l'accueil aux cabinets médicaux des "juifs
d aujourd'hui" à savoir de tous ceux qui , toutes proportions
gardées, se retrouvent en position de réprouvés, au coeurr
même de notre propre société.
Il nous faut encourager de jeunes chercheurs germanophones à développer
nos recherches, sous la direction du professeur Christian Bonah.
Il nous faut créer une commission d'enquête juridico-historique
sur les collections anatomiques, histologiques et embryologiques à
Strasbourg.
Il ne faut pas stigmatiser Strasbourg : la responsabilité est collective
et nationale.
J'ai fait la majeure partie de mes études de médecine à Strasbourg de 1957 à 1964.
C'est en seconde année que nous ont été présentés lors des travaux pratiques d'anatomie des bocaux contenant des pièces anatomiques .
Nous devions dessiner ce que nous voyions et désigner par écrit les éléments que nous avions sous les yeux .
Un de ces bocaux contenait une coupe du thorax avec coeur et poumons . Les poumons que j'avais devant moi étaient de couleur bleue .
Or, on nous avait enseigné que les poumons du nouveau-né étaient roses et que progressivement avec l'âge ils se coloraient en gris .
Ceux que j'avais sous les yeux étant bleus, j'appelle l'enseignant pour avoir l'explication de cette coloration anormale. Il m'explique qu'il s'agit d'un homme qui a été gazé , et que le gaz en question était bleu ...
Les années passant j'avais enfoui dans ma mémoire ce souvenir jusqu'à une conférence faite à Mulhouse il y a environ cinq ans sur la Faculté de médecine de Strasbourg à l'époque nazie et plus récemment la lecture du livre de Michel Cymes.
Michel Cymes dans Hippocrate en enfer raconte (page109 ) que lors de sa visite à l'Institut d'anatomie de Strasbourg il lui a été dit : les bocaux de l'Institut "contiennent des pièces anatomiques qui pour 99% sont antérieures à 1918. Il n'y a rien de la période nazie". Les pièces qui y sont ne concerneraient donc pas les concentrationnaires juifs de Natwiller (! ?)
Il s'agit en fait d'un mensonge , d'une contre-vérité qui me blesse profondément.
Mon père étant mort à Auschwitz je ne peux que réagir violemment à ce genre de déni de la vérité .
De plus, d'après le témoignage de médecins plus jeunes que moi que j'ai interrogés, ces coupes anatomiques (réalisées techniquement de façon remarquable hélas, ce qui peut-être explique cela ) ont continué pendant de nombreuses années encore à servir à l'enseignement des étudiants en médecine sans que cela ne choque personne ...
C'est seulement depuis peu que l'on dit dans les milieux officiels avoir honte de ce qui a été fait aux juifs pendant la guerre.
Est-ce pour autant une raison pour déguiser la vérité , pour " couvrir " ces Professeurs qui ont pratiqué ce type d'enseignement après la guerre sans se poser de questions ?
Prodiguer la "science sans conscience " est-ce excusable et doit-on les protéger ?
Note :