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115 personnes furent ainsi sélectionnées à Auschwitz
et transférées jusqu'au Struthof pour y être gazées
dans la chambre spécialement aménagée à cet effet
.
86 personnes périrent gazées (on ne sait pas ce que sont devenues
les autres) et leur corps furent transférés à l'Institut
d'Anatomie Normale des Hospices civils de Strasbourg durant le mois
d'août 1943.
L'employé français Henri Henri pierre devra participer la conservation
les cadavres dans l'alcool et prendra note, probablement au péril de
sa vie, de la liste des 86 matricules (sur l'avant-bras gauche des victimes).
Hirt séparait les têtes et étoffait sa collection de squelettes.
L'irruption des alliés le 23 novembre 1944 l'empêchera de se
débarrasser des corps.
On en retrouvera 17 intacts et 166 segments de corps appartenant à
64 personnes au moins .
Je dois dire que je n'ai appris l'existence de ces crimes qu'en
1992, c'est à dire longtemps après la fin de mes études
entièrement réalisées à Strasbourg.
Cela m'a beaucoup interrogé depuis et je me suis souvent demandé
quelle pouvait être les causes d'un tel avatar dans la transmission
de cette page sombre de l'histoire de la médecine à Strasbourg.
Je continue à m'interroger.
Par la suite, j'ai eu droit, comme beaucoup aux anecdotes et aux rumeurs faisant état de l'utilisation en T.P., après-guerre, de matériel anatomique ou embryologique datant de cette période sombre.
A ce sujet les indications des professeurs Heran et Le Minor qui affirment qu'il n'y a jamais eu de coupes anatomiques constituées à partir des corps des martyrs juifs et tsiganes sur lesquelles auraient travaillé les étudiants en médecine, sont nuancées par le courrier des lecteurs du Monde Diplomatique d'août 1993 où le Dr Charles Mager écrit : "c'est l'époque après la Libération. Je suis étudiant en médecine, première année. J'entre dans la grande salle d'autopsie de l'université de Strasbourg. Je m'apprête à commencer la dissection du cadavre. Je m'aperçois que tout son corps est parcouru de profondes meurtrissures. Il est circoncis. A titre de curiosité, je me mets à parcourir toute la salle de dissection, en m'arrêtant attentivement devant chaque table. Tous les cadavres, hommes et femmes, sont profondément marqués par des coups. La plupart des hommes sont circoncis. Je retourne à ma place. Le professeur d'Anatomie me dit de commencer la dissection. Je ne puis. Je suis dégoûté . J'ai envie de vomir. Je décide de réunir, au milieu de la salle, un comité de tous les étudiants juifs, pour protester. Ils n'osent, ils ont peur, ils se dérobent. Alors, seul, décidé à agir, je me rends, par une nuit froide d'automne, chez le rabbin de la ville pour lui fournir toutes les explications. Le lendemain, tous les cadavres, qui de leur vivant ont été torturés à mort, ont disparu de la salle de dissection." (4) Jacques Heran précise que : "contrairement à une légende tenace, les pauvres restes des victimes juives de Hirt au Struthof, retrouvés à la Libération dans les cuves de l'Institut d'Anatomie, n'ont jamais été donnés à disséquer aux étudiants français, et aucun fragment n'est conservé dans des bocaux" (5) . Jean-Marie Le Minor affirme, quant à lui : "Depuis les procédures judiciaires rigoureuses de 1945, l'Institut d'Anatomie Normale de Strasbourg ne conserve plus aucun élément anatomique de la période nazie" (6) .
Pouvait-on espérer retrouver un jour plus d'éléments biographiques en s'appuyant sur le passage du livre de Kogon, Langbein et Ruckerl qui précisait qu'à Auschwitz "L'envoyé spécial chargé de réunir le matériel (...) devra prendre une série de photographies déterminées à l'avance, effectuer des mesures anthropologiques et, autant que possible, établir l'origine, la date de naissance et le maximum de détails personnels sur les prisonniers" ? (7)
Inspirés par 2 chercheurs du CNRS de Strasbourg, Bruno Escoubes et Jacques Morel auxquels je m'étais associé dès 1992, nous avons développé une réflexion sur le sens de la participation de médecins et de scientifiques reconnus à de tels crimes. Nous ne comprenions pas qu'à peine 50 ans plus tard (dix ans de plus sont passés depuis), des étudiants puissent fouler le sol des mêmes locaux sans plus avoir conscience du drame qui s'y était déroulé. Comme c'est toujours le cas actuellement.
L'oubli s'impose jour après jour.
Que vaudrait une vie sans Mémoire et sans Histoire et quel sens ultime
pourrait avoir la mort de ces 86 victimes ?
Que vaudrait la vie de Monsieur MENACHEM TAFFEL, seule victime identifiée
jusqu'alors?
Qui se souviendrait de son arrestation à Berlin en 1943 ainsi que de
celles de sa femme Klara, 44 ans, et de leur fille Ester Sara, 15 ans.
Qui se souviendrait de leur déportation à Auschwitz-Birkenau
le 13 mars 1943 ?
Qui se souviendrait de la mort immédiate de Klara et d'Ester
dès leur arrivée ?
Et qui se souviendra que c'est la profession médicale qui a adhéré dans la plus forte proportion au parti nazi ? (8)
En 1995 j'ai pu prendre contact avec le Docteur Roland Knebusch, psychanalyste
à Kehl en Allemagne alors qu'il tentait, de l'autre côté
du Rhin d'honorer la mémoire de 9 résistants français
du réseau Alliance exécutés par la gestapo.
Nous avons aussitôt reconnu la convergence de nos points de vue et de
nos combats et c'est par le détour de l'Allemagne, si j'ose dire, que
la première reconnaissance officielle des forfaits du professeur Hirt
a pu se faire lors de deux cérémonies au cimetière israélite
de Cronenbourg dont la première eut lieu le 8 mai 1996 (et la seconde
le 20 octobre1996) à une date éminemment symbolique, jour anniversaire
de l'armistice de 1945.
Sur des tombes juives, des médecins allemands et français, juifs
et non juifs ont rappelé que la médecine avait avant tout une
vocation humaniste et universaliste et que l'horreur devait être à
jamais et pour toujours dénoncée et combattue.
C'est, en effet, le 21 juin 2003, que le tribunal administratif de Lyon a
restitué au négationniste Mr Jean Plantin des diplômes
qui avaient été annulés pour irrégularité.
M. Plantin est donc désormais apte à enseigner l' histoire .
Il pourra s'appuyer sur son sujet de maîtrise consacré à
Paul Rassinier , "père du négationnisme , qui explique
que les juifs n'ont pas été exterminés par les nazis,…"
et sur celui de son DEA où il affirme que les déportés
sont morts de maladie, dans les camps.
Ernst Klee révèle son identité en s'appuyant, précise-t-il
en notes sur les informations fournies par le Dr Knebusch de Kehl. (9)
Patrick Wechsler l'évoque dans sa thèse remarquable rédigée
en 1991. (10)
Le Professeur Jacques Heran le cite dans son monumental ouvrage : Histoire
de la médecine à Strasbourg. Il précise aussi qu'il
"..faut enfin le dire : cette Faculté (de médecine allemande)
eut des pages claires, dont quelques-unes furent belles; quand aux zones d'ombre,
l'intensité de leur noirceur ne doit plus être maladroitement
sous-estimée." (11)
Mais revenons à Ernst Klee qui rapporte la réflexion du Dr. Grafe, assistant du Pr. Haagen.Celui ci poursuivait au Struthof des expérimentations sur des cobayes dans le cadre de recherches sur les virus : "On ne prend que des Polonais, pas des Alsaciens, les Polonais ne sont pas des êtres humains" (14) .
Lors de son procès , les témoins directs comme Josef Kramer, dernier vommandant de Natzweiler-Struthof, sont interrogés. Il rapporte en juillet 1945 : "(…) Au début d' août 1943, je reçus donc les quatre-vingts internés destinés à être supprimés à l'aide des gaz qui m'avaient été remis par Hirt. Je commençai par faire conduire à la chambre à gaz, un certain soir vers 9 heures, à l'aide d'une camionnette, un premier groupe d'une quinzaine de femmes environ. Je déclarai à ces femmes qu'elles devaient passer dans la chambre à désinfection, et je leur cachai qu'elles devaient être asphyxiées. Assisté de quelques SS, je les fis complètement déshabiller et je les poussai dans la chambre à gaz alors qu'elles étaient toutes nues. Au moment où je fermai la porte, elles se mirent à hurler (...) J'allumai la lumière à l'intérieur de la chambre à l'aide d'un commutateur (...) et j'observai par le regard extérieur ce qui se passait à l'intérieur de la chambre. Je pus constater que ces femmes continuaient à respirer environ une demi-minute, puis elles tombèrent à terre" (15) .
Le Français Henri Henripierre se souvient de l'arrivée des corps des suppliciées : "(...) Les corps sont arrivés pas encore rigides; les yeux étaient encore grand ouverts et brillants. Ils sortaient des orbites, rouges et congestionnés. En outre, des traces de sang se voyaient autour du nez et de la bouche" (16) .
Kogon, Langbein et Ruckerl évoquent aussi la mort de détenus
gitans, un an plus tard, vers la mi-juillet ou début août 1944,au
Struthof. Ceux-ci furent exposés au phosgène , un gaz incolore
qui avait été utilisé comme gaz de combat pendant la
première guerre mondiale (et dont Hitler fut lui-même victime)
: "Himmler demanda alors (à BICKENBACH) pour améliorer
la qualité des résultats de l'expérience, qu'on
soumette simultanément au gaz des sujets d'expérience
protégés (par l'urotropine) et des sujets non protégés.(...)En
quatre expériences, on exposa au gaz chaque fois deux détenus
protégés et deux détenus non protégés .
A ces derniers on donnait l'illusion d'une protection à
l'aide de placebos."
De ces détenus non protégés, continuent Kogon et collaborateurs
, dits « sujets de contrôle », trois moururent finalement
d'un œdème du poumon dans d'horribles souffrances
en crachant le sang »(17)
Les témoins voient ces corps déshabillés avant l'exécution
et dont l'avant-bras gauche est marqué d'un numéro
à 5 chiffres ou à 6 comme pour le 106969 de TAFFEL.
Des corps que l'on va parfois brûler ou conserver (18)
.
Jean-Marie Le Minor revient dans son ouvrage de référence sur
ces autopsies auxquelles le futur Professeur Singer participe :"Le
volumineux rapport d'expertise médico-légale de C. Simonin,
R. Piedelievre et J. Fourcade décrit méticuleusement l'autopsie
de 17 sujets entiers , et de 166 segments de corps appartenant à 64
personnes au moins ; toutes présentant les signes d'une mort
par inhalation d'acide cyanhydrique." (20)
Yves Ternon le dit bien :"Les Juifs, comme les malades mentaux et les
Tziganes, sont marqués et transportés comme du bétail,
gazés comme de la vermine, brûlés comme de l'ordure."
De surcroît et «de même que l'exclusion des Juifs
a amené du profit, leur destruction doit rapporter. Comme race, les
Juifs sont condamnés à une mort immédiate. Celle-ci peut
être différée s'ils sont perçus comme instrument
de production ou comme cobayes pour des expérimentations humaines conduites
par des médecins. Auschwitz représente la forme la plus accomplie
de domination de l'homme par l'homme.(...) De A , sa première
lettre, à Z, sa dernière ; Auschwitz épelle l'alphabet
de l'horreur." (21)
Patrick Wechsler rappelle :
"Les essais doivent commencer à petite échelle
: dix détenus. Ceux-ci viendront du Struthof. Nous l'avons vu
, ils doivent être en bon état, pour que les résultats
des recherches soient applicables à la troupe (corps reconstitués
et revitalisés), doivent donc recevoir le régime alimentaire
de l'équipe de surveillance du camp. Cela va sans dire que le
régime habituel est maigre. En ces temps de guerre, il est tellement
difficile d'obtenir un repas correct pour ces dix détenus, que
le SS-Obergrupenführer et Général des Waffen SS Oswald
Pohl, chef de la direction générale des camps de concentration,
est obligé d'intervenir en personne auprès des instances
responsables, afin de rappeler le rôle de l'Ahnenerbe."
Autre surprise, le Patrimoine Ancestral non seulement a du mal à obtenir
ces repas, mais en plus est obligé de payer 40 marks par détenu
et par mois. Sievers fait les comptes et totalise 4000 marks pour dix détenus,
sur une période de dix mois.
Cette pensée le met hors de lui : "Quand je pense à nos recherches en science militaire menées au camp de concentration de Dachau, il faut que je signale avec éloge de quelle façon généreuse et pleine de compréhension nos travaux y ont été soutenus…Il n'y jamais été question de payer les détenus. A Natzweiler on semble vouloir tirer beaucoup d'argent de l'occasion." (22)
Les meurtres de masse dont l'inspiration est inscrite dans les lois de 1933 évont ouvrir de nouvelles possibilités à la recherche en psychiatrie et en anthropologie (notamment par l'examen des cerveaux des martyrisés) (24) .
Benno Muller-Hill rappelle que les psychiatres "ayant reçu une formation médicale se voyaient fort bien faire de remarquables diagnostics sur les maladies mentales(...) Mais ils n'avaient aucun pouvoir thérapeutique…" Il dit bien que jusqu'à la fin des années vingt, il n'existait aucune thérapie pour les grands troubles psychiatriques. Il ajoute que le message essentiel des textes rédigés par les médecin de la SS et du parti étaient caractérisés par "l'horreur que l'on éprouve face aux malades mentaux et aux Juifs" (25) .
Et Jean-Pierre Baud le reprend, précisant que :"Dans l'esprit
des nazis, le génocide des Juifs et des Tsiganes étaient indissociable
de la stérilisation et de l'euthanasie de certains malades et
infirmes ; il s'inscrivait ainsi dans un ensemble de mesures sanitaires
destinées à préserver la race."
"Les savants nazis ont abondamment traité de la gangrène ou
de la tumeur cancéreuse dont il fallait débarrasser le peuple
allemand. Tel est bien le concept qui, au carrefour, du juridique et du scientifique,
peut donner naissance au système institutionnel du génocide.
Le génocide est le produit de la rencontre de deux facteurs,(...)
: il faut d'abord un système de légalité scientifique
dominé par une théologie, à entendre comme une discipline
qui développe une érudition à partir d'un certain
nombre de dogme; -il faut aussi que cette police du monde des sciences soit
présentée comme destinée à défendre ce
qu'on peut appeler l'être collectif, c'est à
dire une réalité non seulement intellectuelle, mais encore corporelle,
regroupant les individus appartenant à une communauté humaine.
Si l'on compare la légalité scientifique médiévale
à celle de l' Allemagne nazie, on aperçoit dans les deux
cas un monde des sciences dominé par une théologie fonctionnant
comme un système défensif de l'être collectif et
pouvant conduire au génocide, l'originalité du système
nazi se limitant à une transcription médicale du pouvoir théologique
et à une définition raciale de la défense physique de
l'être collectif ." (26)
Aujourd'hui, nous nous devons de nous interroger sur le fait de savoir
si les thèses eugénistes et le spectre de l'euthanasie active
sont-devenues lettre morte .
La réponse négative à cette question fondamentale nous
impose d'enseigner aux étudiants actuels l'Histoire de la
science(dont la médecine) sous le troisième Reich.
"Comment la pratique d'une science normale – et d'une
science de premier plan!- a-t-elle pu déboucher sur l'anormal
de l'horreur, (...).Quoi qu'il en soit, lorsqu'on est
en présence d'un « dérapage »aussi généralisé,
et même si ce sont les hommes qui sont pleinement responsables de leurs
actes devant la justice, il ne peut plus être question de la seule responsabilité
individuelle.
La science (et notamment l'anthropologie) l'est incontestablement
sur « le triple plan de la collaboration politique, scientifique et
"pratique"." (27)
Ternon parle de : "l'émergence en Allemagne d'une mentalité génocidaire. (Ce crime) n'eût pas été concevable si, insensiblement, le racisme biologique ne s'était substitué à l'éthique humanitaire, si l'idée d'euthanasie -l'aide apportée à celui qui souffre et dont la mort est certaine et imminente -n'avait pas été inversée pour devenir la suppression des "vies indignes d'être vécues". Dans ce meurtre, le vocabulaire joue un rôle déterminant. On parlait en Allemagne dès les années vingt des malades mentaux comme d'"enveloppes vides", de "semi-humains», d'"esprits morts", "d'existences superflues". "La prescription du meurtre est donnée par Hitler dans un ordre antidaté du 1er septembre 1939, ce qui indique la volonté du Führer d'exploiter la guerre pour camoufler la perpétration de meurtres collectifs. C'est le seul ordre de meurtre rédigé par Hitler." (28)
"Cette ordonnance est "honorée" au-delà de la lettre par des médecins «prêts à prescrire des sacrifices et à ébaucher des théories du sacrifice pour toute personne qui les y autoriserait. Les professeurs en anthropologie, en psychiatrie et en éthologie devinrent ainsi les théologiens d'un nouveau culte de Baal, et les médecins praticiens en furent les prêtres." (29)
"Le national-socialisme n'était-il pas "de la biologie appliquée à la politique", selon le mot fameux de Hans Schemm? Le professeur Eugen Fischer, chef de file de l'anthropologie biologique en Allemagne et directeur de l'Institut Kaiser-Wilhelm d'anthropologie, de génétique humaine et d'eugénisme, écrivait en 1943 d'une façon on ne peut plus claire: «C'est une chance rare et toute particulière, pour une recherche en soi théorique, que d'intervenir à une époque où l'idéologie la plus répandue l'accueille avec reconnaissance et, mieux, où ses résultats pratiques sont immédiatement acceptés et utilisés comme fondement de mesures prises par l'Etat." (30) On ne peut pas être plus clair. "Le médecin nazi est un médecin du peuple; pas de cet ensemble d'individu qui relève d'une administration sanitaire, mais d'un être collectif individualisé, le Volk, d'un être possédant un corps, le Volkskörper. Pour le médecin nazi, le concept de la guérison est celui de la guérison totale, la guérison du Volk par tous les moyens thérapeutiques , même par l'intervention chirurgicale pratiquée sur le Volkskörper." (31)
C'est cette logique qu'il faut saisir, comprendre et enseigner pour éviter
les répétitions.
Il faut aussi rappeler que les "théories racistes , les programmes
d'eugénisme, et même d'euthanasie, avaient touché la plupart
des pays occidentaux", et ce jusqu'aux années 30 (du 20 ème
siècle) (33).
Nuremberg ne frappa que des exécutants.
Qui se souvient que plus de la moitié des médecins autorisés
à exercer en Allemagne avaient soutenu le régime par leur adhésion
au parti nazi, donc partagé la responsabilité de ses crimes
?
A-t-on suffisamment réfléchi à la question de la participation
de médecins au génocide juif ?
Les accusés du procès ne se sentaient pas coupables et ne demandaient
pas pardon(34).
Compte-tenu des leçons que l'histoire nous offre et nous impose de manière cinglante, n'est-il pas de notre devoir d'étoffer notre réflexion déontologique autour du rôle de la fonction de médecin dans la société?
Est-il un agent social, un exécutant ou a-t-il une vocation plus humanitaire et humaniste, et à ce moment-là comment pourrait-il justifier d'être le véhicule de thèses extrémistes ou discriminatoires , comme c'est régulièrement le cas, qui nécessairement marginalisent certaines parties ou certains groupes de la population?
L'histoire et ses jugements ont fait que certains médecins ayant participé aux expérimentations sur des humains au Struthof ont fini leurs jours dans leur lit comme Bickenbach qui est fait prisonnier en 1945 : "Il est libéré puis rentre en 1946 chez lui et est repris le 13 juillet 1947 pour être à nouveau incarcéré dans une prison française. Au procès de Metz il est condamné le 24 décembre 1952 aux travaux forcés à perpétuité. Le jugement est cassé le 14 janvier 1954 par un tribunal militaire parisien et il est condamné à 20 ans de travaux forcés au cours d'un nouveau procès militaire à Lyon le 14 mai 1954. Il est amnistié le 18 septembre 1955, retourne en RFA où il exercera et tant qu'interniste à Siegburg." (35). Haagen (nobélisable) lui aussi est gracié en 1955, date à laquelle il retourne à Berlin où il décède le 03 août 1972.
Ernst Klee rappelle que "les détenteurs du pouvoir sous le 3
ème Reich ont offert aux médecins une perspective extraordinairement
attirante , unique jusqu'alors dans le monde: au lieu de cobayes , de
rats et de lapins , ils ont pu, pour la première fois , utiliser massivement
des êtres humains à des fins expérimentales.
La médecine sous le nazisme: les objets d'expérience humains
(Versuchspersonen : littéralement "personnes d'expérience".
Le terme est composé sur le même modèle que Versuchstier,
"animal de laboratoire" - note du traducteur Olivier Mannoni) sont
considérés comme racialement, socialement ou économiquement
inférieurs. Ils sont donc exclus de la société, mais
on justifie leur consommation par la recherche en affirmant qu'elle servira
à la santé des générations futures.
La médecine sous le nazisme, c'est la sélection de ceux
que l'on a définis comme inutilisables. La visite médicale,
au camp de concentration , c'est la sélection avant le départ
pour la chambre à gaz. A la rampe d' Auschwitz, ce sont des médecins
qui attendent et qui trient.
Les victimes des crimes de la médecine ont été des détenus
des camps, des prisonniers de guerre, mais avant tout des Juifs et encore
des Juifs. Ceux qui ont planifié, agi, leurs complices actifs ou passifs,
constituaient l'élite du corps médical. Voilà pourquoi
l'on n'a pas éprouvé le besoin d'explorer
dans ses moindres recoins ce vaste champ historique. Jusqu'à
ce jour." (36)
Ernst Klee précise bien que les médecins impliqués n'étaient
pas les fous pour lesquels on a voulu les faire passer souvent. Comme s'il
s'agissait de faire croire que l'adhésion au nazisme d'une énorme
partie du corps médical était un accident de l'histoire.
Comme si l'on admettait encore systématiquement que le médecin
ne pouvait agir que dans l'intérêt de son patient .
Klee est clair , nous ne sommes pas à l'abri d'une récidive
.
Il "suffirait" - qui peut affirmer que nous en sommes-nous complètement à l'abri ?- que le mépris , pour l'Etranger, pour le Marginalisé, pour l'Exclu, pour l'Autre, je veux parler là de tout le domaine de l' altérité : que se soit la manière de penser et de conceptualiser la frontière, la limite où le lieu mêmes ou que se soit la manière de penser et de conceptualiser la rencontre avec l'autre ou la différence culturelle.
Je veux parler aussi là de la manière de penser la maladie (la nôtre et celle d'autrui), la mort et les conditions de la vie, passe de l'expression d' actes isolés à une organisation idéologique et politique pour que la machine à tuer et à donner la mort se remette en marche…dans l'intérêt bien compris des victimes, naturellement, pourrions-nous ajouter, à peine cyniquement.
Les médecins nazis, dont aucun à ma connaissance n'a jamais exprimé de remord pour sa participation à ces crimes , ce qui montre bien qu' ils se pensaient investis d'une mission civique et thérapeutique, sinon religieuse, étaient persuadés de soigner l'humanité en éliminant les Juifs.
Le Dr Alexander n'est pas en reste, qui "bien que visiblement tenté
par les expériences sur des condamnés à mort et reconnaissant
que l'opinion publique américaine les admet, leur est cependant opposé,
à cause de l'altération apportée au sens de la peine
de mort" (39).
La peine de mort risquerait, affirme-t-il, de perdre son caractère
dissuasif .
Il ajoute même, comme pour entretenir une discussion confraternelle
avec les inculpés, et leur trouver des circonstances atténuantes
que "les expérimentateurs allemands eussent pu pratiquer sur des
criminels légalement condamnés et volontaires, auxquels aurait
été offerte une chance de survie" (40).
Nous avons bien là l'illustration que les médecins européens
et occidentaux sont les héritiers d'une même tradition philosophique
et déontologique remontant au 16 ème siècle et aux premières
dissections.
En 2005, quel médecin peut-il affirmer que dans les conditions de la
montée du nazisme , il se serait opposé à ce qui nous
semble condamnable aujourd'hui ?
Ne devons-nous pas, alors, nous considérer comme dépositaire
d'un héritage technique et moral mais aussi d'une histoire de la médecine,
souvent magnifique, mais dont nous ne devons pas dénier les pages sombres
qui font partie aussi du patrimoine transmis.
Nous nous devons d'en assurer l'enseignement aux générations
futures d'étudiants afin que "cela ne se reproduise (vraiment)
plus jamais".
La recherche obsessionnelle des mécanismes idéologiques et
politiques qui conduisent dans une société donnée à
la stigmatisation d'un groupe social ("racialement, socialement ou économiquement
inférieurs", comme l'écrivait Ernst Klee) doit rester pour
le médecin une forme de lutte permanente qui doit faire partie de l'exercice
du son métier.
Ne pas s'inscrire dans cette lutte et dans cette recherche , c'est risquer
d'être l'acteur plus ou moins volontaire, plus ou moins conscient, mais
l'acteur quand même, de la négation puis de la destruction du
patient-sujet dès lors que l'idéologie dominante le dictera.
Le philosophe Jean-Luc Nancy a bien souligné en introduction des débats de la journée du 21 septembre 2003 que "l'horreur de la médecine nazie", par sa singularité, ne devait pas nous rendre moins attentif aux autres horreurs que le 20ème siècle avait générées. Il nous as aussi sensibilisé au fait que le rappel quasi systématique et solennel au contenu du Serment d' Hippocrate était bien destiné à signifier aux médecins que sa transgression était toujours possible .
Par ailleurs, n'a-t-on pas toujours tendance à s'identifier aux bourreaux (ne serait-ce que pour affirmer à tort que tout nous oppose à eux) et rarement sinon jamais aux victimes?
Méditons pour finir la mise en garde d' Ernst Klee : "La médecine sous le nazisme ne se distingue de la médecine d'avant et d'après elle que sur un point : les chercheurs pouvaient faire tout ce qu'ils voulaient" (41).
Nous avons donc , à notre modeste échelle, participé
à réparer et à "recoudre" ce que nos confrères
allemands ayant adhéré au nazisme ont détruit.
Ces hommes ont inspiré les lois raciales nazies dès 1933 et
ont déshumanisé leurs victimes en les marquant d'un matricule
et en leur ôtant nom et identité.
Nous avons parcouru le chemin inverse pour que ces 86 victimes ne émeurent pas deux fois", grâce au journaliste-historien, Hans-Joachim Lang, de Tübingen, qui a retrouvé et révélé l'ensemble des identités après des années de recherche ,sans jamais pouvoir, il faut le rappeler, accéder aux archives françaises.