Léon DREYFUSS, marchand de bestiaux à Villé, était déjà décédé lorsque la guerre fut déclarée. Sa veuve, née Léonie WEILL tenait une mercerie dans le bourg. Le couple avait eu deux enfants:
- Juliette, mariée à Guebwiller avec Henri BLOCH dont elle était déjà veuve et qui gérait une affaire de récupération de métaux. Elle était mère de deux filles.
- Louis (13), qui, dans un premier temps reprit l'affaire familiale avant de s'installer à cheval à Villé et Guebwiller où il aidait sa soeur dans son entreprise après son veuvage.

En 1940, Louis DREYFUSS est mobilisé dans un régiment d'infanterie basé à Nancy. Replié sur la Loire lors de la débâcle de juin 1940, il est fait prisonnier. Dans son camp, les vainqueurs opèrent un tri parmi les troupes et demandent aux Alsaciens-Lorrains, aux officiers et aux juifs de sortir des rangs. Pressentant le sort funeste qui pouvait l'attendre, Louis DREYFUSS reste parmi la troupe et il est embarqué dans un train qui le conduira probablement vers un Stalag en Allemagne. Bien que les noms des gares aient été escamotés, il reconnaît la gare de Colmar. Autorisé à quitter le train à l'arrêt pour se rendre aux toilettes, il en profite pour s'évader et se perdre dans les rues de la ville.

Louis DREYFUSS gagne alors Le Thillot, petite bourgade vosgienne sur la Moselle, sur la route du Col de Bussang à Remiremont. Sa famille y a trouvé refuge auprès du boucher Feist qui a épousé une cousine de Louis. Il se trouve rapidement au contact des premiers mouvements de Résistance qu'il contribue à structurer. Sa mère et sa sœur accueillent, hébergent et ravitaillent bien souvent les résistants locaux, sa niàce Denise (pseudonyme DEBLO comme DEnise BLOch) sert d'agent de liaison.

Les activités des familles DREYFUSS et BLOCH ne passent toutefois pas inaperçues aux yeux de tous. Le 20 janvier 1944, la Gestapo opère une rafle au Thillot. Léonie DREYFUSS, Juliette BLOCH et ses deux filles Liliane et Denise sont arrêtées et emmenées à Remiremont, Épinal, puis à la prison de la "Loge Blanche"de Nancy. Les trois premières, en vertu des lois raciales anti-juives, sont transférées à Drancy, puis à Auschwitz et Birkenau d'où aucune ne reviendra.

Denise BLOCH sur laquelle on a saisi des papiers prouvant son appartenance à la Résistance est, quant à elle, transférée au camp de Romainville où elle fait la connaissance puis se lie d'amitié avec une jeune femme de Breitenbach (14). Toutes deux sont envoyées au camp de Ravensbrück où elles séjournent pendant quelques semaines avant d'être transférées en "kommando" à Holleischen, petite localité des Sudètes, à la frontière tchèque où , dans une ancienne ferme transformée en usine, elles sont astreintes à la fabrication de munitions dans les conditions d'hygiène et de subsistance que l'on imagine. Leur libération intervient le 27 mai 1945, tout d'abord par les partisans polonais, suivis par les soldats américains. Denise BLOCH sera la seule de sa famille à survivre aux camps.

Lors de l'arrestation de sa famille, Louis DREYFUSS était absent du domicile familial. Il fut pris chez son ami Munsch, mais réussit miraculeusement à s'échapper de la voiture qui l'emmène et, malgré es coups de feu, à gagner les forêts environnantes qu'il connaissait parfaitement. Il trouva ensuite refuge chez Rivat, l'un des responsables résistants du secteur qui habitait une ferme du Thillot. Dès lors, Louis DREYFUSS, activement recherché et révolté par l'arrestation de ses proches, prit définitivement le maquis où, sous le pseudonyme de "Prosper", il prend un rôle de plus en plus actif. L'année 1944 verra dans ce secteur montagneux et boisé de la montagne vosgienne la création de nombreux maquis situés aux environs des localités de la Bresse, Bussang, Le Thillot (maquis de la Piquante Pierre, du Peu Haut, du Séchenat....). Louis DREYFUSS tiendra un rôle important dans l'organisation et la fédération de ces maquis de la Moselle. On notera parmi les principales opérations de ces groupes résistants :
- Le sabotage des lignes de chemin de fer et des lignes électriques à haute tension.
- Des attaques contre des usines travaillant pour l'Allemagne. Louis DREYFUSS se chargea personnellement du sabotage du transformateur des mines de wolfram (minerai de tungstène) de Château-Lambert, localité minière située près du Thillot, à la frontière des départements des Vosges et de la Haute-Saône. S'introduisant de nuit dans le poste, il réussit à placer sa charge de plastic et le détonateur. Malheureusement, sa pèlerine humide, en contact avec les tôles du transformateur, provoqua un monumental court-circuit qui le projeta à quelques dizaines de mètres. D'autres sabotages furent opérés aux mines de Servance, toujours dans le même secteur.
- Organisation et réception des parachutages opérés à plusieurs reprises par des avions anglais, en particulier à la chaume de Kinsmuss (nom de code "Le chevreuil prend son élan") entre Le Thillot et Bussang. Ces parachutages fournirent aux maquis des containers d'armes et d'explosifs, mais également trois instructeurs anglais ("Simone", "Paulette" et "Madeleine") qui formèrent les maquisards aux techniques du sabotage.

Louis DREYFUSS ne détestait pas la provocation, surtout depuis la rafle qui avait fait déporter sa famille. Au Thillot on se souviendra longtemps de son action d'éclat du 15 juillet 1944 où il défila avec ses hommes devant le monument aux morts de la guerre 1914-18, déposa une gerbe et hissa les couleurs tricolores ! La provocation, orchestrée par le chef départemental de la Résistance, si elle ravit la population locale, ne passa pas inaperçue des Allemands et de leurs informateurs. Les opérations militaires contre le maquis allaient s'amplifier, d'autant plus qu'après le débarquement allié de juin 1944, la Résistance commençait à harceler sérieusement les troupes allemandes.

Le 6 septembre 1944, une attaque allemande vise le maquis du Peu-Haut, situé non loin de la chaume de Kinsmuss où plusieurs parachutages ont eu lieu au courant de l'été. Devant le nombre des assaillants, le maquis se replie vers le Séchenat, sur le versant opposé de la vallée. Le lendemain, nouvelle et massive attaque allemande, repoussée par les maquisards. Le capitaine Prosper (Louis DREYFUSS) est sur place avec ses hommes. Le maquis déplore deux blessés dont l'un mourra quelques jours plus tard à l'hôpital de Bussang. Le 9 septembre, Prosper rassemble les maquisards à la ferme de la Kinsmuss. Devant la menace allemande - la ferme a été repérée -les effectifs décrochent pendant la nuit et s'installent aux Huttes.

Le 14 septembre, le maquis est à nouveau alerté : un parachutage doit avoir lieu dans la nuit à la Kinsmuss. A part quelques hommes chargés de la garde du cantonnement, la totalité de l'effectif disponible est reportée sur le terrain de parachutage. Les opérations de largage eurent lieu ; il ne fut pas possible d'emporter toutes les armes et le matériel dont une partie fut cachée dans la cave d'une ferme abandonnée. D'ailleurs les Allemands ne tardèrent pas à arriver sur le terrain, rendant impossible la suite des opérations. Le maquis put rejoindre son cantonnement. Ses effectifs, suite à des défections, étaient alors réduits à 65 hommes, mais il possédait des armes pour 120. Faute de ravitaillement, les conditions de vie y étaient précaires. Les pommes de terre devinrent un luxe, les champignons à l'eau et sans sel, le plat de tous les jours.

Pris entre deux feux, les Allemands qui refluaient vers l'Alsace et les éléments avancés de la Première armée qui les poursuivaient, la position des maquis n'était guère enviable. Malgré les champs de mines qui firent nombre de victimes, les maquisards réussirent à franchir les lignes ennemies pour rejoindre les troupes de l'armée de De Lattre. Louis DREYFUSS s'y engagea pour toute la campagne d'Allemagne, jusqu'à l'armistice du 8 mai 1945.

Après la guerre, Louis DREYFUSS, dont les mérites furent récompensés par de légitimes distinctions, revint s'installer à Guebwiller. Il conserva un domicile à Villé où il se rendait presque quotidiennement pour ses activités. Le capitaine Prosper est décédé en 1970 à l'âge de 64 ans.


Pour certaines familles israélites de Villé, nous ne possédons que des informations fragmentaires sur leur sort pendant la guerre. Les renseignements émanent en majorité du journal de Robert WEILL qui relate les nouvelles qu'il peut obtenir, le plus souvent par échange de courrier.


Celle-ci tenait avant guerre un magasin de tissu à Villé, et s'est réfugiée à St-Etienne, dans une maison située rue Francisque Vaytier où Robert WEILL leur rend visite de temps en temps :

"08.10.1941.J'ai passé à St-Etienne chez Arthur. Georges (son fils) a été renvoyé de l'intendance car on n'emploie plus d'israélites. Il est à la recherche d'une autre occupation. Sylvain (mari de Paulette, fille d'Arthur) travaille de son métier de dentiste. Arthur a souvent le cafard et ne pense qu'à Villé. Rosa avait également le moral bien bas".

Les familles WEILL et HEIMENDINGER maintiendront tout au long de la guerre des relations amicales très suivies, soit épistolaires, soit par des visites réciproques lorsque la situation le permettra encore. Il semble qu'ils aient gagné ultérieurement St-Germaindu-Bois (Saône-et-Loire) où résidait Gaston WEILL, probablement pour échapper aux rafles de plus en plus fréquentes dans les grandes villes.


Ils tenaient à Villé un commerce de cycles. A l'occasion du décès à Saugues de Théophile WEILL, son fils Robert indique qu'il a reçu le 16.10.1943 une lettre de condoléances de Maurice HAGUENAUER réfugié à Commenailles, village du Jura près de Beaufort. Ils revinrent à Villé après guerre.


Il possédait à Villé un magasin de tissus (actuels Etablissements Vonderscheer). Déjà veuf à la déclaration de guerre, il se réfugia à Clermont-Ferrand avec sa fille Lucie, son fils Lucien et son épouse Yvonne et leur fils Claude. Robert WEILL mentionne deux courriers de leur part :

"21.09.1943. Reçu lettre de M. Samuel DREYFUSS, réfugié àClermont ancien Barnes (15) de Villé, le meilleur ami de papa. Il a écrit une lettre de condoléances très touchante, ainsi que sa fille.

"31.12.1943. Reçu lettre de M. Samuel DREYFUSS qui nous a fait bien plaisir. Il renouvelle d'avoir perdu en cher papa son plus cher ami. Il ne perd pas espoir de rentrer dans nos foyers".

L'année 1944 fut particulièrement cruelle pour cette famille qui vécut successivement le décès de Samuel DREYFUSS, celui de son petit-fils Claude, emporté par la tuberculose, et la déportation à Auschwitz de Lucien DREYFUSS et de son épouse Yvonne. Cette dernière survécut au camp et revint après-guerre à Villé. Profondément marquée par son épreuve, elle raconta qu'on l'avait fait sortir de la rangée des prisonnières juives destinées à la chambre à gaz pour lui faire subir des expériences médicales.


Il représentait une figure quelque peu excentrique dans la communauté. Sa vie s'organisait autour de deux passions : la musique (il était bon violoniste) et le chemin de fer. Il connaissait par coeur les horaires du train qui desservait Villé et surveillait régulièrement leur ponctualité. Nous apprenons par Robert WEILL le 08.10.1941 :

"Armand m'a donné des nouvelles. Après avoir été prisonnier avec René WEILL, (frère de Robert) près de Vienne, il a été rapatrié comme malade. Maintenant il est dans un bataillon d'ouvriers et travaille dans les mines. Il m'écrit que de ses 100 kg il en reste encore 72".

Armand DREYFUSS décèdera en déportation dès 1942. Sa mère Irma reviendra à Villé après la guerre.

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