l'inspection de mm. franck et munk
Le calme revenu, le nouveau Consistoire Central chargea un de ses membres
les plus éminents, Adolphe
Franck, et son secrétaire, l'orientaliste Munk, d'étudier
sur place la situation de l'Ecole rabbinique. Ils passèrent plus d'une
semaine à Metz, visitèrent la maison dans tous ses détails
et interrogèrent maîtres et professeurs.
Voici le rapport qu'ils rédigèrent à la suite de leur
inspection et que le Consistoire, après l'avoir fait sien, transmit
au Ministre de la Justice et des Cultes.
rapport du consistoire central (42)
1. Un secours immédiat pour le traitement du professeur d'hébreu, pour réparations, constructions nouvelles, achat de livres et de mobilier; 2. Une demande aux chambres d'un crédit annuel de 5.000 francs, pour porter de 10 à 15.000 francs la subvention régulière et indispensable de l'Etat; 3. L'approbation d'un projet de règlement ci-dessous (44). |
Ce rapport, à tant d'égards si triste, n'est-il pas un hommage
ému rendu par deux hommes de haute autorité et d'une compétence
incontestable aux élèves de l'Ecole rabbinique et à leurs
modestes et dévoués maîtres ?
En même temps, le Consistoire Central soumit à l'approbation
ministérielle le projet de règlement suivant :
projet de reglement pour l'ecole centrale rabbinique de metz Ce projet est divisé en six sections traitant successivement : 1° de l'organisation ; 2° des études ; 3° du directeur et des professeurs ; 4° de la Commission administrative et des Commissions d'examens ; 5° du trésorier et de la comptabilité ; 6° du service religieux et de la discipline intérieure. Il se compose de cinquante-et-un articles ; nous n'en reproduirons que ceux qui présentent un caractère de nouveauté.
|
la révolution de 1848.
Cependant les événements du 24 février 1848 vinrent retarder l'exécution du plan consistorial. On entrait dans une période remplie de troubles politiques sans cesse renouvelés, engendrant un état d'insécurité et de crise économique peu favorable à l'obtention de crédits pour l'Ecole rabbinique.
Les israélites, qui n'avaient eu qu'à se louer du gouvernement de Louis-Philippe, accueillirent pourtant avec une grande joie la proclamation de la République, dont la devise faisait battre tous les coeurs. Les rabbins se faisaient un pieux devoir d'assister à des cérémonies patriotiques qui se terminaient par la bénédiction d'arbres plantés en l'honneur de la liberté. A Metz, la Communauté offrit sur les chantiers de son temple en construction un banquet de fraternité aux ouvriers, et Eliézer Lambert, fils du grand rabbin et élève de l'Ecole, y célébra en termes enthousiastes la beauté du travail et la noblesse du travailleur manuel. Une sorte de griserie s'était emparée de tous et finit même par tourner la tête à quelques élèves de l'Ecole rabbinique. Il en était qui se figuraient naïvement que la République les libérait de toute autorité et de toute discipline. Dans la nuit du 15 avril 1848, le directeur, brusquement réveillé, dut assister, impuissant et désolé, à une manifestation peu déférente. Le Consistoire central crut qu'il avait le devoir de sévir. Un élève fut exclu temporairement et un autre d'une façon définitive.
Cependant, même dans cette période d'exaltation générale, l'Ecole fonctionnait régulièrement. Signalons quelques changements qui se produisirent à cette époque dans son personnel enseignant. Le cours de philosophie, jusqu'alors professé par Zévort, fut confié à Bonnieux, déjà professeur de littérature grecque et latine. Mais Bonnieux dut, à son tour, quitter Metz. Ses cours furent partagés entre deux nouveaux professeurs. La classe de philosophie fut attribuée à Bourgeois ; les cours de latin et de grec à un jeune agrégé, récemment sorti de l'Ecole Normale supérieure, Maurice Salomon. Celui-ci, si l'on fait abstraction d'une assez courte interruption à l'époque de la translation de l'Ecole à Paris, resta à la tête de sa classe pendant près d'un demi-siècle. C'était un maître exigeant, parfois même d'une sévérité excessive ; il n'en a pas moins exercé une influence féconde sur de nombreuses générations d'élèves, à qui il a appris à penser et à écrire d'une façon simple, claire et élégante.
création de nouvelles chaires
En 1850, l'Assemblée législative vota un crédit de 12.000 francs applicable au matériel et au personnel de l'Ecole. Le ministre demanda l'avis du Consistoire central sur la répartition de ce crédit. Franck, ayant à coeur de réaliser un projet dont il s'était déjà fait le promoteur dans son rapport de 1847, proposa, entre autres choses, la création d'une chaire de théologie. Vainement Aaron Caen et Dupont, membres du Consistoire de Metz, interprètes de leurs collègues et de la Commission de l'Ecole, combattirent la proposition de Franck, elle n'en fut pas moins adoptée par le Consistoire central et ratifiée par un arrêté du Ministre des Cultes, en date du 5 juin 1851. La nouvelle chaire, sous le nom de chaire d'histoire sacrée et de théologie, fut confiée à Lazare Wogue, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler. Le traitement affecté à cet enseignement était de 1.800 francs par an.
Poursuivant son projet d'amélioration des études, le Consistoire central créa, en outre, en 1855, un cours sur les Midrachim, dont il attendait le plus grand bien pour la prédication israélite. Ce cours fut confié, mais seulement à titre d'essai, à un Allemand, le Dr Kruger, de l'Université de Berlin. Mais son enseignement donna des résultats peu satisfaisants et, au bout d'un an, la mission du Dr Kruger ne fut pas renouvelée.
l'élection rabbinique de sarreguemines.
Tandis que s'accomplissaient ces modifications à l'intérieur de l'Ecole, le Consistoire de Metz et le Consistoire central eurent à régler un incident qui avait mis en émoi les élèves et un certain nombre de jeunes rabbins.
Le poste de rabbin de Sarreguemines était devenu vacant en 1851. Or, parmi les candidats briguant cette place se trouvait un ancien élève de l'Ecole, M. W..., qui, après avoir obtenu, en 1837, le diplôme rabbinique, s'était établi commerçant dans la communauté même dont il aspirait maintenant à devenir le pasteur, et où il jouissait d'ailleurs de la considération générale. Le Consistoire de Metz, estimant que M. W... n'était plus qualifié pour remplir le ministère sacré, demanda au Consistoire central d'opposer son veto à cette candidature. Mais le Consistoire central, estimant qu'une pareille décision risquait d'être mal interprétée, préféra prendre, sans faire allusion à ce cas particulier, une mesure d'ordre général. Sur la proposition de son président, il décida, en effet, que : "Quand un élève de l'Ecole rabbinique ou un rabbin aura quitté la carrière du ministère sacré pendant un laps de sept ans, il devra, pour être admis aux fonctions rabbiniques, subir un nouvel examen devant la Commission de l'Ecole, et le Consistoire local se prononcera sur son admittature. Dans aucun cas, il ne pourra exercer les fonctions rabbiniques dans le lieu où il se serait livré à une profession industrielle ou commerciale" (47).
Malgré cette délibération, M. W... fut élu. Le Consistoire cassa l'élection ; la communauté le réélut ; le Consistoire, pour la seconde fois aussi, annula l'élection. L'affaire devenait embarrassante. On finit cependant par s'entendre, grâce à des concessions mutuelles. M. W... renonça à Sarreguemines et reçut en compensation le poste rabbinique de Marmoutiers.
la reconstruction de l'école.
Si le rapport de Franck et Munk fut le point de départ de quelques
modifications heureuses dans l'enseignement de l'Ecole, il ne provoqua cependant,
faute de ressources, aucune amélioration dans l'état de l'immeuble,
tombé à la longue dans un tel délabrement qu'il inspirait
pitié et honte à tous ceux qui venaient le visiter. Nous avons
à cet égard le témoignage particulièrement navrant
de Faye, Recteur de l'Académie de Nancy, qui, après une inspection
de l'Ecole rabbinique, adressa au Ministre la note suivante :
"L'école est logée dans une maison hideuse. La porte ressemble
à celle d'une étable délabrée, on marche dans
des flaques d'urine, on est saisi à la gorge par une odeur infecte.
Tout respire la misère ; en guise de bibliothèque, une armoire
pleine de vieux livres (47).
Aux dortoirs, l'eau suinte des murailles ; les élèves y gagnent
des rhumatismes."
Voici un inventaire des livres et du mobilier dressé, le 28 janvier
1852, par la Commission, en présence d'un conseiller de préfecture
de la Moselle :
En ouvrages religieux, environ 200 volumes, en grande partie détériorés ...................................................... | 400 fr. |
En livres de littérature, d'histoire, etc., environ 550 volumes, le le plus grand nombre dépareillés et détériorés | 300 " |
Ensemble de la Bibliothèque ....................................................................................................................... | 700 " |
Le mobilier, les objets de literie, les tables, bancs et armoires ...................................................................... | 916 " |
Total : | 1616 " |
Prix | |
Les oeuvres de Platon, 13 vol. ...................................................................... | 85 fr. |
Les oeuvres de Bossuet ................................................................................ | 70 " |
Lucain Pharsale, 2 exempl. ........................................................................... | 5 " |
Abrégé de la grammaire allemande de Bacharach, 6 exemplaires à 1.60 ......... | 9.60 |
Dictionnaire Thibaut, 3 exemplaires à 7 fr. ....................................................... | 21" |
Littérature Wilm, 4 exemplaires à 5 fr. ........................................................... | 20 " |
Koré Hadorot, 2 exemplaires à 6.50 ............................................................ | 13 " |
Schem Haguedolim ..................................................................................... | 13 " |
Histoire de Jost, 4 exemplaires ...................................................................... | 26 " |
Séder Hadorot ............................................................................................ | 12 " |
Zémach David. La Chronologie, par David Ganz, 3 exemplaires à 2.75 ......... | 6.75 |
Bachia : Les devoirs des Coeurs, 2 exemplaires ............................................ | 3.50 |
Sadia : La Croyance ..................................................................................... | 5 " |
Zunz : Considération de l'histoire de la Littérature juive .................................. | 8 " |
Tourim, 4 vol. ............................................................................................... | 4.5 " |
36 vol. du Talmud à 3 fr. ............................................................................... | 108 " |
Baal Akéda, Comment. d'Isaac Aréma .......................................................... | 16 " |
Yoré Déa, 2 exempl. à 14 fr. ......................................................................... | 28 " |
Bible, avec traduction et commentaire par Buxtorf, 2 exempl. | 64 " |
Bible, texte seul, 4 exempl. à 8 fr. .................................................................. | 32 " |
Lambert, grammaire hébraïque, 4 exemplaires à 1.50 ..................................... | 6 " |
Chalchelet hakabala ................................................................................... | 5.50 |
Le Consistoire central, depuis plusieurs années, ayant le vif désir de mettre fin à ce triste état de choses, avait fait, dans ce but, à différentes reprises, des démarches pour obtenir le concours du gouvernement. Mais les membres du Consistoire étaient loin d'être d'accord sur la solution à proposer. Les uns estimant qu'il fallait profiter des circonstances pour transférer l'Ecole à Paris ; les autres, au contraire, voulaient à toute force la maintenir à Metz. Quant aux communautés, elles étaient en majorité hostiles à la translation. Celles d'Alsace et de Lorraine surtout s'y opposaient avec la plus vive énergie. Ce déplacement n'était pour elles qu'une nouvelle tentative du parti réformiste pour créer un rabbinat acquis aux idées qui lui étaient chères.
Au début de 1850, le Ministre des Cultes se déclara disposé à faire un effort en faveur de l'Ecole rabbinique, mais comme il n'ignorait pas les deux tendances qui se partageaient le judaïsme français, il demanda au Consistoire de lui faire connaître son opinion. La réponse à donner à la dépêche ministérielle provoqua au sein de l'Assemblée consistoriale un débat assez vif entre partisans et adversaires de la translation (50). Voici, en résumé, leurs arguments respectifs :
Nous voici donc arrivés à la très complexe et très pénible histoire de la reconstruction de l'Ecole rabbinique. Nous n'en rappellerons que les principaux épisodes.
En 1849, à la suite d'une conférence avec le colonel Cerfberr, président du Consistoire central, le Consistoire de Metz avait fait l'acquisition de la maison occupée par la direction ainsi que du jardin y attenant, au prix de 38.000 francs.
Lorsque parut, en 1850, le décret autorisant la reconstruction de
l'Ecole, tout le monde se figurait qu'on possédait un terrain assez
vaste pour le nouvel édifice et l'on se borna à charger Dérobe,
architecte du département de la Moselle, de rédiger des plans
et devisd'après l'emplacement dont on disposait.
Dérobe présenta deux plans successifs qui furent tous les deux
rejetés par le Consistoire central et l'administration des cultes comme
"insuffisants, défectueux et trop onéreux". La dépense
prévue était de 43.000 francs.
C'est alors que le Ministère des Cultes envoya à Metz l'architecte
diocésain Boeswilwald avec mission d'établir un nouveau projet.
A peine arrivé à Metz, Boeswilwald ordonna 1a démolition
d'une partie de l'ancien bâtiment qui menaçait ruine et rédigea
de nouveaux plans, beaucoup plus vastes que ceux de son prédécesseur,
et dans lesquels était prévu l'achat de deux nouvelles maisons
(nos 51 et 53 de la rue de l'Arsenal).
Malgré la perspective d'un surcroît de dépenses, 67.000
francs au lieu de 43.000 francs, les plans de Boeswilwald furent adoptés
et les travaux commencèrent au mois d'août 1852.
Mais au moment où l'on allait planter les bâtiments neufs survint une protestation dont il était difficile de ne pas tenir compte. L'évêque de Metz jugea que l'Ecole était trop proche du jardin du couvent du Sacré-Cœur et exigea un plus grand espace entre la clôture de ce jardin et la nouvelle construction. D'où perte de terrain. En même temps, on s'aperçut que l'élévation du nouveau bâtiment sur l'emplacement de l'ancien allait priver la synagogue d'une partie de sa lumière. Il fallait donc encore reculer de ce côté. De ces deux changements de position résulta pour le Consistoire de Metz la nécessité d'étendre l'emplacement dont il disposait au moyen de l'acquisition de maisons voisines, et pour l’Administration des Cultes, une augmentation de dépenses pour la démolition de ces acquisitions, car le gouvernement s'était engagé seulement à démolir et à reconstruire l'Ecole sur des terrains appartenant au Consistoire. Celui-ci, obéissant aux suggestions de l'architecte, acheta en effet, au prix de 11.000 francs, les maisons portant les n°8 55 et 57 et une partie de la maison portant le no 61 de la rue de l'Arsenal.
Cependant, ces dépenses successives commencèrent à inquiéter le Consistoire de Metz qui avait déjà donné en garantie les revenus des places de sa synagogue. Sans doute, le Consistoire central s'était engagé à rembourser ces dépenses, mais sa caisse était à peu près vide et vainement Metz réclamait des fonds. Enfin, en automne 1853, le Consistoire central se décida à adresser un appel pressant à toutes les communautés de France en faveur de l’École rabbinique, appel dont il attendait des résultats importants. Hélas, le produit de la souscription causa une grosse déception. Il donna, en tout, la misérable somme de 7.100 francs (52).
Cet échec eut pour effet de dessiller bien des yeux, Il impressionna particulièrement les membres du Consistoire central, partisans du maintien de l'Ecole à Metz, et leur fit comprendre combien il était difficile d'intéresser le judaïsme français à une institution perdue dans une lointaine communauté de province. La souscription avortée sonna en quelque sorte le glas de mort pour l'École de Metz,
inspection du grand rabbin ulmann.
Salomon Ulmann |
En 1855, le grand
rabbin Ulmann vint les visiter et constata dans l'établissement
la présence de vingt-cinq élèves, dont dix boursiers,
six internes payants et dix externes.
Le grand rabbin leur fit subir un examen et il résulte de son rapport
adressé au Consistoire central que, dans leur pauvre logement, les
élèves travaillaient généralement assez bien.
"L'examen, écrivait-il, a eu pour objet le Talmud, l’exégèse
biblique, la théologie et l'histoire des israélites.
Les épreuves ont présenté généralement
un résultat satisfaisant ; les études talmudiques surtout ont
gagné et plusieurs élèves se sont fait remarquer par
un progrès sensible.
Le cours d'exégèse biblique, professé par M. Morhange,
s'est maintenue à son niveau de l'année dernière. Il
est de même pour le cours d'histoire, dirigé également
par M. Morhange et comprenant l'époque entre l'avènement d'Hérode
et la destruction de Béthar.
Le cours de théologie, dirigé par M. Wogue, consiste dans l'explication
d'auteurs traitant des sujets de philosophie religieuse. Ce cours est fait
avec autant de talent que de zèle et de conscience. Le professeur s'arrête
peut-être un peu trop à des détails et se livre à
des digressions qui pourraient être omises sans inconvénient,
mais les élèves possèdent bien la matière...
Les professeurs sont généralement contents de leurs élèves.
Il est à remarquer que les bons élèves appartiennent
presque tous à la classe des boursiers dont la plupart, ainsi qu'un
petit nombre d'externes, se distinguent par un travail sérieux et une
conduite exemplaire.
Les travaux de reconstruction avancent lentement et semblent encore loin de
leur terme".
Pour conclure, le grand rabbin demanda des récompenses pour les élèves les plus distingués et appela l'attention du Consistoire central sur la nécessité de donner, dans un avenir très prochain, un successeur au Directeur et d'assurer une pension de retraite à ce digne fonctionnaire.
inspection de faye, recteur de l'académie de nancy.
ses projets d'avenir pour l'école rabbinique.
Peu de semaines après le grand rabbin Ulmann, le recteur Faye, de
l'Académie de Nancy, vint à son tour inspecter l'Ecole. Nous
avons déjà rappelé la douloureuse impression qu'elle
produisit sur lui. Néanmoins Faye considéra l'Ecole comme une
institution remarquable qui, une fois transformée et modernisée,
serait susceptible de rendre d'éminents services à notre pays.
Faye projeta en effet de faire de l'Ecole de Metz non seulement une pépinière
de rabbins pour la France, mais encore de pasteurs propageant la civilisation
française et servant les intérêts de notre pays dans les
contrées d'Orient. Pour réaliser cette oeuvre patriotique, Faye
proposa de créer à Alger une Ecole rabbinique préparatoire
où de jeunes israélites orientaux, se destinant au sacerdoce,
s'initieraient à notre langue et recevraient une bonne instruction
générale, qu'ils compléteraient ensuite à l'Ecole
de Metz. Le rapport du recteur Faye, adressé au Ministre, est fort
curieux et mérite d'être reproduit :
"Si maintenant on considère l'importance croissante des affaires d'Orient
et l'influence qu'y exerce l'élément israélite, on est
conduit à croire que l'Ecole rabbinique de Metz pourrait rendre à
la France quelques nouveaux services.
Supposons, par exemple, que votre Excellence crée à Alger une
école préparatoire à celle de Metz et qu'elle y fasse
affluer les jeunes israélites qui se destinent au sacerdoce. Dans cette
école on donnerait aux débutants une première initiation
en les familiarisant avec la langue française et avec les premiers
éléments d'une instruction variée. Pour cela, trois ans
suffiraient. Puis, ces jeunes gens seraient transférés à
Metz, où ils achèveraient en quatre ans le cycle de leurs études
; au bout d'un certain temps, nous aurions ainsi, dans toutes les parties
du monde oriental, des rabbins dévoués à la France et
à l'Empereur.
Si j'ose, Monsieur le Ministre, vous faire part d'une rêverie, c'est
que je sais combien votre Excellence prend à coeur tous les grands
intérêts qui lui sont confiés" (53).
Le projet de Faye ne fut pas du tout considéré au Ministère comme une utopie. On le mit à l'étude, en même temps que la situation générale de l'Ecole, dont on comprenait l'importance au point de vue national. Voici la note anonyme rédigée dans les bureaux du Ministère à la suite du rapport de Faye.
note pour le ministre:
M. le Recteur de l'Académie de Nancy a récemment visité
l'Ecole rabbinique. |
Après ces hautes interventions, on pouvait s'attendre à ce
qu'un avenir meilleur s'ouvrit pour l'Ecole de Metz.
Il n'en fut pourtant rien. Les projets du Recteur restèrent dans les
cartons du Ministère, et la situation de l'Ecole allait de mal en pis.
A partir de janvier 1856, il n'y avait plus une séance au Consistoire
central qui ne fût remplie par des discussions provoquées par
les doléances et les réclamations du Consistoire de Metz. Celui-ci
avait pris de lourds engagements auxquels il était incapable de faire
face. Menacé de poursuites judiciaires par ses créanciers, il
se retournait sans cesse vers le Consistoire central pour exiger de lui le
payement de la dette d'environ 60.000 francs qu'il avait contractée
avec son autorisation. Mais le Consistoire central lui-même n'avait
pas de fonds.
Les lignes suivantes, empruntées à un rapport présenté par Halphen, dans la séance du 29 mars 1856, donneront une idée des difficultés avec lesquelles on était aux prises : "La situation du Consistoire de Metz est des plus graves ; je ne puis malheureusement indiquer aucun moyen pour le sortir de cette position critique, car un nouvel appel aux Consistoires départementaux resterait sans doute sans résultat" (55). A cette déclaration pessimiste, Javal répondait : "Il n'y a qu'une chance de salut pour l'Ecole, c'est de la transférer à Paris", projet déjà maintes fois préconisé par la minorité du Consistoire central. "En prenant cette décision, affirmait Javal, le Consistoire central pourrait réunir une somme suffisante pour aider le Consistoire de Metz à s'acquitter des dettes qu'il a contractées et pour fonder un établissement à Paris, sans demander de nouveaux sacrifices au gouvernement".
Cependant le Consistoire central, craignant non seulement l'opposition de Metz, mais encore celle de toutes les communautés de l'Est et surtout de celles de l'Alsace, n'osa prendre aucune détermination.
la translation.
On en était encore dans cet état d'hésitation, lorsque
les partisans de la translation reçurent un appui particulièrement
autorisé, grâce auquel ils devaient bientôt l'emporter.
Au mois de mai 1856, le grand rabbin Ulmann, réalisant un voeu formulé
par son prédécesseur, réunit dans une conférence,
à Paris, les grands rabbins départementaux, dans le but
"de s'éclairer réciproquement sur les besoins communs de leurs
circonscriptions et d'échanger leurs idées sur les moyens les
plus propres à favoriser les progrès religieux et moraux de
leurs coreligionnaires" (56).
Ce dernier voeu émis par une Assemblée d'hommes, ayant pour
la plupart fait leurs études à Metz et représentant au
point de vue religieux toutes les grandes communautés françaises,
mit fin aux atermoiements du Consistoire central.
Le 4 juin 1856, Halphen proposa au Consistoire central, de nommer immédiatement
une Commission "pour s'occuper des moyens de transférer
à Paris l'Ecole rabbinique et d'ouvrir d'urgence à cet effet
une souscription". Le principe de la translation ne rencontra aucune
objection, mais le Consistoire jugea qu'il convenait le consulter avant tout
le Consistoire de Paris, dont le concours lui était indispensable,
sur les moyens d'exécution.
délibération des deux consistoires
La réunion des deux Consistoires eut lieu, le 12 juin 1856, et fut
assez agitée.
Le Consistoire de Paris avait depuis quelque temps décidé lui-même
d'ouvrir une souscription pour l'édification de deux nouvelles synagogues,
dont l'une devait s'élever dans le quartier de la Bastille, où
la population israélite était devenue importante. Pouvait-on,
dans ces conditions, adresser également un appel au public en faveur
de la construction d'une Ecole rabbinique ? Les avis furent divergents. Mais
Gustave Halphen, président du Consistoire de Paris, montra que le projet
de construction de nouveaux temples, loin d'être un obstacle à
l'édification de l'Ecole rabbinique, était au contraire susceptible
d'en faciliter la réalisation. Le Consistoire de Paris, soutenait-il,
espère obtenir des concessions de terrain et des subventions du Conseil
municipal. Les dépendances d'un de ces édifices pourront recevoir
l'Ecole rabbinique, sans qu'il soit nécessaire d'ouvrir pour celle-ci
une nouvelle souscription. Mais la question ainsi envisagée ne pouvait
être utilement mise en délibération qu'au mois d'octobre
suivant. En attendant, tout le monde se rallia à l'idée de Gustave
Halphen.
Pourtant cet accord unanime péniblement obtenu se rompit aussitôt
lorsque Cerfberr parla de l'indemnité à verser au Consistoire
de Metz. Les membres du Consistoire de Paris n'étaient nullement disposés
à accepter la succession obérée de Metz.
"Les dettes pour l'Ecole rabbinique, s'écriaient-ils, ont été
contractées au nom de tous les Consistoires de France, c'est à
chacun d'en prendre sa part." Or, le Consistoire central savait par
expérience qu'il ne pouvait guère compter sur la province. On
allait se séparer sans rien décider, lorsque Albert Cohn, qui
avait été invité à assister à la séance,
prit l'engagement de réunir une somme de 60.000 francs pour défrayer
le Consistoire de Metz et subvenir aux frais d'établissement de l'Ecole
à Paris.
nomination d'un nouveau directeur : isaac-lion trénel
Isaac-Lion Trénel, né à Metz en 1822, n'avait que trente-quatre ans lorsqu'il fut appelé à la tête de l'Ecole rabbinique. Après avoir étudié le Talmud à Marmoutiers (Bas-Rhin) près de son oncle, le rabbin Jacob Haguenauer, et à Merzig (Prusse) près de Moïse Lévy, plus connu sous le nom de Reb Moché Merzig, il était entré à l'Ecole rabbinique de Metz. Ses études terminées, il exerça le ministère sacré à Besançon, mais fut bientôt appelé à Paris en qualité de rabbin adjoint au grand rabbin Isidor et plus spécialement chargé de l'enseignement religieux dans différents lycées.
C'était un esprit cultivé, un talmudiste remarquable, un caractère plein d'élévation. Pendant toute sa direction, qui dura jusqu'en 1890, époque de sa mort, il imposa à ses élèves une discipline rigoureuse et des habitudes de travail régulier. Trénel, par la haute conscience qu'il apporta dans l'exercice de ses fonctions et l'impeccable dignité de sa vie, eût été un directeur parfait s'il avait su se montrer un peu plus paternel. Mais, malgré son tempérament un peu vif et distant, Trénel a exercé une influence des plus heureuses sur les destinées de l'Ecole et ses élèves lui gardent, pour la plupart, un souvenir plein de respect et de reconnaissance.
Comme son prédécesseur, Trénel était également professeur de Talmud. A son cours il ne prenait que rarement la parole, mais exigeait de ses élèves, aussi bien des nouveaux que des anciens, la pleine possession des textes qu'ils devaient eux-mêmes expliquer. Cette méthode imposait à tous une longue et consciencieuse préparation des cours et avait en outre l'avantage de créer de véritables moniteurs. Les élèves les plus avancés servaient de répétiteurs à leurs camarades plus jeunes et moins expérimentés et les faisaient profiter de leurs connaissances. Grâce à ce système, les études talmudiques commençaient déjà deux heures avant le cours ; le rôle du professeur consistait uniquement à éclaircir les textes particulièrement difficiles, et Trénel remplissait ce rôle avec une grande distinction.
Trénel prit possession de ses nouvelles fonctions à la rentrée de l'année scolaire 1856-1857. Quelques jours avant son arrivée à Metz, le grand rabbin Ulmann avait rendu hommage dans une lettre pastorale à l'Ecole rabbinique et à ses administrateurs. "Malheureusement, avait-il ajouté, leurs ressources ne sont pas en proportion avec leurs lumières et leur dévouement. C'est pourquoi on a songé à Paris qui est la première communauté de France sous le rapport numérique, moral et intellectuel" (57).
Malgré la situation assez tendue entre le Consistoire central et la population de Metz très attachée à son établissement, Trénel fut salué par le président du Consistoire de Metz comme "un enfant de Metz et un ancien élève de l'Ecole jouissant d'avance, à ces deux titres, de toutes les sympathies". Mais la réponse du nouveau directeur jeta sans doute un certain froid. "Je n'ai ni recherché ni brigué, s'écriait-il, cette place ; je l'ai acceptée par dévouement. Il faut en effet du dévouement pour se charger de la direction de l'Ecole dans les conditions où elle se trouve, il faut espérer que le Consistoire central ne tardera pas, dès que l'autorisation de translation sera obtenue, à prendre des mesures pour l'effectuer. L'Ecole ne pourrait sans grave préjudice pour le succès des études et la santé des élèves rester telle qu'elle est aujourd'hui ; c'est une construction inachevée entourée de démolitions" (58).
vives protestations contre la translation.
Les choses étaient cependant loin d'être aussi avancées que se l'imaginait le nouveau directeur. On ignorait encore l'opinion du gouvernement sur la question de la translation et les partisans du maintien de l'Ecole à Metz ne désespéraient pas de le gagner à leur cause en multipliant les protestations contre la décision du Consistoire central. Leur organe était l'Univers israélite, journal des principes conservateurs du judaïsme, dirigé par S. Bloch, ancien employé du Consistoire central. Bloch publia toute une série d'articles d'une violence extrême. "Le Consistoire central, écrivait-il entre autres choses, a fait dépenser au gouvernement soixante mille francs et au Consistoire de la Moselle une somme à peu près égale pour la reconstruction du séminaire messin. Et, après que ces lourds sacrifices ont été faits et que toutes les ressources de notre budget ont été épuisées, le Consistoire central s'est aperçu que Metz est une ville de frontière ; une ville militaire et industrielle, qui n'a ni grande bibliothèque, ni faculté de théologie, ni faculté de lettres. Alors, après cette belle découverte, qu'on aurait peut-être pu faire trois ans plus tôt, on, a demandé au gouvernement de transférer l'Ecole rabbinique à Paris et de jeter aux vents les cent vingt mille francs dépensés inutilement." (59). O. Terquem, en réponse à la lettre pastorale du Grand rabbin Ulmann, avait écrit à son tour : "La supériorité numérique et scientifique de Paris est incontestable ; il n'en est pas ainsi de la supériorité morale. Je crois que la communauté israélite de Metz n'a rien à redouter de la comparaison et vaut certainement celle de Paris, bien entendu toujours sous le point de vue moral. Je cite ma ville natale parce que je la connais" (60).
nouvelle intervention du recteur de nancy
Mais les arguments les plus intéressants en faveur du maintien de l'Ecole rabbinique dans l'Est de la France, ou plutôt de sa translation à Nancy, nous les trouvons dans une lettre adressée au Ministre de l'Instruction publique par Faye, Recteur de l'Académie de Nancy, qui avait déjà montré antérieurement la place qu'occupait dans ses préoccupations patriotiques l'établissement de Metz. Nous croyons devoir donner in extenso ce remarquable document.
18 janvier 1857.
Monsieur le Ministre,Si l'Ecole rabbinique était transportée de Metz à Paris, suivant l'avis que j'en ai reçu hier, il en résulterait un dommage pour cette Académie et particulièrement pour nos facultés, car le Consistoire de Nancy, frappé de l'avantage que la présence de ces Facultés procurerait à l'Ecole rabbinique, avait conçu le projet de solliciter la translation dans notre ville. Quoique je n'aie point de titre pour intervenir dans une affaire de ce genre, votre Excellence daignera sans doute, en faveur des intérêts dont j'ai la charge, accueillir les réflexions suivantes : Plusieurs motifs expliquent la préférence qui primitivement fut donnée à la Lorraine pour l'établissement de l'unique Ecole rabbinique de la France. Aujourd'hui ces motifs subsistent encore, et les institutions universitaires dont le pays vient d'être doté leur donnent une force nouvelle. Le principal se fonde sur l'importance des communautés juives dans l'est de la France. Le nombre et la concentration des israélites est en effet une condition de ferveur religieuse dont on ne saurait trouver ailleurs l'équivalent. A Paris surtout, l'élément Juif disparaît dans la masse de la population ; il semble que l'élément religieux y soit absorbé ; la communauté religieuse n'existe point d'une manière apparente, elle n'y est pas visible. Là on fera tout ce qu'on voudra, des érudits, des hébraïsants, mais non des rabbins. Si le Consistoire central méconnaît cette condition, j'ai lieu de croire que nos Consistoires secondaires et les rabbins ne partagent point son sentiment. Un second motif est puisé dans l'intérêt général du pays. L'influence française en Europe n'aurait qu'à gagner si l'on favorisait la tendance naturelle des israélites à se réunir, non en un seul corps de nation, chose bien difficile, mais en un seul corps de doctrine, d'enseignement religieux et presque de sacerdoce ; mais la politique étrangère, qui ne s'émouvrait pas si le centre restait en Lorraine comme par le passé, s'inquiéterait de la voir à Paris. En d'autres termes, la translation du séminaire central de Metz à Nancy, près de nos Facultés, donnerait à cet établissement le relief qu'on veut lui donner à Paris et qui bien réellement lui manque à Metz, et il attirerait ici des candidats allemands sans éveiller de justes susceptibilités hors de nos frontières. En outre, cette simple translation ferait évanouir l'argument capital qu'on oppose sans doute à la ville de Metz, à savoir la persistance du jargon hébraïco-allemand qui se conserve trop aisément dans cette dernière ville, et que les israélites éclairés voudraient éliminer progressivement. Si des Juifs d'Allemagne nous passons à ceux de l'Orient, le choix de Paris soulève les mêmes difficultés, tandis que Nancy s'offre avec l'avantage de mettre en contact, au profit de l'influence française, deux éléments fort dissemblables, mais non pas hétérogènes, et cela sur le terrain le plus favorable. Près de nos Facultés, qu'il suffirait d'augmenter d'une chaire d'hébreu et d'une chaire d'arabe littéral, l'Ecole rabbinique aurait à Nancy une influence extérieure considérable, surtout si une succursale était fondée en Algérie, ainsi que je le proposais dans mon rapport confidentiel de novembre 1855. En résumé, Monsieur le Ministre, le milieu israélite est considérable dans l'Est de la France, il y est visible à tous les yeux ; à Nancy particulièrement, il y est éminemment français, je dis français de moeurs et de langage, car pour le coeur, les Juifs le sont partout, même en Allemagne (61). A Paris, au contraire, ce milieu indispensable ne fait pas sentir sa présence ; là, l'esprit religieux ne saurait prendre le caractère public et officiel dont ne saurait se passer un établissement constitué comme l'est la pépinière rabbinique. Le centre universitaire qui se développe si brillamment à Nancy est bien suffisant, sauf de légères additions qui sont d'ailleurs réclamées depuis longtemps pour d'autres motifs, pour offrir à l'Ecole rabbinique tous les moyens d'instruction et tout le relief désirables. Enfin, c'est à Nancy que le contact si désiré de l'Orient et de l'Europe israélites peut se réaliser sans obstacles, par l'intermédiaire d'un enseignement religieux, enfin la combinaison que j'ose soumettre à votre Excellence répondrait au voeu des populations juives de l'Est et donnerait, en outre, aux établissements universitaires un élément d'influence extérieure dont quelque réflexion suffit, ce me semble, pour faire apprécier l'intérêt.
Le Recteur, FAYE. |
On était donc en présence de trois projets différents :
Quel parti allait prendre le gouvernement ? Le Ministre de l'Intérieur, qui connaissait l'esprit de la jeunesse studieuse peu sympathique à l'Empire et qui se figurait que l'établissement de Metz contenait de nombreux élèves, était un instant opposé à la translation à Paris. "La trop grande agglomération des écoles à Paris, avait-il écrit, offre des inconvénients, depuis trop longtemps signalés" (62). Mais ses objections tombèrent lorsqu'il apprit qu'il s'agissait "d'un séminaire sans importance, composé au plus d'une vingtaine d'élèves, vivant dans la maison même et sous l'oeil d'un directeur et soumis à une exacte discipline" (63).
Malgré tout, les protestations de Metz, la campagne de l'Univers israélite, les démarches de quelques hommes en vue, enfin l'intervention du recteur de Nancy impressionnèrent le gouvernement. Avant de se prononcer il décida de faire une enquête près des Consistoires départementaux.
consultations des consistoires départementaux.
Nous résumons ci-dessous quelques-uns des rapports de ces différentes Assemblées, qui toutes, sauf deux, Metz et Bordeaux, se prononcèrent pour la translation à Paris.
Le ton chaleureux du rapport de Metz et les arguments souvent convaincants y contenus devaient frapper le Ministre de l'Instruction publique d'autant plus vivement qu'il recevait en même temps de différents coins de France des lettres reprochant au Consistoire central de vouloir, au moyen de la translation de l'Ecole à Paris, exercer une pression directe et constante sur l'esprit des futurs pasteurs d'Israël et les gagner ainsi à la cause de la réforme du culte. Toujours est-il que le Consistoire central, dans le document qu'il adressa au Ministre en réponse au rapport de Metz, crut utile de se justifier contre cette dernière accusation. Le fait que ce document est signé par le grand rabbin et tous les membres du Consistoire central en montre toute l'importance.
Après avoir rappelé le voeu des grands rabbins et fait allusion
à la réponse favorable à la translation donnée
par la grande majorité des Consistoires départementaux, le Consistoire
central ajoutait :
"Quant au prétendu parti réformiste qui, depuis 1841, chercherait
à saper l’Ecole..., nous pouvons d'autant plus rassurer votre
Excellence sur le respect absolu, profond, que le Consistoire central professe
pour les questions religieuses, auxquelles il n'est jamais entré dans
sa pensée de porter la moindre atteinte que, d'une part, une pareille
attaque serait en dehors de sa puissance laïque et, de l'autre, il encourage
de tous ses moyens les études religieuses qui s'enseignent ici, sous
son patronage, dans l'Ecole, dite de la Torah (66).
Si une considération secondaire pouvait ici trouver aussi sa place,
nous ajouterions que la plupart des élèves provenant des départements
de l'Est apportent avec eux un accent germanique très prononcé
que le séjour de la ville de Metz ne peut atténuer et qui a
besoin du frottement de la capitale pour perdre ce qu'il a de peu euphonique
(67)."
la cause de metz est perdue.
En 1858, la cause de Metz était définitivement perdue. A tous les arguments en faveur de la translation de l'Ecole à Paris développés dans un rapport soumis à l'approbation du ministre Rouland, celui-ci ajouta encore de sa main cette note marginale assez étrange : "Il faut dire que le vieux judaïsme qui a son quartier général dans l'Est est quelque peu ennemi des idées sociales que nous cherchons à propager. Quant à celui de Paris, plus éclairé, mieux dévoué, il n'a donné à l'Administration que des preuves multiples d'un concours complet et intelligent (21 mars 1858)" (68).
Restait à régler la grave question des dettes contractées
par le Consistoire de Metz et à trouver à Paris un local pour
y loger l'Ecole rabbinique.
Nous ne rapporterons pas les longues et fastidieuses et souvent très
violentes discussions soulevées au sujet des indemnités, d'ailleurs
légitimement exigées par le Consistoire de Metz. Pendant plus
d'une année, tout accord sembla impossible. Enfin, en désespoir
de cause, les deux parties eurent la bonne idée de soumettre leur conflit
à l'arbitrage d'Albert Cohn. Celui-ci rendit sa sentence en mars 1859,
et le Consistoire de Metz déclara accepter pour toute indemnité,
en outre des bâtiments en construction, la somme de 42.500 francs proposée
par Albert Cohn.
Le Consistoire de Paris, de son côté, loua un local, rue du
Parc-Royal, n° 10, pour y installer à titre provisoire l'Ecole
rabbinique dont il allait bientôt assumer la gestion, aux lieu et place
du Consistoire de Metz.
C'est dans ces conditions que l'impératrice Eugénie signa au
Palais de Saint-Cloud, à la date du 1er juillet 1859,1e décret
suivant :
décret du 1er juillet 1859, transférant à paris l'école de metz.
Napoléon, etc... Pour l'Empereur, et en vertu des pouvoirs qu'il nous a confiés. Signé : EUGÉNIE. |
Et c'est ainsi qu'après trente ans d'une existence souvent pénible et triste, mais généralement très honorable, l'Ecole centrale rabbinique quitta le berceau où elle avait vu le jour pour commencer dans la capitale sa nouvelle destinée.
J. BAUER
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