Les INSTITUTIONS de BIENFAISANCE PRIVÉES JUIVES à STRASBOURG sous le SECOND EMPIRE
par Jean DALTROFF
Extrait de l'Almanach du KKL-Strasbourg


Ville aux activités multiples, Strasbourg bénéficie sous le Second Empire d'une croissance démographique régulière : 64 000 habitants en 1852 et environ 84 000 en 1868. Les échelons de la hiérarchie sociale sont nombreux et dépendent de plusieurs critères comme la fortune acquise, l'héritage, la chronologie de l'établissement et la recherche d'un emploi loin du domicile de la naissance. (1)

Société "La Fraternelle" dans la synagogue du quai Kléber à Strasbourg (1907) - Agrandir l'image
Au sommet la bourgeoisie d'affaires, la haute administration civile et militaire. Aux échelons intermédiaires, les boutiquiers et les artisans ; à la base, le monde de la pauvreté et de l'indigence. Le nombre de ces menacés est estimé en 1868 à plus de 14 000. 46 % des indigents recensés la même année sont originaires de la ville, près de 40 % du Bas-Rhin, les autres d'autres départements ou de l'étranger.

Un tableau extrait de la Description du Département du Bas-Rhin à la fin du Second Empire précise la répartition des indigents (2). Ils constituent 21 de la population intra-muros représentant 22,8% de protestants et 19,3% de catholiques. En chiffres absolus, cela donne plus de 8 400 catholiques et 6 500 luthériens et réformés. Quant aux 213 indigents israélites, ils représentent moins de 7 % de la communauté juive (3 126 israélites vivent à Strasbourg qui compte 84 167 habitants en 1868).

L'indigence affectait donc tous les cultes. C'est pourquoi les Consistoires, devant la gravité des problèmes, avaient fondé des Comités de bienfaisance. Ainsi les principales activités du Comité de bienfaisance de Paris sous le Second Empire étaient le "chauffage, les azymes, l'habillement des enfants des écoles, les loyers, l'oeuvre des femmes en couches, les caisses de prêts, le vestiaire, les soupes aux écoles et le fourneau alimentaire" (3). L'hôpital Rothschild rue de Picpus à Paris, ouvert en 1852 avait ainsi reçu 8 673 malades de 1852 à 1865.

Sur un plan plus général à Strasbourg, les institutions de charité, en particulier publiques, jouaient un rôle important dans la lutte contre l'indigence. II y avait entre autres six hospices et orphelinats dont l'hôpital civil, l'hospice des orphelins, la fondation de Saint-Marc et l'hospice des enfants trouvés. Il y avait encore vingt-sept associations et oeuvres liées aux actions protestantes, onze autres catholiques (Saint-Vincent de Paul, les Dames du Bon Pasteur..) quatre établissements de prévoyance et de crédit et cinq institutions israélites.

Ce sont ces cinq institutions de bienfaisance que nous allons maintenant vous présenter en insistant sur les caractéristiques et l'utilité de chacune d'entre elles (4). Notons, avant d'aborder cette étude que les communautés juives d'Alsace étaient dotées d'institutions de bienfaisance qui dénotaient un grand esprit de charité. Dans toutes les Communautés juives d'Alsace, il y avait une caisse de secours pour les juifs de passage dont le but était d'éviter la mendicité professionnelle. Il y avait donc un effort certain de solidarité dont les directives venaient du Consistoire israélite du Bas-Rhin et d'hommes de grand mérite parmi lesquels il faut retenir Auguste, Louis et Achille Ratisbonne, tous trois présidents du Consistoire de Strasbourg de 1830 à 1870.

La Société de secours en faveur des malades de la Communauté de Strasbourg (Bikour 'holim).

Elle avait été fondée en 1823 et réorganisée en 1853. Elle se composait en 1858 de 86 membres participants et de 233 membres honoraires.
Cette société avait à sa charge trois catégories de personnes : Les secours distribués par la Société étaient également divisés en trois espèces :

Pour être admis dans la société, il fallait être membre de la communauté israélite de Strasbourg et payer une cotisation mensuelle de 40 centimes qui pouvait être réduite à 20 centimes pour les veuves.

Les revenus de la société provenaient pour 47 % de la souscription des sociétaires et pour 53 % des dons faits pour marquer les jours de joie et de deuil et surtout les jours de fête consacrés par des actes de bienveillance.

La Société de bienfaisance des dames israélites de Strasbourg ('Hevrath Nachim)

La fondation de cette société remontait aux premières années qui avaient suivi la Révolution de 1789. Les statuts définitifs de la Société des dames furent fixés en 1837.
Le but de la société était : N'étaient admises dans l'association que les dames membres de la communauté de Strasbourg. A la fin de l'exercice 1855 à l'époque de la synagogue consistoriale de la rue Sainte-Hélène (Achille Ratisbonne était le président du Consistoire du Bas-Rhin (5), Arnaud Aron, le grand rabbin et vice-président ; les autres membres du Consistoire étaient Mathieu Hirtz, docteur en médecine, David Masse, avocat, Louis Bloch, Jacques Schwartz, Jacques Gougenheim et Léonard Lévy, secrétaire) le nombre des dames sociétaires était de près de 400.

La Société de secours mutuels des Israélites de Strasbourg

Cette société fut fondée en 1849 par quelques membres de la communauté israélite de Strasbourg. Le but de leur association était de s'entr'aider en "cas de maladie et en cas de décès" et de faire participer la famille survivante aux avantages de cette assistance mutuelle. En 1853, la société se composait de 50 membres. Pour en faire partie, il fallait habiter Strasbourg, ne pas avoir dépassé l'âge de 46 ans et être en bonne santé. Tout membres marié devait de plus "appartenir à la communauté de la ville et faire partie de la société des malades pauvres". Le droit d'entrée s'élevait à 100 francs et la cotisation mensuelle était de 2 francs.

En cas de maladie, le sociétaire recevait un secours de 18 francs par semaine. Tout membre de l'association arrivé à l'âge de 65 ans avait droit à un secours annuel de 200 francs. La veuve d'un sociétaire avait droit pendant trois ans à un secours de 200 francs. Les enfants d'un sociétaire décédé, déjà orphelins de mère avaient droit au même secours, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 18 ans. Enfin la mère d'un sociétaire décédé célibataire et réputé soutien de famille avait droit à un secours de 300 francs. En cas de dissolution de la société l'argent restant en caisse était distribué entre les sociétaires en vie.

La Caisse de bienfaisance de Strasbourg administrée par délégation consistoriale.

Cette caisse était entretenue par tous les membres de la communauté de Strasbourg. Elle était attachée à la synagogue et embrassait tous les services charitables sans distinction : secours divers, distributions spéciales, hôpitaux, prisons, nourriture de militaires pendant les fêtes de Pâques, pensions hebdomadaires etc.

La Société d'encouragement au travail en faveur des jeunes israélites indigents du Bas-Rhin. - L'Ecole d'Arts et Métiers à Strasbourg

Auguste Ratisbonne (1770-1830)
président du Consistoire israélite de Strasbourg, par F. Hagen, lithographie de Simon Fils - Coll. & photo BNU Strasbourg
Ratisbonne
Cette société fut fondée en 1822 par Auguste Ratisbonne, négociant en draps, banquier et président du Consistoire israélite du Bas-Rhin en 1830 (6). Cette société fut reconnue d'utilité publique par ordonnance du 18 avril 1842. Elle avait pour mission d'encourager et de propager parmi les israélites le goût des arts et des professions mécaniques (article 1 du règlement). Elle facilitait le placement des ouvriers, aidait ceux qui voulaient s'établir et accordait des secours à ceux qui se mettaient en voyage pour perfectionner leur art. Les élèves étaient logés, nourris, habillés et instruits aux frais de la société. Des élèves payants pouvaient aussi être admis. La société exigeait en outre, que ces élèves aient avant leur admission fréquenté une école primaire autorisée et que les familles soient domiciliées dans le Bas-Rhin. La commission d'administration était placée sous la surveillance du Consistoire du département et de celle des autorités représentées par le Préfet.

Pour être en mesure de remplir ses engagements, la société créa une École d'Arts et Métiers, rue de la Demi-Lune à Strasbourg, dont le fondateur était également Auguste Ratisbonne.

L'établissement reçut une organisation propre à assurer aux enfants le développement de leur instruction intellectuelle et une éducation professionnelle variée. C'est Louis Ratisbonne qui fit construire la vaste maison correspondant à l'Ecole. Louis Ratisbonne était devenu Président du Consistoire israélite du Bas-Rhin à la mort d'Auguste son frère en 1830. II faisait partie de la classe financière locale, à l'esprit d'entreprise et de compétence. Il fut banquier, adjoint au maire et membre du Tribunal de la chambre de Commerce. Il soutint le comité d'encouragement au travail des Israélites du Bas-Rhin et légua à la société, à sa mort en 1855, la belle maison qu'il avait fait édifier par ses
soins et ses deniers (7). Son neveu Achille-Fortuné Ratisbonne (1812-1883) prodigua tous ses talents administratifs et ses sentiments de philanthropie à cette école (8).

Cette école devint une institution modèle avec 49 élèves pendant l'année 1855-1856. Elle recueillait des enfants sans fortune et leur donnait les moyens de gagner leur vie et d'occuper une place honorable dans la société. Y furent formés des élèves maîtres destinés à diriger les écoles primaires communales israélites (9) mais encore des ouvriers habiles (batteurs d'argent, compositeurs d'imprimerie, serruriers, tapissiers, tourneurs, bottiers, tailleurs, ferblantiers).

Jusqu'en 1854, le nombre des élèves sortis de l'école s'élevait à 146. C'est le comité d'administration qui organisait le suivi des élèves sortis de l'école. Au moins 134 élèves devaient à l'école une position honorable dans l'armée, les ateliers militaires et dans l'industrie. Cette école fut transférée en 1909 dans ses locaux de la rue Sellénick.

Le 4 mai 1947, le Ministre de l'Éducation nationale, Monsieur Naegelen, en présence de nombreuses personnalités dont Monsieur Meiss, Président du Consistoire central et président de l'ORT inaugura l'Ecole ORT de Strasbourg, marquant après guerre la renaissance de cette école de travail où furent formés des ouvriers qualifiés en électromécanique et radio-technique, dans l'esprit de l'Ecole d'arts et métiers de la rue de la Derni-Lune. La nouveauté était la présence d'une douzaine de jeunes filles suivant un cours de coupe et de couture et celle d'une cinquantaine d'enfants polonais en transit en France, suivant des cours accélérés (10). Toujours est-il que l'orientation de l'école d'arts et métiers était marquée par le souci de profiter des nouvelles possibilités offertes par l'émancipation, par le développement des professions artisanales en vue d'une meilleure intégration dans la société française.

Conclusion

Toutes les sociétés que nous venons d'étudier se caractérisaient par deux orientations précises :

Ce message de solidarité et d'altruisme des institutions de bienfaisance de Strasbourg sous le Second Empire ne devrait-il pas guider la démarche de nos collectivités juives à la recherche d'authentiques valeurs en cette fin du vingtième siècle ?


NOTES :
  1. Roland MARX, La Seconde République et le Second Empire dans Histoire de Strasbourg sous la direction de Georges Livet et Francis Rapp, Toulouse Privat/D.N.A., 1987 pp.322-324.    Retour au texte.
  2. Description du département du Bas-Rhin, volume III, (état moral : cultes, instruction publique, moralité publique, bienfaisance publique et privée). Paris, Veuve Berger-Levrault, 1871.     Retour au texte.
  3. David COHEN, La promotion des juifs de France à l'époque du Second Empire (18521870), tome 2 ; Aix, Université de Provence, 1980, p.548 ; et Léon KAHN, Le Comité de bienfaisance, Paris, Librairie A. Durlacher, 1886, p.215.    Retour au texte.
  4. Voir L.J. REBOUL - DENEYROL. Paupérisme et bienfaisance dans le Bas-Rhin, Paris - Strasbourg Veuve Berger-Levrault et fils, 1858, pp 471-482.    Retour au texte.
  5. Archives départementales du Bas-Rhin BA 1,155 Annuaire du Bas-Rhin, 1857, p.83.    Retour au texte.
  6. Voir Soeur Jean-Marie CHAUVIN De Fürtn à Strasbourg : la famille Ratisbonne, Bulletin du Cercle de Généalogie d'Alsace, N° 85, 1 - 1989 pp.1-14 ; et Robert WEYL et Freddy RAPHAEL, Auguste Ratisbonne, Encyclopédie de l'Alsace, vol.10, Strasbourg, 1885 p. 6270    Retour au texte.
  7. Voir Jean DALTROFF : Un banquier strasbourgeois de la première moitié du 19e siècle l'exemple de Louis Ratisbonne, Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg, XXV 1996 ; et Étude notariale Rencker, testament de Louis Ratisbonne du 5/4/1854 (conservé par Me Seyler, Strasbourg).    Retour au texte.
  8. Jean DALTROFF Ratisbonne, Achille - Fortuné. Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne.    Retour au texte.
  9. L.J. REBOUL-DENEYROL, op. cit., p 481.    Retour au texte.
  10. Bulletin de nos communautés, n° 11, 16 mai 1947, L'inauguration de l'Ecole ORT pp.8-9.    Retour au texte.


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