Un coup de téléphone de la Préfecture au secrétariat
de la communauté, nous annonce qu'un avion en provenance de Marseille,
va atterrir à Entzheim, avec des réfugiés juifs d'Algérie
qui veulent s'installer en Alsace.
C'était il y a quarante ans, un vendredi, et il nous fallut retarder
d'une heure l'entrée du Shabath et l'office de la Grande synagogue
pour les accueillir.
Ainsi commence l'histoire de la rencontre de notre communauté avec
le judaïsme séfarade.
Le centre communautaire, construit quatre ans auparavant, devait se préparer
pour accueillir à titre temporaire des coreligionnaires qui quittaient
l'Algérie.
Quelques heures plus tard atterrissaient une soixantaine de personnes, hommes,
femmes et enfants membres d'une famille venue du sud algérien ( le
M'zab), qui avaient demandé à venir dans une communauté
ou ils pourraient manger cacher et trouver un environnement traditionnel.
Le Préfet de Marseille, Monsieur Haas Picard, les avaient orientés
vers l'Alsace.
Il y avait alors très peu de juifs séfarades dans notre région.
Apres la guerre, quelques soldats venus avec les armées de la Libération,
étaient restés dans l'Hexagone et y avaient fondé des
foyers. Au moment de la révolution en Egypte (1954) quelques familles
s'étaient installées dans la banlieue de Strasbourg.
Puis de jeunes marocains étaient arrivés dans la ville pour
y faire des études (surtout de médecine) sachant qu'ils pourraient
vivre ici dans des milieux pratiquants.
Au moment de l'indépendance de l'Algérie, des parents, inquiets
- et à juste titre - pour l'avenir acceptèrent d'envoyer
à titre temporaire de jeunes enfants en Métropole en attendant
la suite des événements. A Strasbourg, des familles s'étaient offertes à les
héberger et quelques dizaines de jeunes vivaient avec nos enfants et
fréquentaient l'Ecole Aquiba. D'autres furent logés dans les
internats.
Lorsque débuta le grand exode, des milliers de Juifs quittèrent
l'Algérie. La plupart d'entre eux choisirent le midi de la France,
dont la population juive était séfarade, ou la région
parisienne qui allait le devenir presque entièrement. Toutefois nos
responsables communautaires se préparèrent à accueillir
des réfugiés, se souvenant de leur propre situation lors de
l'évacuation en 1939.
C'est ainsi que l'on mobilisa des locaux inoccupés dans des communautés
rurales. Les colonies de vacances comme Schirmeck
ou les centres communautaires de Lingolsheim et de Soultz sous Forêts
furent transformés en centres d'accueil.
A Strasbourg, des responsables de tout bord se réunirent et décidèrent
de transformer en dortoirs la salle des fêtes du nouveau centre communautaire(salle
Léo Cohn) et la salle de gymnastique. L'arrivée de ce premier
groupe ne nous prit donc point au dépourvu.
Pour assurer la nourriture, les internats de Strasbourg acceptèrent,
à tour de rôle, de fournir le nécessaire.
L'Action Sociale Juive sera responsable des problèmes administratifs,
aidée par un nombre de volontaires.
Quant aux questions de santé, une équipe féminine avec
a sa tête une jeune infirmière (Lise Hanau) qui passait des journées
entières au centre, s'occupa des soins à donner aux enfants
et aux mamans. Un comité central regroupait l'ensemble des institutions
sociales et éducatives et lança un appel angoissé pour
recueillir des fonds pour une activité que l'on prévoyait longue
et onéreuse.
Les écoles juives se préparèrent également à
recevoir des jeunes rapatriés ainsi que les internats. On organisa
des cours de rattrapage. Les appels lancés par les rabbins
et les responsables communautaires furent bien entendus et le FSJU centralisa
les fonds recueillis.
En très peu de temps, le nombre de rapatriés se chiffra par
centaine de familles. Si beaucoup d'entre elles trouvèrent des logements
auprès de leurs proches déjà intégrés en
Alsace, d'autres acceptèrent de s'installer dans les communautés
de la région. Mais elles n'y restèrent que peu de temps, le
temps de trouver à se loger. La Ville permit aussi à des réfugiés
d'occuper pendant des semaines l'auberge de la jeunesse de Koenigshoffen.
La Yeshiva Eschel
Mais avec l'augmentation de la population rapatriée, d'autres besoins
se firent jour.
Un lycée yechiva (Eshel) s'ouvrit à côté des écoles
existantes et le rabbin Abitbol créa, avec le rabbin Klapish, la Yechiva
des étudiants, destinée à des jeunes qui voulaient compléter
leurs études universitaires par un enseignement kodesh.
Les mois passèrent et les fêtes approchaient. Il fallait trouver
des locaux pour permettre la tenue d'offices de rite séfarade.
En 1960 déjà la communauté avait organisé des
minyanim pour Roch Hachana et Yom Kippour.
L'année suivante, des offices réguliers eurent lieu tous les
Shabath dans la salle Hallel du centre communautaire.
En 1962, des lieux de culte furent ouverts à Cronenbourg et à
la Canardière.
Mais tous ces locaux s'avérèrent trop exigus lors des fêtes
de Tishri et des offices eurent lieu dans la salle Joffre, sous la direction
du rabbin Albert Hazan, aumônier militaire.
La population dépassa bientôt le nombre de 500 familles et il
fallut songer à établir des oratoires permanents dans la périphérie.
Pour la ville, la Salle Léo Cohn servit d'oratoire aux rapatriés
habitant le centre de Strasbourg, avant d'être transformée en
véritable synagogue.
Les nouveaux quartiers connurent une population séfarade de plus en
plus nombreuse. Il en sera ainsi de l'Esplanade. Une synagogue préfabriquée
provisoire fut construite, permettant-elle aussi la tenue d'offices réguliers
auxquels se joignaient les Juifs alsaciens habitant ces quartiers.
La communauté de Strasbourg était et resta une Kehila
unifiée. Mais il n'était pas question d'imposer un rite commun.
Le Rabbin Hazan fut désigné comme le guide spirituel du Kahal
séfarade, qu'il dirigea de facon exemplaire. Lorsqu'il décida
de s'installer en Israël, il fut remplacé par le Rabbin Roger
Touitou, avant que celui ci ne soit nommé à la tête d'une
des grandes synagogues parisiennes.
La population séfarade ne cessa de grandir. : Cronenbourg, la Meinau,
l'Esplanade étaient devenus des sections de la grande communauté.
Leurs rabbins faisaient partie de l'équipe rabbinique de Strasbourg.
Mais de plus en plus, on sentit le besoin de remplacer le provisoire par du
permanent ; c'est pourquoi la communauté aida les fidèles
à construire des synagogues.
La première fut édifiée à Cronenbourg. Le rabbin
Raphael Perez en sera le chef spirituel avant de succéder au rabbin
Touitou comme rabbin du rite séfarade de la communauté de Strasbourg.
En 1985, on construisit la synagogue de la Meinau avec à sa tête
le rabbin David Abergel.
Ces synagogues devaient servir à la fois pour le public ashkénaze
et séfarade et les offices devaient être alternés. Mais
la population séfarade était tellement supérieure en
nombre que seul son rite fut maintenu.
Depuis 1977, une synagogue provisoire a été construite à
l'Esplanade. Elle sera remplacée en 1992 par un bel édifice
que dirige encore aujourd'hui le rabbin Claude Spingarn (un des rabbins ashkénazes
de la communauté).
Les années ont passé : la communauté de Strasbourg
a changé d'aspect.
Deux générations sont nées en Alsace. Nos enfants fréquentent
les mêmes écoles, les mêmes mouvements de jeunesse. La
plupart des mariages se font entre les jeunes issus des deux communautés.
Je dirai que cette osmose aura été une bénédiction
pour le judaïsme alsacien.
La construction, à côté du centre communautaire de la
Paix, de cette merveilleuse synagogue Rambam, il y a un an, est la meilleure
preuve d'une intégration réussie.
Ceci grâce au dévouement des responsables spirituels et administratifs
des deux composants de la communauté.
Témoignage de Mireille Warschawski
J'aimerais ajouter mes souvenirs personnels liés à l'arrivée des Juifs d'Afrique du Nord et à leur intégration dans la vie de la communauté de Strasbourg.
J'aimerai immédiatement préciser que je ne me suis personnellement que très peu investie dans l'action. J'étais très proche de mon mari qui a consacré beaucoup de temps et de cur à l'organisation de la vie de gens qui avaient dû abandonner non seulement l'endroit dans lequel ils avaient vécu pendant des générations, mais également leur métier, leur parnassa, leurs habitudes aussi bien culturelles que religieuses.
Il fallait avant tout résoudre leurs problèmes matériels, leur vie de tous les jours.
Il était indispensable pour cela d'éviter deux pièges : évidemment ne pas mépriser et faire la charité à ces "pauvres réfugiés" si étrangers à la vie en Alsace et d'autre part ne pas tomber dans une attitude paternaliste de protecteurs ; il fallait conserver à ces gens dépaysés leur dignité humaine, pour eux-mêmes et vis à vis de leurs enfants.
Il était indispensable de leur préparer ainsi une place de membres de la communauté à part entière, tout en respectant leurs spécificités s'ils décidaient de rester à Strasbourg.
Je voudrais rappeler ici quelques exemples que la discrétion des volontaires concernés a conduite à l'oubli. J'évoquerai pour commencer le travail indispensable et exemplaire exécuté par Lise Hanau en temps qu'infirmière présente au centre communautaire chaque jour du matin jusqu'au soir. Sa modestie l'empêche d'en parler elle-même ; mais elle fut d'une efficacité exceptionnelle.
Je ne voudrais pas oublier de mentionner le médecin, qui tous les matins, avant de s'occuper de ses patients, passait au centre communautaire pour examiner et traiter les malades éventuels : le Docteur Léon Bergmann avait pris sur lui d'assumer cette tâche.
J'aimerai également évoquer un souvenir plus personnel. Cela se passait à l'approche de la fête de Pessah. Il fallait d'urgence trouver le moyen de permettre aux nouveaux arrivés de se procurer le ravitaillement et en particulier la viande, à un prix abordable. Mon mari avec l'aide efficace et discrète de Loup Meyer Moog, s'est occupé de l'achat et de la she'hita, l'abattage rituel (à prix abordable) de l'énorme quantité de volailles indispensables pour la période des fêtes.
J'insiste sur ce fait : sans la collaboration et l'aide illimitée de Loup, jamais le but n'aurait pu être atteint.
J'ai parlé de Lyse, de Loup et de Léon, car du fait de leur modestie, à cause du naturel et de la spontanéité de leur collaboration jamais ils ne se sont vantés de leur contribution. Je suis persuadée que tous ceux qui les ont côtoyés durant cette période conservent la mémoire de leur dévouement quotidien.
Quarante ans plus tard !!! Je lis avec attention le carnet familial de Chabbat Chalom et je m'aperçois qu'il y a de moins en moins de mariage entre ashkenazim, qu'ils soient alsaciens ou d'origine polonaise. Les mariages sont de plus en plus souvent "mixtes", dans le bon sens du terme.
Je me tourne vers ma propre famille, enracinée en Alsace depuis de siècles, et je mentionnerai un des exemples les plus caractéristiques et les plus émouvants.
Mes cousins Simone et Jean-Jacques Franck ont cinq enfants. Ils ont été élevés d'une façon on ne peut plus alsacienne. Tous, filles et garçons ont épousé des séfardim.
Il y a quelques mois le plus jeune s'est marié et a choisi comme compagne .. une descendante de la famille Sebban-Balouka, une petite fille des Balouka arrivés en 1962, le fameux Erev Shabath, du sud algérien, du M'zab.
Une petite jeune fille, née et élevée à Strasbourg ayant eu la même éducation que les enfants du cru, ayant su garder des liens avec ses origines comme son jeune mari avec les siennes. J'ai pleuré d'émotion en voyant la grand-mère accompagner sa petite fille sous la 'Houpa. Et le soir, avec quelle joie partagée, nous avons toutes les deux dansé ensemble. Inutile d'ajouter quoi que ce soit à ce récit : la communauté séfarade a su s'épanouir à Strasbourg, s'adapter sans perdre son identité, pour le plus grand bien du judaïsme local.
Vous entendez actuellement le discours du Grand Rabbin Warschawski, prononcé lors de l'inauguration de l'Oratoire Léo Cohn en 1982 Si le son ne vous parvient pas, il vous faut télécharger REAL AUDIO en cliquant sur le bouton ci-dessous :