Elle
est si discrète, si modeste, que nous avons eu peine à la dénicher.
Ensuite, nous avons dû la supplier pour obtenir la permission de parler
du rôle admirable qu'elle a joué pendant la Shoah en France.
Lise Hanau, originaire de Strasbourg dont elle a gardé la charmante
intonation, vit depuis de longues années en Israël où,
bien intégrée, elle est connue pour sa disponibilité,
sa générosité, son amour d'autrui.
Nous sommes en 1942. Lise Hanau vient de terminer ses études d'infirmière
et travaille depuis trois mois dans une maison non juive de l'Isère
qui accueille des mères célibataires et des enfants malades,
lorsqu'elle reçoit un coup de téléphone impératif
d'Andrée Salomon
qu'elle connaissait de Strasbourg et qui lui demande sans détour :
"Prends le train ce soir et rejoins-moi au camp de Rivesaltes, tu
seras l'infirmière des enfants du camp."
Lise hésite : "Il m'est difficile de partir si vite",
répond-elle.
A l'autre bout du fil, la voix bien timbrée d'André Salomon
rétorque: "Il te faut longtemps pour prendre quelques slips
et une brosse à dents ?"
Quand Andrée Salomon donne un ordre, on ne peut qu'obtempérer.
Et Lise part sans que ses parents y fassent objection, ce qui est remarquable.
Elle reçoit un laissez-passer d'Andrée Salomon qui l'attend
à Perpignan et pénètre dans le camp de Rivesaltes, dans
son uniforme d'infirmière, avec sa grande cape et son voile bleu.
Situé dans les Pyrénées Orientales, un département
du sud-ouest de la France, Rivesaltes était un camp de concentration
entouré de barbelés et gardé par des militaires français.
Il allait bientôt qui allait bientôt devenir un camp de transit
vers les sites d'extermination.
Dans ce camp, pas un brin d'herbe, se rappelle Lise, rien que des pierres,
des baraques où sont logés des Juifs de nationalité étrangère
arrêtés lors d'une rafle, d'un contrôle, du passage de
la ligne de démarcation ou d'une tentative de franchissement clandestin
de la frontière espagnole ou suisse.
Des familles entières vivent dans un manque d'hygiène total,
les latrines sont de simples planches sans porte ; on dort sur de la paille
avec, pour toute literie, une mauvaise couverture. Dans les baraques, ni table,
ni chaises, ni objets de toilette. Séparés des femmes, les hommes,
totalement désoeuvrés, vivent dans une angoisse perpétuelle.
REPERES BIOGRAPHIQUES
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Andrée Salomon a élu domicile au camp de Rivesaltes et Lise
devient l'infirmière de la baraque des enfants. C'est un bâtiment
situé à l'extrémité du camp où Andrée
Salomon et son équipe veulent faire entrer le plus d'enfants possible.
Lise, qui n'a pas encore dix-huit ans, travaille sans relâche. Elle
est presque seule pour s'occuper d'une quarantaine de pensionnaires. Avec
l'aide de trois ou quatre jeunes belges, elle doit leur distribuer la soupe
du déjeuner, les laver, les épouiller, les faire chanter ; les
conduire en rang à 16 heures dans la baraque du secours suisse qui
leur offre du riz au lait sucré.
De plus, elle parcourt le camp et propose aux parents de lui confier leurs
enfants qui seront mieux dans sa baraque (1).
Certaines mères acceptent, dans l'intérêt de leur progéniture
mais d'autres, trop angoissées, refusent de se séparer de leurs
petits.
Lorsqu'elle peut sortir du camp, elle en profite, selon les directives d'Andrée
Salomon, pour se procurer de faux papiers d'identité destinés
aux enfants (2). L'objectif de cette action est simple
: éviter à tout prix la déportation de ces jeunes.
Puis vient septembre 1942 : c'est au moment des fêtes de Tishri, que
sont organisés les premiers départs, les premières déportations.
Lise assiste à l'appel des Juifs qui partent pour Drancy puis Auschwitz.
Elle aperçoit dans le groupe un petit garçon que ses parents
n'avaient pas voulu confier à la baraque des enfants. En quelques secondes,
elle s'approche de lui, l'engouffre dans sa grande cape et le conduit le plus
rapidement et le plus discrètement possible vers
sa baraque (3).
Lise entreprend très souvent de telles opérations de sauvetage,
sous le nez de la police, parfois juste avant l'embarquement dans le train.
Sauvés de justesse, terrorisés, sous le choc de la séparation,
les enfants qui viennent de quitter leurs parents arrivent en pleurs dans
la baraque. Lise organise immédiatement une ronde ou un jeu, elle donne
un petit quelque chose à chacun d'eux et les entoure de son affection.
Elle leur parle en français, mais aussi en allemand, en yiddish, en
anglais, elle trouve les mots pour chacun.
Lise Schlanger (Hanau) en uniforme d'infirmière à Rivesaltes en 1942 |
Les enfants de Rivesaltes avec Lise Schlanger (à g.) |
Comprenant que la situation va en empirant, que les déportations se déroulent à un rythme accéléré, Lise Hanau va de baraque en baraque proposer aux parents encore réticents de prendre en charge leurs enfants jusqu'à leur retour... Beaucoup acceptent cette séparation que tous espèrent provisoire. Officiellement limité à 35, le nombre des pensionnaires de la baraque est maintenant beaucoup plus élevé.
Andrée Salomon et son équipe font sortir les enfants, soit par
une filière officielle (4),
dotés de faux papiers ou de familles fictives de nationalité
française, soit par des filières clandestines. Lise fait par
exemple passer deux enfants cachés sous la banquette d'une voiture.
Tous les jeunes qui sont passés par la baraque des enfants ont été
sauvés : en quittant Rivesaltes, ils ont rejoint des maisons d'enfants,
des familles d'accueil.
Lise Hanau quitte Rivesaltes début décembre 1942, les derniers
Juifs de ce camp ayant été conduits à Gurs. Elle rejoint
la région de Grenoble.
Admirable Lise Hanau ! Mais elle ne tire aucune gloire de ce qu'elle a fait.
"J'étais jeune, dit-elle, j'aimais l'aventure. En tant que juive,
j'étais contente de faire quelque chose de concret pour aider mon peuple,
et si j'ai pu contribuer à sauver des enfants, c'est parce que j'avais
sous les yeux l'exemple contagieux d'Andrée Salomon dont la force nous
galvanisait. Elle m'a appris à mépriser le danger et à
garder toujours espoir dans l'amour des enfants."