MICRO-TROTTOIR... PAR E-MAIL !
A l'occasion du 54ème anniversaire de l'Etat d'Israël (5762-2002) nous avons cherché à connaître un peu mieux ces Juifs originaires d'Alsace qui sont venus s'installer dans ce pays. Il nous a semblé en effet que c'est justement dans cette époque troublée, où tant de questions se posent sur le devenir d'Israël, qu'il fallait faire entendre la voix de ceux qui avaient décidé de prendre une part concrète à son destin. Pour cela, nous avons procédé à un "micro-trottoir" par e-mail : nous avons envoyé un questionnaire à tous ceux qui sont inscrits sur notre liste de courrier avec une adresse israélienne, en leur posant des questions identiques. Certes, nous avons été un peu déçus par le petit nombre des réponses, mais la qualité de ces mêmes réponses nous a remonté le moral. Ce qu'on lira ci-dessous n'est donc pas une analyse sociologique, mais plutôt l'évocation d'une ambiance, d'un état d'âme qui règne parmi ces ex-alsaciens.
Le barbecue traditionnel de Yom Haatzmaouth
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La forêt vosgienne... objet de
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... la nostalgie des Alsaciens d'Israël
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La forêt de Jérusalem...
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saura-t-elle la remplacer ?
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Le souvenir de Strasbourg s'efface...
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devant la réalité de Jérusalem
© M. Rothé
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Qu'est-ce qu'était pour vous Yom Haatzmaouth lorsque vous viviez encore en Alsace ou en Diaspora ? Et que représente Yom Haatzmaouth pour vous depuis que vous vivez en Israël ?
En Alsace, ou en Diaspora, la célébration de Yom Haatzmaouth était intimement liée à la vie cultuelle :
- " Une prière pour Israël au cours de Omer Schùl et si le temps était beau, une discussion politique devant la Schùle (synagogue)."
- "Nous vivions à Paris avant notre alyah avec des liens constants de famille en Israël ou mon épouse était née et avait grandi. Donc, nous fêtions normalement le Yom Haatzmaouth en France, en général à la synagogue libérale, rue Copernic."
- "Là bas, à Paris: une fête rassemblant les familles amies d'Israël
Le soir, un office consistorial un peu solennel pour les jeunes (de Tikvatenou) que nous étions puis une fête sympa mais ensuite plus grand chose le jour même (métro, boulot, dodo) Et, souvent le Dimanche suivant, un spectacle ou un rassemblement (des 12 heures pour Israël jusqu'au grand show au Zénith)."
- "Dès mon enfance, l'Etat d'Israël a fait partie de notre vie de famille. Yom Haatzmaouth était tout d'abord célébré à l'école Aquiba où il y avait une réunion des élèves dans la cour et un discours du directeur, monsieur B.Gross. Mais c'était aussi le jour de la course des garçons à l'office du matin - le premier arrivé décidait si l'on dirait Hallel ou non (c'était ensuite le sujet de conversation). A la maison, c'était l'occasion d'un déjeuner de fête."
Une seule réponse évoque l'aspect "sioniste" de cette célébration :
"Yom haatzmaouth en Diaspora était un jour d'identification émotionnel avec Israël, un rassemblement communautaire avec activité "sioniste".
Depuis qu'ils vivent en Israël, nos correspondants célèbrent le Jour de l'Indépendance comme tous leurs nouveaux compatriotes :
- " En Israël, pendant de longues années l'occasion de pique nique familial."
- "Ici, la fin de Yom Hazikarone (le Jour du Souvenir pour les soldats tombés au champ d'honneur), les feux d'artifices, et le barbecue national!!!
- "Aujourd'hui ; c'est, le soir, la cérémonie au Mont Herzl regardée à la télé avec émotion et le lendemain retrouvaille avec "mangal" traditionnel en famille ; jour de fête où on peut rouler donc rare et bien agréable. Je mets un drapeau sur ma voiture. Le soir ; j'aime voir la remise des prix d'Israël à la télé."
Mais ce Jour de l'Indépendance n'est pas un simple jour férié. C'est aussi un jour où l'on se pose des questions :
- " Depuis que je suis en Israël, c'est une fête qui représente mon appartenance et celle de ma famille à ce pays qui est mon pays."
- " Ici, on voudrait que ce soit une fête équivalente à Pessah, mais malheureusement, on n'y réussit pas, et notre joie est mêlée à la fois d'espoir et d'inquiétude."
" Lien avec l'Etat juif et ce n'est pas tellement la date (comme le 14 juillet), mais plutôt les leçons à tirer de l'événement "création d'un Etat juif". Comme le 14 juillet est le départ des droits de l'homme.
Existe-t-il un événement récent qui vous laisse penser que la communauté juive alsacienne en Israël constitue une communauté à part entière ?
Tous répondent NON à cette question avec une belle unanimité :
- "NON CATEGORIQUE : c'est un mélange d'apports culturels cultuels venus d'horizons divers en perpétuelles mutation"
"Non
peut être le rassemblement de l'amitié des témoignages et de la solidarité autour de notre ami Laurent Blum grièvement blessé dans un attentat
mais bien au-delà des anciens clivages communautaires
."
- "Non pas de communauté à part. Les Alsaciens se sont intégrés dans les diverses communautés qui leur conviennent. Certains ont gardé une attache traditionnelle (minhag) avec leur point d'origine, d'autres voudraient oublier ou faire oublier leur origine."
- "A l'occasion de tel événement ou de telle rencontre où on a l'occasion de se retrouver, je ressens l'existence et la présence de nombreux "gens de mon village", mais heureusement pas une communauté à part entière, chacun ayant aussi d'autres attaches.
Toutefois ce refus de considérer les Juifs originaires d'Alsace comme les membres d'une communauté autonome en Israël nous laisse un peu sceptiques, au regard d'autres articles publiés sur notre site. Voyez par exemple
Choucroute à tous les étages, ou bien
Rosh Hashana à Jérusalem. ..
Vous vivez en Israël depuis un certain nombre d'années, que vous manque-t-il tout particulièrement de votre Alsace natale ?
Ici, LES VOSGES recueillent presque tous les suffrages. Dommage qu'il soit impossible de les replanter en Israël !
On perçoit également une certaine nostalgie de la vie communautaire telle qu'on l'a connue "là-bas" :
-
"Ma nostalgie, si nostalgie y a, se rapporte à une période bien antérieure à l'alyah quand la Communauté était comme une famille. Dans la petite ville que j'habitais la Communauté s'était éteinte de mort naturelle."
- "Ce qui me manque tout particulièrement c'est la vie communautaire, la responsabilité au niveau d'une communauté, son engagement communautaire que nous n'avons pas retrouvé ici."
Le meilleur remède à la nostalgie n'est-il pas la visite au pays natal ?
"Il ne nous manque rien d'essentiel de la vie en Alsace, car nous nous y rendons chaque année pour des visites de famille et les
Kever Avoth (tombeaux) traditionnels. Nos enfants s'y rendent un peu moins souvent, mais sont quand même très attachés à l'Alsace. Je crains que nos petits-enfants, bien que parlant français, perdent ce lien avec les origines. Nous suivons aussi les traditions culinaires alsaciennes que mon épouse a bien assimilées."
Existe-t-il un élément majeur dans le comportement d'un Juif alsacien, que vous aimeriez enseigner aux Israéliens ?
Tolérance et convivialité, voilà ce que peuvent apporter les Juifs d'Alsace à leur pays d'accueil :
- "Peut être la tolérance encore que ce n'était pas une valeur universelle "chez nous"."
- "Peut être la tolérance envers autrui, même envers les non-juifs. Ceci lie au bon sens terrien hérité d'une longue coexistence avec les habitants non juifs des villages alsaciens, culture qui a disparu aujourd'hui. On peut y ajouter l'humour juif alsacien qui remet les choses a leur vraie place."
- " Dans l'ensemble, je pense que la société israélienne devrait être plus perméable aux influences des divers judaïsmes venus de la Gola (dispersion) et qui peuvent apporter chacun quelque chose. Sur le plan religieux, ce qui est irréalisable ici, c'est le contact entre les gens de différents bords que les activités communautaires de la Gola permettent."
- "La convivialité."
D'autres souhaiteraient enseigner aux Israéliens "une certaine retenue",
ou encore "l'esprit communautaire et la tradition".
Enfin, certains soulignent que ce n'est pas la culture alsacienne, mais la culture française qu'ils ont pour mission de transmettre :
"Pas particulièrement alsacien, mais certains traits français ; comme une certaine politesse, un sens de l'esthétique, le respect de sa propre langue ; je pense que si on enseignait ici l'hébreu comme on enseigne le français en France, et si on le respectait un peu plus, le bien s'en ferait sentir sur de nombreux plans."
A l'inverse, les Israéliens ont-ils quelque chose à enseigner aux Juifs d'Alsace ?
La fierté d'être juif, l'amour du pays, voilà ce que l'on peut apprendre des Israéliens :
- " Peut être la fierté d'être juif, un peu occultée parmi les Juifs d'Alsace avant la création d'Israël. Naturellement, la connaissance de l'hébreu, bien sommaire autrefois en Alsace."
- "La langue hébraïque ; la notion de relativité du temps."
- "J'aimerais que les juifs alsaciens soient plus solidaires d'Israël - et viennent passer leurs vacances ici pour renflouer le secteur hôtelier."
Il existe aussi une certaine attitude "sabra" qui vaut d'être imitée :
"Les Israéliens pour peu qu'on puisse les définir en gros ont quelquefois un abord direct qui peut être plaisant. Moins de façons, de manières."
Il existe des traditions juives spécifiquement alsaciennes. Souhaitez-vous les transmettre à vos enfants et à leurs descendants, afin qu'elles se maintiennent dans les générations à venir. Et pourquoi ?
Ici nos correspondants se montrent plutôt pessimistes :
- "Nos descendants se mélangeront forcément avec des conjoints d'origine différente mais j'aimerais qu'ils apportent dans le melting pot un peu de notre "heimlichkeit" (ambiance familiale)."
- "Je pense que, quels que soient les desirata de chacun, les couples étant, sauf de rares exceptions, mixtes (c'est-à-dire alsacien avec non-alsacien), les traditions alsaciennes vont immanquablement se perdre au sein du melting pot israélien."
- "Pas vraiment. Je crois qu'il est temps de devenir un peuple et d' arrêter nos différences."
- "Il est bien difficile de transmettre des traditions en dehors du territoire ancestral, sauf peut être quelques traditions culinaires."
- "Nous sommes très attachés aux traditions alsaciennes, tout en connaissant leurs limites aussi bien religieuses que sociales.
Nous souhaiterions les transmettre à nos enfants tout en sachant que c'est une utopie, car les mariages se font entre communautés d'origine différence, tout comme en Alsace.
Cette maintenance est purement sentimentale et une marque de respect vis-à-vis de nos ancêtres."
- "Ici l'influence des écoles et des jardins d'enfants fait l'unanimité sur certains rites. La tarte aux pommes a encore du succès, la carpe à la juive beaucoup moins."
Ils évoquent pourtant les traditions spécifiques qu'ils désireraient transmettre :
- "La Mappa, car elle représente un beau moyen de faire rentrer le garçon dans la vie communautaire
La Hollekrasch, car elle est le témoignage de l'équilibre entre les garçons et les filles dans ce pays quelque peu macho! Les airs de nos prières, notre rituel, nos minhagim (coutumes) (par ex: Netilath Yadayim -l'ablution des mains- avant le Kidoush
) pour bien marquer que si nous sommes parfaitement intégrés dans la société israélienne nous pouvons garder des spécificités qui font notre richesse!"
- "Je souhaite transmettre à mes enfants les traditions juives et familiales que j'ai reçu de la maison. Elles ne sont pas obligatoirement alsacienne ; mes parents n'y étant pas originaires. Mon père en avait adopté quelques-unes, comme de faire netilath yadaïm (l'ablution des mains) avant le kidoush. Les airs des tefiloth (prières) me sont bien sûr connus tels qu'on les chantait à Strasbourg. Mais ce n'est pas super important ou exclusif pour moi. Par contre, je suis content qu'ils parlent ou au moins comprennent le français."
En tant qu'Israélien, avez-vous un message à transmettre aux Juifs de France, et lequel ?
Comme on pouvait s'y attendre : "Votre place est en Israël",
disent-ils
- " Faites votre alyah."
- "Même si c'est parfois un peu dur, le soleil brille en Israël pour tout le monde!"
- "Ne pas se satisfaire de la facilité de la vie en Gola ; ne pas suivre les notables communautaires compromis avec le pouvoir politique français. Les chefs spirituels (rabbins) doivent sortir de leur confort matériel et après quelques années de "sacerdoce" réaliser leur montée en Israël sans se préoccuper de leur retraite consistoriale, en entraînant une partie de leurs ouailles."
Pourtant, ce message ne fait pas l'unanimité :
- "Je n'ai sûrement pas la prétention de donner des conseils aux Juifs de France qui ont à se déterminer à titre personnel essentiellement."
- "Le seul lien qui unisse deux Juifs entre eux est la Torah."
Enfin, certains adoptent une voie de conciliation :
- "Préférons une alyah réfléchie en toute connaissance de cause, selon un choix idéologique."
- "Je pense que le destin du peuple juif se joue ici principalement, mais il est important également que le judaïsme de diaspora ait sa propre voix. Au niveau personnel ; je ne peux que recommander de s'informer et de sentir les choses ; surtout en ces temps difficiles et de conserver la précieuse valeur juive de solidarité."
EN GUISE DE CONCLUSION
Tout d'abord, nous tenons à remercier ceux qui ont joué le jeu et répondu à notre questionnaire. L'image qui se dégage de ces réponses est celle d'une volonté d'intégration en Israël, souvent réalisée avec succès, même si c'est au prix d'une renonciation aux moeurs et coutumes du pays natal, qui ne sont pas reniées, mais qui ne constituent plus une priorité, ni pour les immigrants eux-mêmes, ni pour leurs enfants. Quant à l'identification socio-culturelle, elle est nettement orientée vers la société israélienne. Aussi on peut se demander ce qu'il adviendra de l'identité alsacienne pour ces immigrants. Certains d'entre eux nous ont fait l'amitié de souligner l'importance de notre site pour le maintien des traditions :
- "Il faut bien dire que la communauté juive alsacienne est presque totalement ignorée en Israël. Ou bien les Juifs d'Alsace sont identifiés comme Yekke, ou bien ils sont tout simplement français. Il serait sans doute utile de faire connaître notre communauté sur les mass media, comme l'ont fait d'autres communautés, mais il faudrait naturellement le faire en hébreu ou en anglais. Les articles diffusés sur le site constituent une riche matière pour alimenter cette "propagande"."
- "Le site du judaïsme alsacien me permet de garder le contact avec le passé, et je suis sûre qu'il sera, comme vous le désirez, une nouvelle forme d'archives de cette communauté."
Un dernier mot : dans les réponses de nos correspondants, on ne trouve pas d'écho de la situation dramatique qui sévit actuellement en Israël. Faut-il en conclure que les événements actuels n'ont pas remis en question le choix de ceux qui ont opté pour la vie en Terre promise ?