Abraham Alexandre
Weill est né le 10 mai 1811 à Schirhoffen, petit village d’Alsace, au
Nord de Strasbourg. Une vocation religieuse précoce, lui
fait quitter, âgé de treize ans, la maison familiale à la recherche de maîtres qualifiés qui sauront étancher sa
soif de spiritualité. Après avoir
fréquenté les écoles "rabbiniques" de Metz, Nancy et Marmoutier,
il part pour l’Allemagne au printemps 1826, préoccupé d’une éducation, qu’il sent incomplète.
La communauté de Francfort, il en est convaincu, lui offre toutes les garanties
désirables.
Avec quelques réserves, cependant ! Car l’étudiant rabbin sera bientôt exposé à des influences philosophiques "pernicieuses", dont un judaïsme réformé qui, invoquant les mutations du siècle, prétend ajuster la tradition juive à la vie moderne … La France, quittée quelques années auparavant, demeure proche de son cœur: paradoxalement, le bouleversement politique, causé par la Révolution de 1830, s’accompagnera chez Alexandre Weill, et par delà les frontières, d’une volte-face de la pensée religieuse. Avec la lecture de Spinoza Platon, Lessing, Kant, Hegel, le doute sur l’authenticité divine de la Loi Orale, sur le bien fondé des écrits talmudiques et bibliques s’insinue dans son esprit … A telle enseigne que, choisissant la voie du pyrrhonisme, il décide de renoncer au rabbinat.
C’est à cette époque que le jeune "défroqué", attiré par la carrière des lettres, commence à écrire. Débutant dans le journalisme, il collabore au Journal de Francfort de Charles Durant, puis au Courrier de Stuttgart, au Journal de Nuremberg, et à la Gazette d’Augsbourg. En même temps, il subit avec délice l’influence du mouvement de la Jeune Allemagne, qui compte dans ses rangs des écrivains de renom, et parmi eux, Gutzkow, Boerne et Heine. Le non-conformisme de Weill revêt, dés lors, un caractère politique et social, avec comme toile de fonds, la lutte contre le despotisme sous toutes ses formes.
Bien déterminé à réussir et à vivre de sa plume, il part pour Paris en 1836. S’affichant comme républicain et démocrate, il poursuit sa collaboration à la rédaction des journaux allemands, se lie d’amité avec Nerval, fait la connaissance de Victor Hugo, auquel il vouera une grande admiration, mais qui ne durera pas. Cette période marque le début de la longue série de ses publications … Louis Blanc lui ouvre les colonnes de sa Revue du Progès, puis il passe à La Revue Indépendante, fondée par Pierre Leroux et George Sand.
Si à ce moment, il est relativement simple de situer Weill politiquement, ses options spirituelles, par contre, sont plus difficiles à définir. Son athéisme, en effet, ne repose pas sur des assises solides. La question juive et les problèmes métaphysiques ne cessent de l’absorber, ne serait-ce que dans un but de dénigrement systématique. Il se montre parfois si violent dans sa condamnation du Talmudisme et ses diatribes contre l’esprit de lucre de certains milieux juifs de l’époque qu’il laisse échapper des remarques franchement antisémites.
Pendant tout ce temps, se référant à la fois à Spinoza, à Pierre Leroux, au Nouveau Christianisme de Saint-Simon, et surtout à Fourier, il collabore à la Phalange à partir de 1841, puis à la Démocratie Pacifique et au Corsaire-Satan… En 1847, il épouse Agathina Marx, propriétaire d’un magasin de chapeaux, Faubourg Saint Honoré. La Révolution de 1848, comme celle de 1830, marquera un tournant dans l’évolution d’Alexandre Weill … Abandonnant ses convictions fouriéristes, il se présente aux élections du 23-24 avril, comme candidat indépendant de la Seine et obtient 15000 suffrages. Mais le score est insuffisant pour obtenir un siège à l’Assemblée Nationale!… L’évolution des événements, dans une France en effervescence, le laisse désemparé, en quête de nouvelles convictions politiques … La "médiocratie" règne partout, empêchant le rétablissement de l’ordre. Ni le centre représentant la faiblesse, ni la gauche qui fraie la route au coup de force, ne le satisfont plus … L’évolution du personnage s’avère une fois de plus surprenante: la seule option qui s’ouvre à lui, en dernier ressort, est celle de la légitimité monarchique et catholique. La Gazette de France le recevra parmi ses collaborateurs jusqu’à la fin de 1851.
L’abandon de l’athéisme, par conséquent, ne s’accompagne pas, chez Weill, d’un retour à la tradition juive mais d’une exploration du côté du christianisme. Il se révèle, à cette époque et sous la pression des événements, homme de droite, antirépublicain et réactionnaire. Selon toutes apparences, vers 1850, il n’a qu’un pas à faire pour aboutir à la conversion.
Cette étape, l’écrivain s’abstiendra pourtant de la franchir… Car, dernière palinodie, il finit par rompre avec ses amis légitimistes chez qui il devine une tendance à l’intolérance religieuse… Plus tard, il devait estimer cette entente avec le parti de la légitimité royaliste comme la plus grande erreur de sa vie.
Weill arrive à la fin de son itinéraire… La politique l’a déçu, le christianisme aussi. Le doute lui a laissé un goût amer. Faux sceptique, faux républicain, faux chrétien monarchiste, à la recherche d’une foi à sa mesure, que peut-il tenter, la quarantaine passée, sinon un retour aux sources ?
Son harmonie, en effet, Alexandre Weill la retrouvera dans le judaïsme, mais dans un judaïsme différent de celui de son enfance… L’écrivain reprend ses recherches de manière non traditionnelle. Il étudie La Bible, "non comme un livre de foi imposée par une soi-disant révélation, mais comme une œuvre de philosophie humaine et de législation religieuse". Weill opérera sa propre synthèse en relisant les Ecritures à la lumière d’un véritable culte voué à la Vérité et au principe d’Unité. Il prétend retrouver la pureté initiale du Pentateuque, donc le Judaïsme mosaïque authentique, relié au principe de Justice, en dehors de toute idée de pardon et de repentir, et abstraction faite de la Loi orale. Sa théorie débouche sur un système social d’Egalité et de Solidarité, fondé, non sur l’idée du droit, mais sur celle du Devoir.
Brochures, ouvrages en prose et en vers qui se succèdent à partir de là, ne sont, pour la plupart, que des illustrations des idées philosophiques religieuses, morales et sociales, fruits de ce long examen de conscience au lendemain du Deux décembre. Etre soi-même avant toute chose, tel est le principal souci de ce personnage qui ne sait ni jouer ni se plier aux conventions sociales, dût-il pour cela, prendre le contre-pied des valeurs communément admises. Conscient de la hardiesse et de l’originalité de son tempérament, Weill se sent investi d’une mission impérieuse:"vendre de l’esprit et de la morale (…) défricher les forêts de préjugés", prêcher sa bonne parole pour "établir une communauté de lumières et de connaissances" et contribuer ainsi à l’édification d’un monde meilleur. Nulle surprise qu’il ait été considéré comme un excentrique par ses contemporains, voire une espèce de hors-la-loi de la littérature.
Avec les années cinquante, les éléments biographiques concernant Alexandre Weill se font de plus en plus rares. Faute de données précises, nous nous bornerons ici à un rapide survol des dernières années de sa vie.
Ecrire, publier et recevoir, voilà ce à quoi il s’occupe désormais. Plusieurs voyages le conduisent en Alsace, en Allemagne en Belgique et en Hollande. L’atmosphère politique qui règne en France devient de plus en plus irrespirable et les déplacements à l’étranger lui apportent un soulagement presque physique. La rédaction de ses livres se poursuit sans relâche. Sa verve de pamphlétaire ne tarit pas. Ardent nationaliste, Alexandre Weill est blessé jusqu’au tréfonds par la défaite et la perte de l’Alsace-Lorraine. Il pointe un doigt accusateur contre les responsables de la défaite, l’immoralité des Français, mais aussi contre l’athéisme et le catholicisme. En 1878, Agathina, la fidèle compagne de Weill depuis 1847, meurt en le laissant complètement désemparé.
Un des ultimes combats de Weill sera dirigé contre l’antisémitisme … La France s’achemine lentement vers l’Affaire Dreyfus. Et plusieurs pamphlets de l’écrivain vieillissant constitueront des répliques, pas toujours adroites, il est vrai, à La France Juive d’ Edouard Drumont.
Alité et presque aveugle, agé de plus de 80 ans, doué d’une vitalité prodigieuse, l’écrivain tient à mettre un point final à l’œuvre entreprise et travaille sans relâche à la publication de tous ses manuscrits. Le 18 avril 1899, celui que Robert Dreyfus devait appeler Le Prophète du Faubourg Saint Honoré meurt en son domicile à l’âge de 88 ans. Il sera inhumé au cimetière de Montmartre dans le secteur réservé aux membres de la communauté juive.