Les minutes notariales d'Alsace recèlent d'innombrables contrats signés par des Juifs au 18ème siècle, mais rares sont ceux scellés à la cire. Ceci a de quoi nous surprendre puisque nous n'ignorons pas que les Juifs à partir d'un certain niveau social s'étaient fait faire un sceau qu'ils portaient en bague ou en pendentif. La collection de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine comprend une vingtaine de matrices. On en trouve aussi au Musée juif de Bâle et dans les Musées de Spire et de Cologne. Il semble que le sceau était plutôt destiné à sceller la correspondance qu'à authentifier la signature.
Parmi les grands personnages du judaïsme d'Alsace, nous fûmes heureux à deux reprises de rencontrer l'empreinte du sceau du Préposé général de la Nation juive en Alsace Moïse Blien (v. 1700 - 1762). En revanche, aucun contrat signé par l'illustre Cerf Berr de Medelsheim, Préposé général de la Nation juive en Alsace, conservé aux Archives départementales du Bas-Rhin ou aux Archives de la Ville de Strasbourg, n'est marqué de son sceau.
Ce fut le mérite de Karl Lillig de découvrir au Landesarchiv de Saarbrücken (1) deux empreintes de sceaux accompagnant la signature de Cerf Berr. Il eut aussi l'extrême amabilité de m'envoyer les photographies de ces empreintes pour me permettre de les étudier. (A)
Ce qui me permit d'attribuer le premier de ces sceaux à Dov Berr (v. 1705 - 1778), le père de Cerf Berr, le second à Cerf Berr (1726 -1793) lui-même.
Pour compléter cette étude intéressant la famille Cerf Berr, j'ai cru bon d'ajouter les armoiries de Théodore Cerf Berr (1765- 1836) un des fils de ce dernier, ainsi que celles de son petit fils, le colonel Max Théodore Cerf Berr (1796 - 1874), député de Wissembourg. Pour la biographie de ces personnalités, nous renvoyons à ce que nous avons écrit dans le Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne (2).
Le sceau porte son nom en lettres hébraïques carrées, Dov bar Naftali Medelsheim. Le champ central est occupé par les lettres latines enlacées B et H, B pour Berr, H pour Hirtz. Enfin un ours debout dans un décor d'arbres. Ceci nécessite quelques mots d'explication. Il existe une équivalence entre Dov (mot hébreu signifiant ours) et Berr ou Bär (ours en allemand). Il existe aussi une équivalence entre le nom biblique Naftali et l'allemand Hirtz, Hirsch, Hertz.
Ouvrons la Bible, Genèse, chapitre 49. Jacob mourant bénit ses enfants. "Tu es un jeune lion, ô Juda " (verset 9) "Benjamin est un loup, destructeur " (verset 27) "Naftali est une biche bondissante " (verset 21).
A la lumière de ce passage, on comprendra qu'un Juif qui porte le nom biblique de Juda par lequel il se fait appeler à la Torah, portera dans la vie courante le nom de Loeb, Lion, Leib, Lehmann, etc. Il en sera de même pour Benjamin qui se fera appeler Wolf, ou en français Louis, très proche de loup. Et le biblique Naftali deviendra dans la vie courante Hirsch, Hirtz Hertz, Cerf, etc., masculinisation de la biche du verset 21.
Pour Issakhar, les choses sont un peu plus compliquées. Nous lisons dans le même chapitre 49, verset 14, de la Genèse " Issakhar est un âne robuste ". Les porteurs du nom d'Issakhar ont hésité à se faire appeler par le nom peu flatteur d'Âne. Comment on est passé de l'image de l'âne à celle plus digne de l'ours demeure un mystère. Mais toujours est-il que tous les porteurs du nom biblique d'Issakhar se font appeler Bär, Berr, Behrmann, Bernhard, etc. et en hébreu Dov.
A la lumière de ce qui précède on comprendra qu’Issakhar fils de Naftali se soit fait appeler Dov Berr fils de Hirsch.
Le sceau de Cerf Berr de Medelsheim, est d'une grande finesse. De part et d'autre d'un écu ovale nous voyons un cerf et un ours rampants. On a malheureusement quelque difficulté à déchiffrer le motif ornant l'ovale central. La matrice a mal marqué cette zone faute d'épaisseur de la cire. Pourtant on distingue très nettement, à l'intérieur de l'écu, vers dix, onze heures, une fleur à quatre pétales tenue par une main.
Or nous savons que les Juifs du 18ème siècle faisaient très couramment graver sur leur sceau le signe zodiacal du mois de leur naissance, et que le signe de la Vierge était représenté par une jeune femme debout tenant une fleur dans sa main droite. Les exemples abondent. Ainsi le sceau du Préposé général Moyse Blien, reproduit ici, le sceau d'Eliaqum fils de Jacob, la Mappa d' Isaac Netter de Rosheim de 1762.
En examinant le sceau de Cerf Berr de plus près, nous distinguons l'ébauche d'un visage, les plis d'une robe et les pieds. Pour nous, il n'existe pas le moindre doute: l'écu ovale du sceau de Cerf Berr était occupé par le signe astrologique de la Vierge, ce qui nous permet aussi d'affirmer que Cerf Berr est né au cours du mois d'Elul 5487, soit entre le 18 août et le 16 septembre 1726.
Le sceau du colonel et député de Wissembourg Max Théodore Cerfberr est conservé à l'Hospice Elisa de Strasbourg qui en est devenu propriétaire à la suite du legs fait par son petit fils Roger Levylier.
Il s'agit d'une intaille, une topaze montée sur une bague en or, gravée d'un écu surmonté d'un heaume empanaché de trois plumes d'autruche et flanqué de part et d'autre de deux chiens tricéphales.
L'allusion est transparente : Cerf Berr, devenu Cerfberr puis le Cerbère de la mythologie.
L'écu porte un cerf au premier quartier, un ours au quatrième.
Armoiries de Théodore Cerf Berr (1765-1836) |
Sceau de Max Théodore Cerfberr, petit fils de Cerf Beer Dessin à la plume Martine Weyl |
Cette brève étude nous aura permis de compléter nos connaissances en sigillographie juive, et de cerner de plus près la date de naissance de Cerf Berr, né en Elul 5487 (18 août - 16 septembre 1726) (4).
Sur le même sujet, voir l'article de R. Weyl : Trois sceaux, trois époques du destin des juifs d'Alsace |