Jean KAHN
L'OBSTINATION DU TEMOIGNAGE


Le "Ce que je crois" de Jean Kahn
par Jacques Fortier
extrait des © Dernières Nouvelles d'Alsace, Dimanche 14 Septembre 2003.


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Jean Kahn, "alors que le soir approche", a rédigé ses souvenirs. Cette haute figure juive alsacienne y explique son combat incessant pour les droits de l'Homme.
Le drame de décembre 1997 - quinze heures de coma après un accident vasculaire cérébral - l'a laissé handicapé, mais ne l'a pas découragé de l'action publique. Toujours président du Consistoire central israélite de France et du Consistoire du Bas-Rhin, Jean Kahn, 74 ans, a pris le temps, cependant, sur l'insistance de ses fils, dit-il, d'écrire. Ceci, justifie-t-il, pour "expliquer la source de mes engagements, commenter mes démarches, évoquer mes rencontres". Ce livre, l'Obstination du témoignage, retrace en effet un chemin de vie et de foi. Qui aurait pu dire que le petit gamin strasbourgeois, fils unique d'Henriette Metzger et de Jacques Kahn, originaire de Mommenheim, deviendrait une haute figure du judaïsme français et européen ? Peut-être y a-t-il eu là l'influence posthume du grand-oncle Zadoc, qu'il n'a pas connu, grand rabbin de France aux temps de l'affaire Dreyfus. Mais plus sûrement, Jean Kahn dit sa dette à l'égard des grands-rabbins de Strasbourg Abraham Deutsch (1902-1992) et Max Warschawski (aujourd'hui retraité en Israël) et du professeur André Néher
C'est avec eux, dit-il qu'il a appris que "La Torah [la Bible juive] contient tout (...) et que ses valeurs peuvent constituer une aide considérable pour l'ensemble de la famille humaine".

L'ampleur de la Shoah
Réfugié, avec ses parents, en Haute-Loire, à partir de 1939, c'est là que le jeune Jean fait sa bar-mitzwah (célébration de la majorité religieuse des garçons juifs) en 1942. C'est là qu'il échappe à une rafle. C'est un peu plus tard qu'il découvrira l'ampleur de la Shoah, qui infléchira sa vie en lui faisant comprendre que "le combat pour les droits de l'homme n'a pas defin".
Après la guerre à Strasbourg, il passe le baccalauréat et intègre la faculté de droit. Il entame une carrière d'avocat, mais trois ans plus tard, le décès d'un oncle l'amène à rejoindre l'affaire familiale de textile.
Les responsabilités dans la communauté juive, à l'échelon alsacien, français, européen, s'enchaînent très vite. L'ouvrage retrace quelques-unes des péripéties de cette vie publique, notamment à la présidence de la communauté juive de Strasbourg, puis du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), multipliant les contacts avec les grands de ce monde.
Ce sera souvent d'ailleurs à propos du Proche-Orient : Jean Kahn prêche une solidarité fraternelle avec Israël -même s'il n'est pas tendre avec certains de ses hommes politiques- mais appelle "à accepter compromis et renoncements de part et d'autre". Oui, dit-il, à un Etat palestinien, "à condition que celui-ci ne soit pas un danger pour l'existence d'Israël".

Le fichier des dénonciateurs

Jean Kahn dévoile quelques secrets. Ainsi il existe, lui avait appris en 1992 le ministre de l'Intérieur Paul Quilès, un "fichier des dénonciateurs" de cent mille noms, constitué par Vichy durant l'Occupation et entreposé depuis dans les caves de la préfecture de police. "Je pense que le temps est venu de dévoiler la vérité sur ce sombre épisode de notre histoire, écrit Jean Kahn, les années ont passé, les dénonciateurs sont aujourd'hui devant leur Juge suprême ou largement nonagénaires".
De même, il raconte son rôle dans l'affaire douloureuse du carmel d'Auschwitz, construit dans le périmètre de l'ancien camp de la mort en 1985. Alors président du CRIF, Jean Kahn participe aux rencontres qui tentent de faire comprendre aux autorités catholiques -à Varsovie, à Rome ou à Paris- qu'un couvent n'avait pas sa place dans ce "lieu de la souffrance juive" . Au terme de longs débats, c'est un coup de fil de Jean Kahn à quelques banques privées qui débloquera la somme avec laquelle l'Eglise de France allait cofinancer le déménagement du Carmel...


Le Témoignage d'un Obstiné de grand talent
par Jean Waline

Jean Kahn
Jean Kahn
La publication par Jean Kahn de ses souvenirs sous le titre "L'obstination du Témoignage" constitue un véritable événement non seulement pour ses amis et l'ensemble de la Communauté juive de France mais aussi pour tous ceux qui s'intéressent aux drames qui ont marqué l'Histoire de l'Europe au cours des trente dernières années.

Jean Kahn, en effet, appartient à la petite phalange de ceux qui pensent qu'il n'y a rien d'inéluctable dans le cours de l'Histoire et que l'Homme peut, à force de volonté, infléchir celui-ci. La grande leçon qu'il nous donne à travers ce beau livre, c'est qu'il n'y a rien de pire que la résignation et que les seules batailles que l'on a la certitude de perdre ce sont celles que l'on ne livre pas ! Son livre est le récit, passionnant, de tous les combats qu'il a menés avec, presque toujours, une magnifique réussite.

Après avoir évoqué, avec une grande pudeur de sentiments, sa famille, sa jeunesse et les Maîtres qui l'ont marqué (le Grand Rabbin Deutsch, Max Warschawski et André Néher) Jean Kahn nous entraîne dans les deux grands combats qui ont marqué toute son existence : le devoir de Mémoire à l'égard de la Shoah et la défense, ou plutôt, la promotion des Droits de l'Homme dans le Monde.

En ce qui concerne la Shoah l'auteur a le courage de rappeler, ce que beaucoup voudraient oublier, que les atrocités nazies ont été grandement facilitées par la complicité, non seulement des autorités françaises, mais aussi de celles de nombreuses régions de l'Est de l'Europe, sans compter l'immobilisme des Alliés et l'atroce silence du Vatican. Cela, nous dit-il " Je ne l'oublie pas et je ne le pardonne pas ". Auschwitz est le pivot de mon action écrit-il. A Strasbourg chacun le sait. La meilleure manière d'enseigner aux jeunes la tolérance et la fraternité entre communautés c'est de leur montrer l'horreur des camps telle qu'on la ressent en s'y rendant en pèlerinage.

De manière tout à fait originale, et fort intéressante, Jean Kahn souligne les sources bibliques des Droits de l'Homme, la défense de ceux-ci constituant son deuxième grand combat dans l'existence. Avec raison il pense que c'est encore la meilleure manière d'essayer d'éradiquer le racisme et l'antisémitisme. Cela l'a conduit à présider, en France, la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme mais surtout, à l'échelle européenne, l'Observatoire des Phénomènes Racistes et Xénophobes, créé à son initiative.

Il resterait à évoquer l'action internationale de Jean Kahn en faveur de tous ceux qui sont dans le malheur en raison de guerres provoquées par les haines raciales et son action déterminante, en septembre 2001, à Durban, pour éviter que la Conférence ;ondiale qui y était réunie ne tourne à la manifestation antisioniste et antisémite. On en laissera la découverte au lecteur.

Le lecteur l'a compris : la lecture de ce livre, par ailleurs d'une grande honnêteté intellectuelle, est tout à la fois passionnante et instructive, ne serait-ce qu'à travers la description des "Princes" de ce monde que Jean Kahn a approchés. C'est tout simplement le livre d'un grand alsacien.

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