Jean Kahn dévoile quelques secrets. Ainsi il existe, lui avait appris
en 1992 le ministre de l'Intérieur Paul Quilès, un "fichier
des dénonciateurs" de cent mille noms, constitué par Vichy
durant l'Occupation et entreposé depuis dans les caves de la préfecture
de police. "Je pense que le temps est venu de dévoiler la vérité
sur ce sombre épisode de notre histoire, écrit Jean Kahn, les
années ont passé, les dénonciateurs sont aujourd'hui
devant leur Juge suprême ou largement nonagénaires".
De même, il raconte son rôle dans l'affaire douloureuse du carmel
d'Auschwitz, construit dans le périmètre de l'ancien camp de
la mort en 1985. Alors président du CRIF, Jean Kahn participe aux rencontres
qui tentent de faire comprendre aux autorités catholiques -à
Varsovie, à Rome ou à Paris- qu'un couvent n'avait pas sa place
dans ce "lieu de la souffrance juive" . Au terme de longs débats,
c'est un coup de fil de Jean Kahn à quelques banques privées
qui débloquera la somme avec laquelle l'Eglise de France allait cofinancer
le déménagement du Carmel...
Jean Kahn, en effet, appartient à la petite phalange de ceux qui pensent qu'il n'y a rien d'inéluctable dans le cours de l'Histoire et que l'Homme peut, à force de volonté, infléchir celui-ci. La grande leçon qu'il nous donne à travers ce beau livre, c'est qu'il n'y a rien de pire que la résignation et que les seules batailles que l'on a la certitude de perdre ce sont celles que l'on ne livre pas ! Son livre est le récit, passionnant, de tous les combats qu'il a menés avec, presque toujours, une magnifique réussite.
Après avoir évoqué, avec une grande pudeur de sentiments, sa famille, sa jeunesse et les Maîtres qui l'ont marqué (le Grand Rabbin Deutsch, Max Warschawski et André Néher) Jean Kahn nous entraîne dans les deux grands combats qui ont marqué toute son existence : le devoir de Mémoire à l'égard de la Shoah et la défense, ou plutôt, la promotion des Droits de l'Homme dans le Monde.
En ce qui concerne la Shoah l'auteur a le courage de rappeler, ce que beaucoup voudraient oublier, que les atrocités nazies ont été grandement facilitées par la complicité, non seulement des autorités françaises, mais aussi de celles de nombreuses régions de l'Est de l'Europe, sans compter l'immobilisme des Alliés et l'atroce silence du Vatican. Cela, nous dit-il " Je ne l'oublie pas et je ne le pardonne pas ". Auschwitz est le pivot de mon action écrit-il. A Strasbourg chacun le sait. La meilleure manière d'enseigner aux jeunes la tolérance et la fraternité entre communautés c'est de leur montrer l'horreur des camps telle qu'on la ressent en s'y rendant en pèlerinage.
De manière tout à fait originale, et fort intéressante, Jean Kahn souligne les sources bibliques des Droits de l'Homme, la défense de ceux-ci constituant son deuxième grand combat dans l'existence. Avec raison il pense que c'est encore la meilleure manière d'essayer d'éradiquer le racisme et l'antisémitisme. Cela l'a conduit à présider, en France, la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme mais surtout, à l'échelle européenne, l'Observatoire des Phénomènes Racistes et Xénophobes, créé à son initiative.
Il resterait à évoquer l'action internationale de Jean Kahn en faveur de tous ceux qui sont dans le malheur en raison de guerres provoquées par les haines raciales et son action déterminante, en septembre 2001, à Durban, pour éviter que la Conférence ;ondiale qui y était réunie ne tourne à la manifestation antisioniste et antisémite. On en laissera la découverte au lecteur.
Le lecteur l'a compris : la lecture de ce livre, par ailleurs d'une grande
honnêteté intellectuelle, est tout à la fois passionnante
et instructive, ne serait-ce qu'à travers la description des "Princes"
de ce monde que Jean Kahn a approchés. C'est tout simplement le livre
d'un grand alsacien.