Rendre hommage au Président Léon Meiss est chose difficile lorsqu'on a eu le privilège de bénéficier de son amitié, car celle-ci avait une intensité si chaleureuse, que ce sont les souvenirs personnels qui surgissent d'abord, tel conseil donné avec tact, telle décision préparée avec sagesse, telle parole prononcée de cette voix lente et digne, dont nous serons privés maintenant, et dont chaque syllabe traçait un chemin.
Je me souviens avec émotion du dernier entretien qu'il m'accorda en décembre, quelques jours avant que la maladie ne vint arrêter ses activités pour toujours. Il voulait me parler du Centre Universitaire d'Etudes Juives dont il venait d'accepter la présidence, malgré sa fatigue, pour marquer son attachement à la cause des étudiants juifs. L'entretien fut une vaste fresque, nos préoccupations communautaires furent pesées par lui, appréciées dans leurs rapports avec les autres activités juives en France, et intégrées dans une perspective d'avenir dont il traçait le mouvement d'ensemble. Et je retrouvais dans ces paroles de l'homme âge et marque par la maladie, l'accent du Président d'il y a vingt ans, saisissant au vol le jeune intellectuel que j’étais alors, pour lui montrer comment la Thora et la culture universelle pouvaient et devaient se combiner et de quel profit pouvait être, pour les égares de notre temps, l’éclairage de Maïmonide par Lecomte du Nouy. Admirable continuité d'une pensée ouverte, accueillante, stimulante. Et n'est-ce pas cette continuité qui a permis à Léon Meiss de cimenter en un bloc de cristal l'histoire mouvante d'un quart de siècle du judaïsme de France ?
Car c'était l'un des secrets de sa personne que d'être pour tous tel qu'il était pour ses proches, et de mettre au service du Bien public les qualités mêmes sur lesquelles se fondait son amitié.
Noblesse et dignité, ce sont, sans doute, les traits que ses amis découvraient en lui, tout d'abord, mais qu'a découverts en lui aussi l'ensemble du judaïsme français. A ce judaïsme, Léon Meiss n'a pas été seulement intimement associé, depuis 1942, au point que la liste des organismes dont il était le Président, l'inspirateur, le créateur, la cheville ouvrière, et dont, plus tard, il restera le conseiller, l'arbitre, le Président d'honneur, cette liste, à vrai dire, constitue la mosaïque complète du judaïsme français contemporain : Consistoire Central, C.R.I.F, ORT, Alliance, CJM, Musée d'Art Juif, Ecole Gilbert Bloch d'Orsay, CUEJ, et j'en oublie, mais qu'importe, puisque, dis-je, ce n'est pas seulement sur le plan pratique que Léon Meiss a été un infatigable et actif président : à toutes les œuvres auxquelles il se donnait, le Président Léon Meiss a insufflé une orientation spirituelle et morale précise, la sienne, celle qui, aujourd'hui déjà, s'impose à nous telle une légende : la légende d'un haut magistrat de la République, qui se tenait droit devant les hommes, respecté parce qu'il était intègre, mais respecté aussi parce que cette intégrité, il la puisait dans sa prière, dans les humbles tephillines juives qu'il mettait fièrement, en serviteur fidèle de Dieu
Cette légende, Léon Meiss l'a incarnée en pleine guerre, lorsque, révoqué comme magistrat par le Statut des Juifs de Vichy, il se mit à suivre assidument des cours d'ajusteur, donnant ainsi de lui même l'exemple de la réadaptation indispensable à la survie, et de la force d'espérance que représentait le travail manuel, lorsque, au lendemain de la déportation du Président Helbronner, il accepta sa périlleuse succession à la tête du Consistoire Central, groupant autour de lui une poignée d'hommes dont la devise fut la dignité et le courage, le don de soi et l'invincible espérance.
Après la guerre, essayant de réunir au sein d'une action commune les Juifs de l'extrême gauche à l'extrême droite, mettant ainsi à l'épreuve quotidienne l'expérience qu'il avait amorcée en pleine guerre par la création du C.R.I.F (Conseil Représentatif des Juifs de France), élargissant maintenant les frontières du judaïsme français par des contacts féconds avec le nouvel Etat d'Israël et avec le judaïsme des Etats-Unis, esquissant une "politique juive" dont les dominantes seraient la tradition religieuse et culturelle juives, le Président Meiss fut alors, selon sa propre expression, un mystique de l'unité juive.
C'est cette foi prodigieuse dans les étincelles diaprées de l’âme juive qui a créé l'unanimité autour de Léon Meiss et qui a fait de lui, jusqu'à ses derniers moments, le haut arbitre de toutes les causes juives en France. En ce quart de siècle dramatique qui vient de s'écouler, Léon Meiss a incarné la référence morale pour toute une collectivité. Parnass de la communauté juive de France, il a été, sur le plan de la conscience, la force par excellence.