Il
est des hommes qui ont marqué leur temps, mais dont on ignore souvent
les origines. C'est le cas de Max Hymans.
L'historien Pierre Birnbaum parle de lui dans son livre : Les Fous de
la République, paru en 1992. Max Hymans est donc un des membres
du panthéon des juifs qui consacrèrent entièrement leur
vie au service de la République et de la France.
Le nom de Max Hymans est surtout connu des passionnés français
de l'aviation civile et par certains philatélistes, puisqu'il est un
des rares hommes contemporains qui ont eu droit à la reconnaissance publique
par la sortie d'un timbre-poste, la petite vignette qui sert à affranchir
le courrier. Le timbre qui lui avait été dédié est
de format vertical, réalisé en taille douce, de couleur violacée.
Il y apparaît à la force de l'âge avec, en coin, l'ancien
logo bleu marine de la compagnie d'aviation Air France, dont il fut le créateur
et l'animateur, jusqu'au seuil de son décès.
Outre cela, il fut aussi le fondateur de l'organisation internationale de
l'aviation civile, connue sous le sigle de IATA, ce qui l'amenait à
se rendre chaque mois au siège de l'organisation, à Montréal
(Canada). A l'époque, les avions qui franchissaient l'Atlantique était
encore à hélices, ce qui prenait – dans les meilleures
conditions – environ 12 à 16 heures de vol.
Oui, la compagnie nationale française d'aviation doit son existence à
un juif nommé Max Hymans (1900-1961). Plus de quarante ans après
sa disparition, personne dans la compagnie n'ignore son nom, tant il a marqué
celle-ci de son empreinte. Il faut dire que généralement les gens
ignorent qu'il fut juif puisqu'il n'a jamais milité dans les organisations
juives, tant il était absorbé par ses multiples activités
professionnelles. Par contre, il eu un rôle primordial lors de la création
de l'Etat d'Israël, en organisant en 1948 un pont aérien pour fournir
l'armement nécessaire à la défense du jeune Etat.
Son nom a une résonance flamande, en fait une variante de Heymann,
c'est à dire du nom hébraïque Haïm. Max Hymans était
le fils de Raphaël Hymans, fabricant de chemises à Paris, mais
venant de Hollande, et de son épouse Sarah Geismar - née à
Dambach
(Bas-Rhin) - sœur du Général Gédéon
Geismar. Max, second fils de ses parents, reçoit le prénom
de son grand-père maternel. C'est son oncle Gédéon qui
va inspirer à Max l'amour du service de l'Etat. Un autre membre de
sa famille maternelle, son cousin Léon Geismar, cinq ans de plus que
lui, le confortera dans son idée, puisqu'il a déjà embrassé
une carrière dans l'Administration Coloniale qui le conduira finalement
aux fonctions de Gouverneur des Colonies. Le frère aîné
de Max, André, poursuivra les activités professionnelles de
leur père.
Le grand-père Geismar de Dambach |
Sarah Hymans née Geismar |
Raphaël Hymans |
Son père Raphaël Hymans avait été vice-président du Comité de Bienveillance Israélite de Paris, ancêtre du CASIP-COJASOR. Son oncle, le Général Gédéon Geismar fut de longues années à la présidence le KKL de France, il en fut même le premier président.
Au cours de sa vie, bien que relativement brève, puisqu'il meurt à l'âge de 61 ans, il aura plusieurs cordes à son arc. Il se consacrera à la politique, puis après l'armistice de 1940, il entrera dans la Résistance et enfin, la guerre de 1939-1945 terminée, il deviendra un grand serviteur de l'Etat. La guerre achevée, il quittera définitivement la politique et fera carrière au service de l'Etat, porté vers l'aviation. A chaque fois, ses différentes activités seront exercées aux plus hauts niveaux de responsabilités.
Dans sa circonscription de l'Indre il deviendra conseiller municipal de sa ville d'adoption (1929), et également conseiller général (1931). Aux élections législatives de 1932, il arrive en tête avec près de 41% des voix, malgré une campagne de dénigrement sur ses origines étrangères, la profession commerciale de son père et des attaques antisémites.
En 1933 il quitte le parti socialiste SFIO rejetant le pacifisme prôné par celui-ci face au nazisme arrivé au pouvoir en Allemagne. Il veut un socialisme plus national pouvant résoudre la crise économique et s'opposer à la montée du fascisme en Italie. Il sera du groupe des néo-socialistes de France et enfin il sera membre de l'Union Socialiste et Républicaine - présidée par Paul-Boncourt. C'est sous cette étiquette qu'il sera réélu en 1936, au moment du Front Populaire, dont son parti est un des composants.
Il se marie en 1937, Edouard Herriot et Paul-Boucour seront ses témoins.
A la Chambre des députés il intervient pour la création
d'un ministère de l'Economie Nationale et il sera aussi un des promoteurs
de la fusion des cinq compagnies d'aviation existant à cette époque.
En 1937, il fait son entrée dans un gouvernement et devient secrétaire
d'Etat à l'Industrie et au Commerce, dans le cabinet de Camille Chautemps,
qui succède au gouvernement du Front populaire de Léon
Blum (voir photo avec Blum et Mendès-France).
Il se distinguera par l'efficacité avec laquelle il dirige les travaux
préparatoires de l' Exposition universelle de Paris. L'exposition,
qui sera une réussite, est finalement son œuvre, au cours de laquelle
ses dons d'organisateur seront reconnus, appréciés et retenus.
Sa carrière future de grand commis de l'Etat en sera la conséquence.
En 1938, il est chargé du secrétariat d'Etat aux Finances, dans
le deuxième gouvernement Chautemps.
C'est dans ces allées du pouvoir qu'il va côtoyer : Pierre Cot,
Ministre de l'Air, Mendès-France –son camarade de faculté
- auquel il succèdera au Secrétariat d'Etat aux Finances, Jean
Moulin futur chef de la Résistance intérieure.
Après la chute de l'éphémère deuxième gouvernement
de Léon Blum (mars-avril
1938). Max Hymans poursuivra la sauvegarde de l'organisation semi-clandestine
qui avait été créé en septembre 1936, avec l'accord
de Léon Blum, de transports d'armes, de matériels, d'armes et
de munitions ainsi que de volontaires à destination des Républicains
espagnols pendant la guerre civile. Ceux-ci combattent contre les troupes
rebelles de Franco, soutenus par les corps expéditionnaires allemands
et italiens pour qui ce sera le terrain d'essai du fascisme.
Sa dernière mission politique sera de faire partie du groupe se rendant
en août 1939 à Moscou, pour convaincre Staline de s'allier au
camp des démocraties contre le nazisme. La mission échouera.
Retour de la mission en URSS |
détail de la photographie |
Après la Libération il réintègrera le parti socialiste SFIO Il sera réélu au Conseil général de l'Indre dont il deviendra le président en 1945.
Lors de la débâcle des troupes françaises et l'avancée des troupes allemandes à travers la France, le pouvoir politique du pays est transféré de Paris à Vichy. Venant du front, Max Hymans arrive à Vichy au moment du vote qui va accorder les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain et qui mettra fin à la IIIème République et à la démocratie. Ce sera sa dernière manifestation politique. Un mois après que Pétain ait obtenu les pleins pouvoirs du parlement, Max Hymans entre dans la Résistance pour bouter l'ennemi hors de la patrie. Il n'attend pas, comme certains, de voir la tournure que prendra la guerre pour savoir de quel côté opter et qui - bien que ne prenant position qu'en 1943 par pur opportunisme - oseront par la suite se glorifier d'un passé de Résistant qu'ils n'avaient pas eu.
Très réaliste et en bon analyste, Max Hymans dès le mois
d'août de 1940, se rend compte que Pétain ne cherche plus à
sortir le pays des griffes de l'envahisseur allemand. Il va chercher à
entrer en Résistance et à établir le contact avec Londres,
en envoyant des messages par différents canaux (cinq au total, transitant
par Stockholm, l'Espagne, l'Egypte,…) tant au Général
de Gaulle qu'aux Services secrets anglais. Il leur fait savoir qu'il se considère
comme un soldat de la "France combattante" de de Gaulle, mobilisé en
France même, et qu'il habite à 20 km de la ligne de démarcation,
entre les zones dites libre (au sud) ou occupée (au nord). Il se propose
d'organiser des liaisons entre les deux zones et de fournir des renseignements.
Le premier des messages arrivera
à destination des Services secrets, le "Special Operation Executive"
(SOE). On lui envoie alors le premier parachutiste allié – Georges
Bégué – qui viendra prendre domicile chez lui, à
Valençay, afin de lui enseigner le fonctionnement des transmissions
de messages radios et lui apporter toutes les instructions de Londres sur
ce qu'on attend de lui. M. Hymans l'installera à Châteauroux.
Une plaque de marbre orne aujourd'hui la maison pour commémorer la
naissance du premier réseau de Résistance sur le sol français
d'où furent envoyés les premiers messages codés à
destination de Londres, c'était le 6 mai 1941. Neuf mois à peine
après la décision de Max Hymans d'entamer la lutte contre l'occupant
nazi et le gouvernement de Vichy.
Il va alors mettre en place le premier réseau métropolitain
de résistance active et réceptionnera de nombreux autres parachutages
d'armes, et de billets de banque pour financer ses activités de Résistance.
Le Colonel Buckmaster (le célèbre réseau Buckmaster),
responsable du SOE pour la France, écrira plus tard : "Pour nous, Max
Hymans est le doyen de la résistance"..
C'est effectivement Max Hymans qui sera le tout premier à créer
un réseau de Résistance. Grâce à son statut de
député (bien que la Chambre des Députés ne soit
plus convoquée), il obtient l'autorisation de circuler avec sa voiture
à gaz-au-bois , ce qui lui permet de circuler à travers toute
la France et de prendre des contacts pour créer son réseau.
Au départ ses anciens amis du parlement et de son parti SFIO seront
les premiers qu'il impliquera. Le tout premier qui le rejoindra sera celui
que nous connaissons sous le nom de Jean Pierre-Bloch, un de ses collègues
du parlement. Ensuite il organise le repérage de terrains de parachutage
et même d'atterrissage pour recevoir des agents secrets ou récupérer
des responsables de la résistance intérieure, de l'armement
nécessaire aux "soldats de l'ombre", etc…Il se procure des documents
confidentiels qu'il fait parvenir à Londres et fournit des renseignements
précieux sur la présence et les effectifs des troupes allemandes,
sur l'opinion publique et les activités du Gouvernement de Vichy. Il
est aussi chargé d'organiser des actions de sabotages et de récupérer
les agents anglais parachutés en France afin de les camoufler.
Pendant la période de la Résistance, le secret était
la première des priorités et la méfiance vis à
vis des gens qu'on ne connaissait pas en était la nécessité
absolue. Chacun disposait d'un ou plusieurs pseudonymes pour qu'on ne puisse
pas retrouver sa trace, personne ne connaissait la hiérarchie du réseau
pour éviter que l'on puisse remonter à l'ensemble de l'organisation,
en cas d'arrestation et de torture d'un membre du réseau . Le réseau
constitué par Max Hymans sera malheureusement victime d'une dénonciation
et plusieurs de ses membres seront arrêtés et déportés.
Max Hymans, activement recherché par les sbires de Vichy, arrivera
à leur échapper en vivant sous différents pseudonymes
et après avoir modifié tant son aspect physique (au point même
que son beau-père ne le reconnaîtra pas) que ses cartes d'identité.
Il sera condamné à mort par contumace pour "réception
d'armes et complot contre la sûreté de l'Etat" par le tribunal
d'Etat de Lyon.
Il est obligé de fuir la France – en octobre 1941 - en franchissant
les Pyrénées pour rejoindre l'Espagne et se trouver dans les
geôles du camp de Miranda, pendant trois mois. De là, il arrivera
à gagner Londres, en août 1942 et rejoindre le Général
de Gaulle qui lui confiera plusieurs missions. Il est nommé Secrétaire
général du Comité central d'aide aux Prisonniers. Il
sera aussi un des intervenants réguliers sur la BBC dans l'émission
"Un Français parle aux Français" que dirige Maurice Schumann.
Il parlera sur les ondes d'août 1942 à août 1943 pour inciter
le monde rural à intensifier sa résistance face à l'occupant
et à ses alliés de Vichy. Ses interventions servent à
remonter le moral de la paysannerie et à leur donner la réalité
des évènements de France occupée.
Le Général de Gaulle le chargera de mettre en place un envoi
de colis aux soldats français prisonniers en Allemagne. Il arrivera
à établir un envoi régulier mensuel depuis le Canada
et les Etats-Unis. Ceci était très important, car les soldats
étaient sous-alimentés en Allemagne et très souvent leurs
familles (parents ou épouse) ne pouvaient pas leur envoyer de colis,
car elles-mêmes n'avaient pas assez à manger en France, ni l'argent
nécessaire puisque c'était le soldat prisonnier qui gagnait
auparavant l'argent du ménage. Près de 800.000 colis seront
envoyés chaque mois et distribués par le canal de la Croix-Rouge.
Lorsque le Général de Gaulle installe son gouvernement de guerre
à Alger, Max Hymans devient le directeur de l'Infrastructure et des
Transports aériens, avec la mission de réorganiser les transports
aériens civils dépendant du "Comité Français de
Libération Nationale". Malgré des moyens relativement modestes
et des crédits peu nombreux, et grâce à son ascendant
sur un personnel naviguant et au sol remarquable, il arrive à constituer
un réseau très important. Le Général de Gaulle
lui demande aussid'étudier la possibilité de mettre en place
un service aérien pour importer du riz depuis Madagascar. Lorsqu'il
se rend dans la Grande Île, il fait en outre un rapport détaillé
sur les lignes aériennes militaires (LAM). Le Général
de Gaulle, ayant apprécié les réalisations de Max Hymans
dans le domaine aérien, s'en souviendra.
Lors de son séjour à Londres, puis à Alger, Max Hymans
va côtoyer et travailler avec presque l'ensemble des futurs ministres
les plus connus de la future IVème République.